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Critique Megalopolis : le réalisateur du Parrain en pleine Apocalypse Now

Megalopolis est le projet fantasmé d’un réalisateur de génie qui y a placé ce qui peut paraître comme ses dernières forces. Un film sous forme d’Happy End pour Francis Ford Coppola ?

On aurait tendance à dire que lorsque le réalisateur de la trilogie Le Parrain ou de Dracula parle, on l’écoute. Mais cela fait trop longtemps que Francis Ford Coppola ne nous a pas émerveillés – son précédent film, Twist en 2011 reste un raté – pour qu’on lui signe un blanc-seing. Ce qui ne nous empêche pas de partir avec un certain espoir à l’assaut de son Megalopolis.

Projet maturé dans son esprit pendant 40 ans et qui a connu un développement plus que chaotique, au point où il a failli passer à la trappe de nombreuses fois, avec un Coppola obligé de compenser avec ses propres deniers une grosse partie du budget. Tous les signaux semblent au rouge et pourtant, la dernière fois que la catastrophe semblait inévitable, il nous offrait Apocalypse Now. Un coup d’éclat qu’on le croyait capable de récidiver pour ce qui semble être l’un, si ce n’est le, de ses derniers films.

Megalopolis se déroule dans un futur imaginaire où New York est devenue New Rome. Une ville d’excès où le maire Cicero (Giancarlo Espostio), conservateur convaincu, est en guerre avec Cesar Catalina (Adam Driver), un architecte visionnaire capable d’arrêter le temps qui rêve de détruire pour reconstruire une société plus parfaite. Un affrontement qui va dépasser les deux hommes sous le regard et l’action de personnages comme la fille du maire, Julia Cicero (Nathalie Emmanuel), la journaliste Wow Platinum (Aubrey Plaza), le milliardaire Crassus III (Jon Voight) et son fils, l’incontrôlable Clodio Pulcher (Shia LaBeouf).

La créature de Francistein

En préambule, il est utile de préciser que la note que vous trouverez en bas de cet article aura bien du mal à refléter notre véritable ressenti au visionnage de Megalopolis. Tout simplement parce qu’il est compliqué d’émettre un jugement définitif sur un film qui apparaît comme le résultat brut d’idées vieilles de quarante ans qu’on aurait soudainement mis en images. On peut lui accorder ou lui reprocher beaucoup, et nous allons le faire, mais on a le sentiment que pour approcher le sens réel du long-métrage, il faudrait être dans la tête de Coppola. Dit autrement, Megalopolis est la conséquence d’un réalisateur laissé seul avec lui-même et il était soit en plein ego trip, soit en montée puis descente suite à des prises régulières de substances chimiques diverses et très variées. Nous assistons à une œuvre de et pour Coppola et nous, simples mortels, ne pouvons que tenter d’effleurer un sens qui nous échappe.

Megalopolis (1)
© Lionsgate

Il est ainsi amusant et ironique de peupler son film de mégalos lorsqu’on en est un. Impossible de voir différemment ce métrage qui pourrait servir d’exemple dans les écoles de cinéma lorsqu’on expliquerait le métier de producteur. Libéré de tout garde-fou qui pourrait refréner ses envies, le réalisateur, scénariste et producteur s’autorise tout et si son Cesar rêve d’une cité où tout conduirait l’homme vers une meilleure vie, lui construit une cité en LEGO où le Coppola enfant ne se soucierait aucunement de la cohérence des couleurs ou des formes. Megalopolis est un immense bordel halluciné et hallucinant où notre esprit persiste à vouloir rattacher les wagons alors que son auteur, lui, est en roue libre.

Car si on pouvait louer le bonhomme pour son sens du découpage, de la mise en scène, de sa direction d’acteur ou de sa gestion du scénario, cet ultime projet ne ressemble à rien de tout ça. Un Las Vegas Parano involontaire où Coppola tente tout pour un résultat qui ne reflète rien. On sent qu’il expérimente, mais sans se soucier d’une moindre cohérence entre ses scènes, ses dialogues, son univers, ou son montage. Un film où la folie aurait remplacé le génie. Les acteurs sont mal dirigés, les effets numériques sont baveux, le scénario, simple et déjà-vu, se perd dans tous les chemins tortueux possibles, la photographie n’imprime rien et il ne nous faut même pas dix minutes pour arrêter d’essayer de comprendre le montage.

Megalopolis (2)
© Lionsgate

L’ambition est là, voire trop là, et Coppola veut tout alors qu’il n’arrive à rien. Tout n’y est qu’allégories, constamment, et les comédiens nous débitent des phrases ampoulées dans le plus grand des calmes avec citations latines de collégien et paraphrasent Marc-Aurèle dans des costumes ambiance Rome antique. On comprend rapidement que le cinéaste veut nous présenter un portrait de notre société où nos dérives pourraient nous entraîner vers le même effondrement que la civilisation romaine, mais le parallèle est grossier, et la majorité du temps inutile. D’autres auteurs ont déjà joué à ce jeu-là, avec bien plus de subtilité et moins de ridicule.

