Si le succès de Black Swan plaçait Darren Aronofsky parmi les réalisateurs majeurs du paysage cinématographique US, le très poussif Noé avait néanmoins calmé les ardeurs des plus enthousiastes. Forcement attendu au tournant avec Mother!, l’américain semble confirmer son intérêt pour les œuvres hybrides, teintées de mysticisme.
Ce n’est pourtant pas ce que dévoilaient le synopsis et les bandes annonces, qui laissaient entrevoir un thriller psychologique tendu, mais plus classique. Celui d’un couple aimant (Javier Bardem et Jennifer Lawrence) dont la tranquillité allait bientôt être perturbée par l’arrivée d’invités inattendus (Ed Harris et Michelle Pfeiffer) dans leur nouvelle maison.
Le réalisateur utilise d’ailleurs cette intrigue pour le moins sommaire pour continuer à nous induire en erreur pendant plus d’une heure, non sans talent. Alors qu’un couple à priori bien sous tous rapports est invité pour une nuit dans cette gigantesque maison, leur attitude va soulever une légère inquiétude chez la jeune femme. À la manière du génial Funny Game d’Haneke, ces invités trop polis vont doucement prendre possession de la demeure.
La mise en scène est sobre et laisse toute la place à un quatuor d’acteurs au diapason. Pfeiffer excelle en figure cynique face à une Lawrence virginale tandis que Bardem et Harris (un écrivain à succès et son fan) semblent cultiver une amitié étrange. Les échanges sont grinçants, et les quelques rires se font nerveux. Aronofsky prend un malin plaisir à développer une relation vénéneuse, bientôt irrespirable.
Comme dans la majorité de ses films, Requiem for a Dream et Black Swan en tête, le récit opère une lente progression vers un état second, empreint de symbolisme. Mother! n’échappe pas à la règle, mais le fait de manière plus brutale et prend le spectateur à contre-pied, au risque de le brusquer. L’insertion d’éléments fantastiques permet de donner une autre ampleur au film, qui lorgne alors sur Rosemary’s Baby (Polanski, 1968) avant de plonger dans un maelstrom de bruit et de fureur. L’occupation de la demeure se fait beaucoup plus brutale, des fans de l’auteur ne cessant de vouloir pénétrer à l’intérieur.
Le flot ininterrompu de cette foule avide et sans gêne offre les pleins pouvoirs à Aronofsky qui se sert de ce chaos visuel pour épancher toutes ses passions. Ce dernier acte cathartique est évidemment celui qui scindera le public. Le réalisateur veut parler de tout, quitte à perdre tout le monde. La relation homme/femme, le rapport à la célébrité, à l’art ou encore à la religion se mélange pour former un requiem visuellement prenant à défaut d’être toujours profond.
Jennifer Lawrence, qui subit un calvaire christique parfois dur à supporter livre ici sa plus belle performance. Comme le spectateur, qui s’identifiera ou non à elle, elle ne comprend rien. Ici, Dieu et ses humains, rongés par le même orgueil, organisent ensemble une fin du monde que Melancholia (2011, Lars Von Trier) évoquait avec infiniment plus de finesse.
À force de multiplier les strates de lecture, Aronofsky fait de son film une métaphore tentaculaire de tous les maux du monde. Ceux qui n’ont pas été écœurés seront obligés de passer par un deuxième visionnage. Les autres n’y verront qu’un pensum à l’égo démesuré, dont la violence frise le ridicule. Entre grandeur et décadence, Aronofsky ne choisit pas. Mais au moins, il étonne.
À la manière de l’hésitant The Fountain, Mother! est une oeuvre qui se détache du reste de la filmographie de l’auteur. Film clivant par excellence, il tente un habile mélange des genres entre thriller psychologique et apocalypse totale. Parfaitement maîtrisée sur le plan de la technique, sa réflexion touffue, empreinte d’un symbolisme parfois pataud découragera probablement une partie du public. Un film baroque, éprouvant, inégal, mais vraiment original.
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