Il occupe seul l’affiche d’Heretic et on comprend pourquoi. Hugh Grant est mondialement connu pour ses rôles de charmeur britannique ayant fait succomber toute la gente féminine d’une époque. De Coup de foudre à Notting Hill en passant par Bridget Jones, il a cumulé les comédies romantiques sans, de son propre aveu, aucun intérêt pour ce type de personnage. Ce qui avait fini par lui créer une réputation dans le milieu d’acteur peu sympathique sur les plateaux et en interviews. Mais ça, c’était avant.
Depuis quelques années, et l’âge aidant à moins le voir comme le gendre idéal, il a entamé un virage dans sa carrière pour incarner davantage les vilains de l’histoire. Paddington 2 ou Donjons & Dragons : l’honneur des voleurs en sont des exemples récents. Néanmoins, il jouait surtout les filous manipulateurs, souvent drôles malgré eux, comme s’il fallait opérer une transition pour que le public s’habitue, petit à petit, à le voir comme le sale type. Avec Heretic, Hugh Grant a achevé sa mue et le sourire charmeur a été remplacé par un sourire bien plus carnassier.
Sœur Barnes (Sophie Tatcher, Yellowjackets) et Sœur Paxton (Chloé East, The Fabelmans) sont en mission pour l’Église de Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours, une confession religieuse mormone. Elles passent l’après-midi à faire du porte-à-porte pour parler à des gens s’étant déclarés intéressés par la parole de Dieu. Lorsqu’elles arrivent à la maison de Mr Reed (Hugh Grant), elles ne sont pas conscientes du piège qui se referme sur elles.
L’horreur bavarde
Lorsqu’une maison se situe à l’écart du voisinage, que les fenêtres paraissent inhabituellement étroites, qu’un homme vous invite à entrer et qu’il vous dit que le toit et les murs sont recouverts de métal, tous ces indices devraient vous pousser à fuir immédiatement le plus loin possible. Alors pourquoi le piège fonctionne ? Parce que Hugh Grant n’a pas son pareil pour aborder un visage souriant vous mettant en confiance. C’est bien pour cela que les deux sœurs acceptent l’invitation alors qu’elles ne doivent pas se retrouver seules en présence d’un homme sans autre figure féminine ; parce que lorsque Grant vous dit que sa femme se trouve dans la cuisine et va arriver, vous le croyez.
Tout le premier acte d’Heretic est effroyablement efficace dans sa manière de créer une atmosphère apaisante autour d’une simple conversation. Les réalisateurs et scénaristes Scott Beck et Bryan Woods (derrière le scénario de Sans un bruit) installent un tableau théâtral, une discussion presque banale en champ/contrechamp autour de la religion. Les deux sœurs sont ravies, de prime abord, d’avoir affaire à un homme érudit, ouvert sur le sujet, et ce, malgré le caractère volontairement claustrophobe de l’endroit. Leur hôte se veut avenant, drôle, sans malice. Et puis, le malaise grandit au rythme des questions de plus en plus tranchantes, dérangeantes. Soudain, le climat devient oppressant et l’homme affable sourit à présent comme un prédateur.
Un peu à la manière d’un David Fincher, le duo a fait des mots des armes plus effrayantes que n’importe quelle scène à sensation d’un film d’horreur. Le spectateur sait que les choses vont mal tourner, mais impossible de prévoir quand, et la tension ne fait que monter crescendo jusqu’à ce que nos deux victimes découvrent qu’il est trop tard. Et si on salue, depuis le début, l’incroyable jeu d’acteur d’Hugh Grant qui manie sa langue comme une lame qui s’enfonce dans les plaies, on peut également applaudir les prestations de Tatcher et East. La première joue la carte de la confrontation là où la seconde s’efface dans l’espoir d’amadouer leur geôlier. Chacune a un rôle, prédéfinie, qui ne demande qu’à être réécrit le long du nœud qui se resserre autour de leurs cous.
Heretic risque de décevoir par son refus ou presque de sensationnalisme, très à la mode dans le cinéma de genre moderne. Certes, on a bien quelques effets à détourner le regard, mais ils n’interviennent que lorsque le scénario l’exige et non pour satisfaire une demande du public. À bien des égards, le personnage de Grant se rapproche de celui de Jigsaw dans l’emprise psychologique qu’il a sur ses victimes, sans avoir besoin de recourir à une autre forme de torture que la torture mentale. En partie. Reed est un protagoniste horrifiant non pas parce qu’il fait, mais parce qu’on ne sait jamais ce qu’il pourrait faire. Heretic prend le parti-pris de jouer sur son ambiance davantage que sur du gore ou du jump scare à foison et c’est ce qui le rend terriblement plaisant.
Un troisième acte à la Mormon-le-nœud ?
Il y a fort à parier qu’Heretic fera lever plusieurs sourcils dans son discours religieux qui n’épargnera rien ni personne. On sent néanmoins que le tandem a bossé son sujet et qu’il n’a pas peur de confronter les croyances en questionnant la notion de foi, quitte à aller parfois dans le ridicule avec des références hautement discutables. Toutefois, il a l’intelligence de proposer une réelle confrontation de point de vue sur le sujet, notamment par le biais de Sœur Barnes qui n’hésite pas à attaquer le point de vue de son tortionnaire. Le récit n’a pas l’intention de désigner qui a raison ou qui a tort parce qu’il élimine le rationnel par l’emprise. Ce qui lui permet, de fait, de botter plusieurs fois intelligemment en touche.
Et si le film faiblit, c’est uniquement lorsqu’il semble arriver au bout de son sujet : l’histoire doit aller de l’avant. Soudain, le récit emprunte des chemins plus classiques à base de rebondissements devinables. Même la rhétorique de Grant perd de sa superbe puisque les choix sont faits et que les réponses, pas toutes réussies, ont supplanté les questions.
On n’en reste pas moins satisfait du résultat final, Beck et Woods étant allés au bout de leurs idées sans se laisser vampiriser par de l’horreur facile, tout en gardant une dimension amusante à l’ensemble. Heretic n’est pas si effrayant que supposé, il est étonnamment bavard, mais on n’a jamais l’impression que cela le handicape, bien au contraire. Un film qui menace souvent de s’écrouler sous un concept qu’il paraît impossible de tenir jusqu’au bout. C’était sans compter sur le talent de son trio de comédiens avec, à sa tête, un Hugh Grant qui trouve, ici, facilement l’un de ses meilleurs rôles. Le gendre idéal est devenu le diable idéal.
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