Megalopolis des temps jadis

Il est amusant (ou triste, c’est selon) de voir que le casting semble aussi perdu que nous. Chaque acteur joue dans un film différent de ses camarades, voire dans un film différent entre le texte débité et les mouvements de son corps. Tout sonne faux, en surjeu, et seul Shia LaBeouf, plus habitué à lâcher la rampe que ses copains, s’y déplace avec une certaine aisance. On est si gênés pour les personnes impliquées qu’on espère que leur calvaire prendra fin rapidement, le nôtre aussi par la même occasion.

Mais non, le spectacle continue, Coppola voulant aller jusqu’au bout de son délire et nous voilà pris au piège de cet objet cinématographique non identifié qui a décidé de doter son personnage principal du pouvoir d’arrêter le temps sans qu’on n’en comprenne, lui comme nous, l’intérêt.

Megalopolis (3)
© Lionsgate

Megalopolis a été réfléchi il y a quarante ans et y est resté. Et si on se demandait si les informations concernant le comportement du réalisateur sur le plateau avec sa façon « à l’ancienne » de traiter les membres féminins de l’équipe étaient vraies, il suffit de regarder le film pour que cela ne fasse malheureusement aucun doute. Ses personnages féminins sont soit complètement assujettis à leurs homologues masculins, soit présentés comme avides de pouvoir, vicieux et se servant de leur corps pour réussir. Effectivement, un récit digne de la Rome antique et pas pour le mieux.

Megalopolis est une œuvre fascinante parce qu’elle nous provoque des sentiments extrêmes, parfois contradictoires, sur le résultat. Car si, personnellement, nous avons vécu notre visionnage comme la dissection, plan par plan, d’une catastrophe, on voit facilement ce qu’un autre regard pourrait lui trouver de génial pour peu qu’on se laisse porter par le fantasque (ou sénile ?) réalisateur. Un film qui abandonne toute forme de nuance pour plonger à corps perdu dans toutes ses idées sans prendre la peine de faire le tri ne peut que provoquer des réactions toutes aussi opposées. Coppola n’a peut-être plus l’énergie d’antan, mais il continue de ne laisser personne indifférent.

Megalopolis (4)
© Lionsgate

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Notre avis

Megalopolis est probablement le dernier chant du cygne d'un ancien maître qui a porté des générations de cinéphiles, mais dont les pépites passées ne peuvent faire oublier que son cygne est empaillé depuis un bail. Francis Ford Coppola accouche d'une œuvre inoubliable dans le pire sens du terme tant on se demandera encore longtemps comme ce film a pu exister. La chute de l'empereur.

L'avis du Journal du Geek :

Note : 2 / 10
5 commentaires
    1. Pour le coût, je crois que JDG ne se trompe pas beaucoup.
      Dans le style film d’auteur, c’est un exemple parfait où l’auteur a fait comme il le souhaitait sans se soucier de plaire ou non.

      1. Assez d’accord. Je trouve les critiques de ce journaliste d’habitude assez pertinentes, malheureusement pour ce film et sont auteur. Apocalypse Now et Dracula pour ne citer qu’eux sont superbe. Assez triste que la filmo de Coppola se termine comme çà.

  1. Mélancolie polissée.

    Bon, toutes les déceptions autour de ce nouveau film de Francis Ford Coppola étaient ultra prévisibles, et c’est normal – surtout en étant alimentées par une communication très maladroite :
    Des années de développement dans une autre décennie… une reprise au moment du passage aux années 2020, mais avec une logique économique qui nous donne un résultat visuel aussi anarchique que archaïque, coincé entre les années 80 et 2000 – ces images numériques dorées, floues, sans poids ni substance, très représentatives du début du siècle.
    Artificialité assumée. Effet poétique loin d’atteindre la qualité d’un Fellini.
    L’auteur a beau avoir été un des initiateurs du cinéma numérique, il n’a jamais pû en faire un outil au service de la narration comme des Spielberg, Zemeckis ou Cameron. D’autant que sa grande heure de gloire (déjà Mégalo), c’était à l’époque analogique, un temps vers lequel on ne peut pas revenir – sa succession étant déjà reprise depuis des années par sa fille Sofia.

    Puis : un casting qui fait son marché chez les valeurs sûres – Adam Driver, qui aime tant participer à des “causes perdues” (Star Wars, Jeff Nichols, Terry Gilliam, Ridley Scott, Michael Mann), et continue son étrange voyage dans la culture italienne…
    Chez les bonnes pâtes un peu cools – Giancarlo Esposito en daron strict, Nathalie Emmanuel et son magnifique visage, Aubrey Plaza dans son emploi habituel de poil à gratter, Laurence Fishburne en bonne conscience (pas très motivé)…
    Et chez ceux qui ne sont plus cools du tout, qu’on s’attend à retrouver un jour dans un énième opus polanskien indigent – les “Transformeristes” Shia LaBeouf et Jon Voight, Dustin Hoffman, presque en caricatures d’eux-mêmes…
    Et puis il y a la famille, qui ne fait que passer sauf Bailey Ives, duplicata de tonton Nic Cage (quand ça n’est pas Driver lui-même qui l’imite).
    Déjà tout ça, c’est du lourd, voir même du portnawak. D’autant que le Francis a déjà eu le défaut de vouloir courir plusieurs lièvres à la fois dans ses histoires, et laisse ici ses acteurs improviser au détriment du script…
    Certes, aujourd’hui il n’est pas le seul à faire ça. Mais il existe quand-même des cinéastes (et des producteurs) qui ont appris comment faire pour structurer une mosaïque d’idées hétérogènes, et nous donner un Tout suffisamment cohérent. Même chez Marvel, que Coppola ne se prive pas de continuellement critiquer alors que…

