Il va falloir s’y faire. Depuis le carton d’Alice aux Pays des Merveilles en 2010, Disney mise largement sur les relectures “live-action” de ses classiques d’animation. Cendrillon, La Belle et la Bête ou, plus récemment, La Petite Sirène, aucun de ses hits d’antan n’est épargné. Mickey s’attaque même à des films animés qui célèbrent tout juste leur dixième anniversaire, à l’instar de Vaiana qui doit s’offrir un film en prises de vues réelles en 2026. Le public est presque toujours au rendez-vous, l’entreprise aurait tort de s’en priver. Le Roi Lion en 2019 est d’ailleurs l’exemple le plus parlant de l’attrait du public pour ces propositions un brin opportuniste. Le film de Jon Favreau avait généré 1,6 milliard de dollars dans le monde, l’idée d’une suite n’a pas tardé à faire son chemin.
Plutôt qu’adapter les aventures de Kovu et Kiara — à l’épicentre du Roi Lion 2 en animation — l’entreprise s’attache à raconter les origines de Mufasa. D’orphelin à de Roi de la Terre des Lions, c’est une quête initiatique autant que la naissance d’une tragédie fraternelle qui doivent prendre forme devant la caméra de Barry Jenkins.
L’histoire est simple. Après une catastrophe naturelle, le jeune Mufasa est arraché à ses parents et se retrouve lion errant. Lorsque sa route croise celle de Taka, appelé à devenir le chef de son clan, sa destinée change à jamais. Il trouve en lui un nouvel allié… mais peut-être bientôt un rival. Que les adorateurs de Timon et Pumbaa se rassurent, les deux compères sont tout de même du voyage. Ils accompagnent Rafiki dans la narration de cette histoire qui doit emprunter aux récits dramatiques illustres, ceux de Shakespeare en premier lieu.
Si redécouvrir Le Roi Lion en ultraréalisme et avec des voix françaises particulièrement différentes de celles qui ont vu grandir des générations d’adeptes de la proposition animée avait quelque chose de traumatisant, l’on pouvait espérer que le caractère inédit de Mufasa lui confère un certain ludisme. Après tout, c’est une histoire que les spectateurs espéraient voir prendre vie depuis longtemps. Elle doit mettre en lumière les différences entre les frères ennemis.
Ils sont un (enfin pour le moment)
Nous avions pu voir les 30 premières minutes de ce prequel, qui cultive tout de même sa singularité au sein de l’univers étendu du Roi Lion. Le réalisateur a insisté sur les liens lointains qu’entretient cette proposition avec le film de 2019, et les classiques d’animation. À dire vrai, il ne faut pas chercher très longtemps avant de découvrir les nombreuses libertés prises par la narration. Si le métrage d’animation présente le père de Simba comme l’aîné d’une fratrie et l’héritier légitime, ce sont des frères de cœur qui sont immortalisés ici. Taka est même promis à s’installer sur le trône lorsque sa route croise celle du lionceau perdu.
Avec habilité, l’introduction construit leurs destinées en opposition, l’un étant élevé auprès d’un lion revanchard, obtus et fainéant. Le second, Simba, évolue avec des femmes courageuses et aimantes. Un coup du sort les séparera de cette famille de fortune, l’écart va se creuser jusqu’à un point de bascule qui fera office de conclusion. Lorsqu’il s’impose comme le Roi de la Milele (la Terre des Lions), Mufasa ouvre une plaie qui ne se refermera jamais et qui signera finalement sa mort des mains de Taka (Scar).
On retrouve bien là les motifs de la tragédie shakespearienne, sans pour autant que le récit leur fasse véritablement honneur. L’empressement que l’on notait déjà dans les trente premières minutes se confirme. Alors même que l’histoire devrait prendre le temps de faire vivre ces enjeux, il préfère marteler ses références aux précédents films et entrecouper le voyage de ces héros de quelques séquences comiques (non) avec Timon et Pumbaa.
La saga ne peut pas se passer d’eux, moteurs d’un fan-service au mieux rébarbatif, au pire carrément crispant. En plus de rabâcher à tout bout de champ que les aînés vivent au travers de leurs descendants (ils vivent en toi), le film s’évertue à convoquer l’imagerie de ses prédécesseurs autant que faire se peut. Vous vous souvenez des griffes de Scar lacérant celles de son frère suspendu au-dessus du vide ? Mufasa s’assure que vous n’oubliez plus jamais cette scène…
Il y a trop de copains
Plus largement, Mufasa veut trop raconter dans le temps qui lui est imparti. Rafiki, Sarabi et une meute de lions blancs sanguinaires, tout ce beau monde joue des coudes dans un film qui fonce vers son but sans se soucier des trainards. Le cœur du métrage, qui devrait être la manière dont Simba s’est construit en opposition à son frère de fortune, s’en retrouve inexorablement parasité par une romance d’un côté, une course poursuite et même un rite initiatique de l’autre.
