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[Critique] Imitation Game : À la rencontre d’un des pères de l’informatique

Héros oublié de la Seconde Guerre mondiale, Alan Turing fut gracié à titre posthume par la reine d’Angleterre en 2013. Le long-métrage de Morten Tyldum retrace…

Héros oublié de la Seconde Guerre mondiale, Alan Turing fut gracié à titre posthume par la reine d’Angleterre en 2013. Le long-métrage de Morten Tyldum retrace l’incroyable course contre la montre d’un des plus talentueux mathématiciens anglais.

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En choisissant d’adapter Alan Turing : The Enigma, ouvrage primé d’Andrew Hodges sorti en 1983, le réalisateur Morten Tyldum lève le voile sur une histoire restée relativement discrète hors du sol anglais, dont les retombées technologiques trouvent encore un écho dans l’informatique aujourd’hui.

En 1940, acculée par l’Allemagne nazie, l’Angleterre peine à déchiffrer la célèbre machine Enigma, qui permet à l’Axe de communiquer grâce à des messages codés. Les services secrets britanniques décident alors de former une unité spéciale, composée des meilleurs cryptologues et mathématiciens du pays, sans pour autant les informer clairement de l’ampleur de la tâche. Parmi eux, un jeune génie nonchalant nommé Alan Turing, incarné par le très flegmatique Benedict Cumberbatch. Ce dernier comprend vite que le crayon et le papier ne suffiront pas à comprendre les innombrables messages transmis par Enigma, et se met en tête de concevoir une machine capable de travailler bien mieux que n’importe quel être humain.

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Avec Imitation Game, Tylden propose de prendre de la distance avec la violence du conflit pour se focaliser sur la guerre silencieuse que se sont livrés une poignée d’intellectuels de bureau. Ici, le sang et la poussière sont remplacés par des cravates à pois et des vestes en tweed. Bien difficile dans ces conditions de restituer l’intensité de ce moment décisif pour l’Europe. Afin d’accrocher le spectateur, le réalisateur a choisi de raconter son récit sur différentes échelles. Celle d’un pays, d’un groupe de chercheur, et d’un homme incompris. Cette alternance entre la grande Histoire et la petite donne toute sa force au récit, car elle permet de s’intéresser à l’intimité des protagonistes, sans jamais oublier le but ultime de leur travail. De cet équilibre naît une tension constante, qui empêche les temps morts et dynamise la narration.

Cette vision macroscopique de la guerre n’empêche pas le spectateur de se focaliser sur le vrai héros du film. Benedict Cumberbatch livre une performance taillée pour les Oscars, et s’insère parfaitement dans la peau d’un homme arrogant mais fragile, qui comprend les nombres sans jamais comprendre les hommes. Comme dans Sherlock, le comédien britannique arrive à mettre en avant les obsessions de son personnage, mais laisse également entrevoir la déchirure profonde du héros, intimement liée à l’enfance et à son orientation sexuelle.

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Keira Knightley, qui interprète Joan Clarke, la collègue et compagne de Turing, seconde parfaitement Cumberbatch, et n’écrase jamais la figure principale du film. Elle incarne le rôle d’une femme compréhensive, dont le caractère et l’intellect restent la meilleure des armes dans un milieu exclusivement masculin. Le reste de l’équipe a bénéficié d’un casting solide, notamment Matthew Goode et Mark Strong, qui représentent implicitement les voix de la raison, mais ralentissent le travail de Turing.

On aurait pu reprocher à Tylden de prendre trop ses aises avec la grande histoire, en omettant de préciser que plusieurs milliers de personnes travaillaient sur Enigma, ou que la machine de Turing est elle-même inspirée du travail de savants polonais, mais ses choix font toujours sens. Ils sont même courageux, puisque ce dernier ne se sert pas de l’homosexualité de Turing comme d’un moyen d’en faire un martyr. Il aborde la question avec tact, sans omettre la brutalité des lois de l’époque, et souligne l’absurdité d’un gouvernement qui inflige un traitement inhumain à un homme dont le génie peut sauver des millions de vies. Cette terrible ambivalence se retrouve également dans les travaux du mathématicien, car le spectateur comprend vite que décrypter Enigma sans que les Allemands s’en rendent compte va soulever une question imprononçable : Qui sauver ?

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Porté par des acteurs impeccables, Imitation Game est sans conteste un des grands films de 2015. En révélant les multiples ambiguïtés d’un prodige des mathématiques, Morten Tyldum sort du film de guerre traditionnel et met en lumière les prouesses de travailleurs de l’ombre. Il offre également son plus beau rôle à Benedict Cumberbatch, désormais bien placé dans la course aux Oscars. Mais il réhabilite avant tout la figure d’Alan Turing, génie tragique de la Seconde Guerre mondiale, sacrifié injustement par la nation qu’il défendait.

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16 commentaires
  1. Je confirme, très bon film. Cela dit, il est effectivement mentionné dans le film que Turing s’inspire de machines polonaises pour concevoir la sienne. 🙂

  2. J’ai très envie de voir ce film! mais a priori, il y a qu’une salle dans tout mon département qui va le passer… je reste perplexe…

  3. Je n’ai pas vu le film, mais s’il vous a plu, je pense que vous allez aimer la série “Manhattan” qui est plus ou moins pareil sauf que ca tourne autour des bombes nucléaires (on suit une équipe de scientifique reclus dans un petit village aux US pendant la 2nde guerre mondiale)

  4. Pour l’anecdote (à prendre avec des pincettes), Alan Turning, accablé par la pression sociale qu’il subissait de par son homosexualité, s’est suicidé en injectant du poison dans une pomme pour ensuite la croquer. Il paraitrait que le logo d’apple est une référence à cette triste histoire. Je me demande d’ailleurs si les premières couleurs du logo d’apple n’étaient pas une référence au rainbow flag, les couleurs du mouvement gay.

  5. Film absolument fantastique, réalisation et acteurs au top. L’histoire, même si on l’a connait déjà est prenante. Un bel hommage à un des pères de l’informatique!

Les commentaires sont fermés.

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