    Ce “Megalopolis” Est (aussi) un film de super-héros :
    Un personnage principal moralisateur, avec un trauma intime, qui a un super-pouvoir – celui d’arrêter le Temps..? Il le perd quand il est en crise de foi puis le retrouve (comme dans les deuxièmes “Superman” et “Spider-Man”) – le Temps, une continuation de thématiques scénaristiques qui intéresse Coppola dans plusieurs de ses films, à travers l’hérédité, les traumatismes et regrets passés, l’immortalité (et l’inverse), les promesses de l’avenir et même les mondes hors du temps.
    Le cinéaste ne fait néanmoins pas grand chose de cette super capacité, qui aurait pu passer pour un état d’esprit ou un effet onirique si ça ne représentait pas aussi un lien entre deux amoureux (est-ce l’élément scientifique Megalon qui lui a donné cette capacité ? pourquoi Julia arrive à le percevoir et pas d’autres ?).
    Également du super-héros à la Iron Man (un inventeur addict et arrogant), avec une part de monstruosité physique à un moment donné, hélas vite expédiée…
    Mais qui remplace les coups de poing par des joutes verbales – et des visions architecturales, souvent très belles (les statues mouvantes, les ombres portées des victimes de catastrophe)… commençant le film là où “Le Rebelle” de King Vidor finissait, en haut d’une projection phallique, pour aller ensuite dans une direction moins auto-centrée.

    Autre référence claire, le rapport des justiciers avec la grande ville, dont on peut dessiner une trajectoire allant des anciens Empires jusqu’aux cités modernes, la métaphore de Rome n’étant d’ailleurs pas du tout originale – et celle de sa Chute n’étant même pas l’objectif de Coppola, puisque c’est la recherche d’une Utopie qu’il vise.
    Dans un film qui enchaîne les hommages au Cinéma, notamment muet, impossible de ne pas penser à la paronyme “Metropolis” de Fritz Lang, déjà une fable optimiste et enfantine, plaidant pour l’union entre les opposés. Et dont le nom inspirera évidemment la ville d’adoption de Superman, père de tous les super-héros.
    Qu’on soit à Manhattan ou dans d’autres dystopies monstrueuses à la Gotham ou “Dark City”, tout y est question de verticalité écrasante ou bien aérienne – ça dépend du point de vue où on se place. Donc de lutte des classes, de la possibilité de s’élever, de labyrinthe de rues et bien sûr de la peur de leur destruction.

    Intéressante uchronie créée à partir d’une Rome antique dont la culture n’aurait pas disparu, jusqu’à citer directement la conjuration de Catilina…
    Et en même temps la façon dont Coppola y représente les jeunes de banlieue n’a pas bien changé depuis le Batman de 1989.
    Pareil, faire un pastiche de Britney Spears via une jeune prêtresse vierge, ça apparaît comme assez daté (le puritanisme américain a eu le temps d’en prendre un coup). Un peu moins pour Shia LaBeouf, en simili John Galliano pourri gâté.
    Dur aussi de ne pas penser à “Hunger Games”, son Pain et ses Jeux, dont l’ambiance survivaliste et révolutionnaire avait plus de nerfs en comparaison.
    Bref on a donc une œuvre en trois parties, plutôt Film Noir dans la première (la musique de Osvaldo Golijov est elle aussi joliment Rétro), Romantique dans la deuxième et Synthèse (forcément ennuyeuse) dans la troisième où il n’y aura même pas à combattre le populisme et l’avidité… ils finissent presque par se détruire d’eux-mêmes.

    Épopée manichéenne bien peu expérimentale, plus théâtrale et sentimentale, où Coppola (maintenant veuf) se projette à la fois dans les deux antagonistes principaux, comme s’il voulait réconcilier aussi bien les générations que les époques…
    Le seul avantage de ce film peu structuré, protéiforme, aux acteurs peu dirigés, c’est qu’il est à contre-courant du cynisme ambiant. Ou bien d’une stylisation carrée à la Fincher ou Nolan, autres bâtisseurs d’architectures complexes, mais incapables de faire muter leur cinéma.
    Et en étant aussi brut, sans filtre (après tout, quand on s’appelle Francis) et sans la présence de producteurs contradicteurs, “Megalopolis” devrait faire tomber les illusions des spectateurs attachés à la notion d’Auteur tout puissant – et de Légende.
    Quand le plaisir de tourner et l’illustratif comptent plus que la précision et la puissance du Sens, c’est peut-être tout simplement de l’Art naïf.

    Modestopolis finalement ?

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