Ça fait beaucoup là non ? Oui, on trouve aussi. Rafiki quitte les siens en deux secondes et demie, un incident avec une ruche suffit à faire fondre Sarabi et à entériner la rivalité de Mufasa et Taka. Le scénario prend des raccourcis que même le mandrill un brin toqué n’aurait pas osé emprunter. C’est dire. Si on peut tout de même trouver un peu de lumière dans cette aventure foutraque, on aura bien du mal à pardonner la séquence qui sert de passage de relais avec le premier film. La réponse aux questions des spectateurs sur le surnom du grand méchant est frustrante. Fort heureusement, Mufasa nous donne autre chose à voir qu’un conte familial précipité.
C’est beau
Si l’histoire n’a pas nos faveurs, force est d’admettre que Mufasa n’échoue pas sur tous les volets. Après le photoréalisme de Jon Favreau, Barry Jenkins ajoute un peu plus de fantasie et de merveilleux à cette exploration d’un continent africain fantasmé. Comme le film d’animation, la proposition du réalisateur de Moonlight se pare de nombreuses couleurs pour immortaliser la quête de ces héros.
Avec de nombreux effets de style, de la caméra subjective à des effets d’optique savants, le film Disney profite d’une énergie certaine. Si certaines scènes d’action manquent de lisibilité — celles qui impliquent de l’eau et des protagonistes malmenés par celle-ci — on s’émerveille souvent à découvrir l’univers sans la lunette d’un documentaire animalier comme son prédécesseur. On apprécie aussi la richesse des décors, d’un sanctuaire immaculé immortalisé sous une lumière rouge à une montagne enneigée ou encore une savane luxuriante.
En s’affranchissant de son prédécesseur, Jenkins retranscrit mieux les émotions de ses personnages. L’anthropomorphisme fait son œuvre et le spectateur peut enfin attribuer des émotions profondément humaines à ces petites boules de poil. C’est ce qui pêchait chez Favreau, le film de 2019 étant plus proche du Clan des Rois de John Downer ou de La vie privée des animaux de Patrick Bouchitey. Avec sa part non négligeable de merveilleux, des éléments fantasmagoriques pour immortaliser les rêves et ambitions des personnages, Mufasa se donne un peu plus la chance d’émouvoir ou de séduire. Dommage que le scénario n’en fasse pas de même.
Frère…
Outre sa richesse visuelle, Le Roi Lion en 1994 s’est démarqué par l’efficacité de ses propositions musicales. Sous la direction d’Elton John, Disney accouchait d’une partition aux inspirations et tonalités multiples. De l’entêtant “Hakuna Matata” à la ballade “L’amour brille sous les étoiles” en passant par les orchestrations grandiloquentes d’Hans Zimmer, l’histoire de Simba profitait du talent des deux illustres compositeurs pour faire recette. Ce dernier ne rempile pas pour la suite, les musiques originales étant désormais confiées à Dave Metzger. C’est à lui que Wish : Asha et la bonne étoile devaient ces thèmes récurrents. Sa participation n’est pas plus mémorable. Seuls les motifs du compositeur allemand se démarquent, comme lorsque le fameux “N’oublie pas” sert d’adieux.
Si on peut aisément comprendre que naviguer avec des partitions aussi illustres n’est pas chose aisée, difficile d’expliquer ce qui s’est passé du côté des chansons originales. Avec Encanto ou Vaiana, Lin Manuel Miranda ne nous avait encore jamais déçus chez Disney, même quand sa participation se limitait à quelques compositions pour accompagner l’illustre Alan Menken pour La Petite Sirène. L’artiste, qui avait surpris avec son ambition Hamilton à Broadway, pouvait se targuer d’avoir offert un second souffle au musical, de lui avoir fait franchir un nouveau cap en puisant dans le registre de la pop urbaine ou du rap pour le réinventer.
Avec Mufasa, il recycle la même recette qui fonctionne pour les orchestrations, beaucoup moins pour les paroles. En version originale, les chansons sont ternes… Pour ne pas dire des pâles copies des titres emblématiques de la licence. Mufasa a son “L’amour brille sous les étoiles”, son “Soyez-prête”... Sauf que, dans le second cas, il faudra se contenter d’un “on va te dire Bye Bye” en guise d’avertissement. Pourtant, le rythme est plutôt entraînant.
L’adaptation française enfonce le clou. Si les comédiens et comédiennes font ce qu’ils peuvent pour sauver les meubles, la version hexagonale pâtit de la nouvelle approche de l’entreprise dans nos vertes contrées : à savoir une adaptation trop littérale des paroles anglaises. Mufasa est-il une disgrâce infâme ? Non. Un film chanté fantastique ? Non plus. Pour sûr, c’est une nouvelle occasion de demander à Disney d’en finir avec les remakes live-action (ou en animation réaliste).
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