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[Critique] Les Frères Sisters : Il était une nouvelle fois en Amérique

Trois ans après sa palme d’or, Jacques Audiard resurgit dans un registre inattendu et livre un western pour le moins singulier. Assez pour faire date ?

Depuis quelques années, le western revient sur le devant de la scène du cinéma américain. Conscient de son héritage, le genre a néanmoins entamé une mue profonde, notamment en ce qui concerne le traitement de ses figures historiques. Le début d’année fut d’ailleurs marqué par le très bon Hostiles, décrivant le rapport plus qu’houleux de certains unionistes avec les indiens. Il est donc particulièrement étonnant de retrouver Jacque Audiard à la manœuvre sur une telle production.

John C. Reilly, qui partage l’affiche avec Joaquin Phoenix, a pourtant choisi le français pour adapter ce roman de Patrick DeWitt, dont il détenait les droits. Ce dernier évoque la vie tumultueuse de Eli et Charlie Sistsers, deux tueurs à gages travaillant pour un truand local, durant une mission qui va les faire voyager de l’Oregon à la Californie. Si le cadet agit de manière implacable, l’ainé s’interroge sur l’impact d’une vie de violence.  Lancés à la recherche d’un intrigant chimiste (Riz Ahmed), déjà suivi par un détective lettré (Jake Gyllenhaal), ils vont découvrir malgré eux une autre part de leur humanité.

S’il a voulu se différencier sur le fond, Audiard soigne la forme. Il livre une mise en scène respectueuse du genre, et s’amuse à recréer tous les poncifs du film de cowboy. Paysages crépusculaires, bivouac, nuit à la belle étoile, bagarre de saloon… L’abécédaire du Grand Ouest est respecté, parfois sublimé comme le montrent ces visions apocalyptiques de chevaux en feu ou de granges brulées. Un désespoir ambiant toutefois contrebalancé par une nature toujours paisible, qui se transforme en une invitation à flâner.

Contrairement aux films de Leone, auquel chaque western est irrémédiablement comparé, la violence est souvent déportée. À l’image de la fusillade d’ouverture, les joutes (souvent nocturnes) s’avèrent cryptiques et c’est bien souvent l’éclat de la poudre qui nous signale où se déroule l’action. Comme si le réalisateur voulait souligner que l’intérêt de son western se trouvait ailleurs.

Cette dualité se ressent évidemment dans le casting. Loin d’être des enfants de chœur, les deux frères sont néanmoins bien différents. Une fois encore, Joaquin Phoenix arrive à incarner ce trop-plein de fougue, à la limite de la folie, tandis que Reilly, le visage buriné, montre plus de sensibilité.

Charlie estime que la violence « coulait déjà dans le sang pourri de son père », Eli lui rappelle que c’était surtout de l’alcool. Audiard laisse entrevoir une profonde déchirure liée à la figure paternelle, tout en restant évasif, conférant à ces laissés pour compte un esprit de vengeance universel.

Sans crier gare, il opère une cassure au milieu de son film. Un changement de ton assez radical provenant de la rencontre entre les frères et leurs cibles, le chimiste Herman Warm et le détective John Morris. Deux hommes dont la philosophie va totalement à l’encontre de l’appât du gain, devenu une religion dans le pays depuis la ruée vers l’or.

Warm, qui détient une formule permettant de récolter facilement le précieux métal dans les rivières, rêve d’une société égalitaire en plein cœur du Texas. Une idée que Charlie et Eli ne peuvent même pas imaginer. L’opposition de ces deux modèles de société va pourtant laisser libre cours à une parenthèse utopique totalement inédite pour le genre, et tisser en filigrane le paradoxe de l’histoire américaine.

Le film prend alors l’allure d’une fable, toujours parfaitement soutenu par les partitions d’Alexandre Desplats, décidément partout. Les grandes figures patibulaires du genre semblent ainsi s’estomper pour livrer une autre vérité sur les hommes de l’époque. Le réalisateur essaime ainsi des personnages singuliers tout le long du chemin (la gérante du saloon très masculine, par exemple).

Cette divagation poétique ne dure qu’un temps, et les protagonistes sont bientôt rattrapés par la dure réalité du terrain, mais l’aspect onirique de l’ensemble persiste. Peut-être un peu trop, tant les dix dernières minutes nous paraissent mielleuses. Qu’à cela ne tienne, Audiard voulait être original, il a trouvé le bon filon.

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Notre avis

Porté non pas par deux, mais quatre très bons acteurs, les Frères Sisters prendra les amateurs de westerns à revers. Bien qu’il respecte la mise en scène propre au genre, Audiard évite les poncifs en dressant le portrait d’hommes singuliers, conscient qu’ils font partie d’un monde sauvage et malade de profit. À travers une épopée rugueuse, mais onirique, le français n’a de cesse de souligner le paradoxe lié au rêve américain, qui peut vite se transformer en cauchemar. Un anti-western original et audacieux.

L'avis du Journal du Geek :

Note : 8 / 10
2 commentaires
  1. "John C. Reilly…a pourtant choisi le français pour adapter ce roman de Patrick DeWitt", c’est pas très clair votre tournure de phrase, je pensais que le film était tourné en français (et je ne comprenait pas comment tout ces acteurs savaient parler français)

  2. Le livre est vraiment bon. Un western très différent de ce à quoi on est habitué. Plus introspectif qu’actif, je me demande ce que ça va donner en film. J’espère que plusieurs le liront avant ou après le film.

Les commentaires sont fermés.

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