Ferrari s’ouvre sur une séquence de course automobile mélangeant images d’archives et plans numériques où l’on voit un jeune Enzo Ferrari au volant, soulevant la poussière au rythme des crissements de pneus. Le temps passe et le cœur de l’intrigue se déroule en 1957 avec un pilote devenu dirigeant d’une marque désormais mondialement connue, mais dont la situation professionnelle et personnelle est aussi rouge que ses voitures. L’entreprise est au bord de la faillite, son mariage aussi. Une année à la croisée des chemins où Enzo va tout miser sur le Mille Migla, une course de près de 1600 kilomètres sur les routes de la région pour permettre au cheval cambré de repartir au galop.
On aurait tendance à dire que quand l’homme responsable du Dernier des Mohicans, Heat, Miami Vice, Collateral et autre flopée de monuments du septième art parle, on l’écoute. Mais les deux dernières fois que Michael Mann a été aux commandes d’un long-métrage, cela a donné un Public Ennemies et un Hacker qui ne se passent pas de tout commentaire. La lame du monsieur se serait-elle un peu émoussée ? Ferrari avait toutes les envies du monde de nous prouver le contraire.
Sous bien des aspects, la machine est effectivement rutilante. Michael Mann reste un orfèvre de la caméra et il suffit de le voir filmer une course pour comprendre que malgré des Le Mans 66, Rush ou toute autre réalisation – pourtant solide – sur le sport automobile roi, oui, il y avait encore bien des façons de filmer des voitures lancées à pleine vitesse.
Le cinéaste est un maître du plan saisissant, celui capable de nous éblouir, comme le regard d’un pilote capable de nous faire ressentir tout le frisson, l’adrénaline, le danger et l’amour qu’ils ont pour la vitesse et l’extase de la course. Le genre de plan qui vaut mille mots.
L’année 1957 n’a rien d’une promenade de santé. Les voitures ne sont pas les machines technologiques d’aujourd’hui, ce sont de véritables boîtes de conserve lancées à vive allure avec un homme à peine protégé. On parle d’un sport où le résultat compte alors plus que la vie, où la mort d’un pilote est presque un fait divers avant de faire la Une sur son remplaçant. Une discipline froide, métallique, pratiquée par des hommes qui ont le sang chaud, qui mettent leur vie en jeu à chaque départ.
Un état d’esprit parfaitement retranscrit par Mann qui filme la course avec extase et qui filme la mort avec l’absurdité d’un corps volant comme une poupée de chiffon, comme s’ils n’étaient que des marionnettes aux ordres du grand marionnettiste, Enzo Ferrari.
Pour camper son maître à penser, Mann fait confiance à Adam Driver qui retrouve sous ses faux cheveux blancs d’homme de dix ans plus âgé à l’écran, l’accent italien qu’il pratiquait sur House of Gucci. Et si on peut toujours s’amuser de voir des acteurs étrangers (Shailene Woodley et Penélope Cruz complètent le casting de tête) jouer les Italiens pure souche avec toute la panoplie, la pratique est vieille comme Hollywood et on ne peut nier qu’on oublie vite les origines de ceux qui se cachent derrière.
Dans le rôle-titre, Adam Driver convainc, mais peut-être un peu trop. Le talent n’est pas tant à remettre en cause que l’implication trop stricte avec laquelle Driver incarne un homme peu connu pour son expressivité. Résultat, Driver ne transmet aucune émotion, même lorsqu’il livre un monologue censé être poignant sur la tombe de son fils, décédé un an plus tôt. L’acteur est un marbre au regard fermé qui en oubli d’être magnétique, d’être fascinant.
Surtout qu’en face, il a droit au meilleur jeu de Penélope Cruz en épouse blessée, co-gérante de l’entreprise, patronne des comptes et mère en deuil. Une panoplie qu’elle dégaine aussi facilement qu’un revolver lorsqu’elle parvient à être l’opposé de son camarade, une tornade d’émotions à chaque expression, orale ou physique. L’actrice vole toutes les scènes où elle apparaît et ce n’est pas peu dire tant elle n’est finalement pas si présente. Même chose du côté de Shailene Woodley qui a nullement l’intention de se faire dévorer par le jeu de son partenaire, mais qui a la planche savonnée par son statut de troisième roue d’un monocycle.
Oui, on a bien dit monocycle. Tout simplement parce que Ferrari est un film… sur Ferrari (qui l’eut cru ?) et que ce dernier est aussi admirable qu’un feu de circulation. On sait Mann fasciné par les personnages masculins déconnectés, des observateurs à la marge dont il veut nous pousser à voir leur monde au travers leurs yeux. En ce sens, Enzo est effectivement un sujet en or tant il représente toutes les thèmes chers au réalisateur. Alors où est-ce qu’il y a une sortie de piste ? Dans son titre.
Ces personnages que Mann affectionne ont tous un point commun : une autre figure capable de contrebalancer cette vision afin de faire se confronter les points de vue, souvent dans la violence. La figure de proue de Mann fascine parce qu’elle sort de la norme dictée par le reste des acteurs au récit. Or, Ferrari est entièrement dédié à cette figure sans lui offrir un espace de contradiction, ne laissant pas assez d’air à la femme déchue et à la maîtresse pour trouver l’équilibre. Enzo est partout, tout le temps.
Sauf qu’Enzo Ferrari n’a rien d’un personnage attachant, plaisant, intriguant. C’est un self-made man qui voit le véhicule avant la vie, qui lève à peine les yeux sur sa femme et qui aime user la patience de sa seconde famille. Il est profondément antipathique et mono-expressif. Et 130 minutes en sa compagnie, le temps devient vite long. Les passages dans son intimité, qui constituent pour moitié le film, ne sont alors intéressants que pour les rôles féminins, mais cela manque profondément d’humain.
Il demeure de Ferrari une sensation étrange. Celle de ressentir un manque à l’histoire, cette envie de voir l’éclaircie d’une évolution chez l’homme, de connaître la suite, de ressentir le besoin de prolonger l’expérience au-delà de sa durée, persuadé que Mann a encore des choses à exprimer. Un sentiment renforcé par la sensation qu’il manque des scènes, des morceaux pour réellement saisir toutes les nuances de ces personnages là où d’autres séquences paraissent précipitées, sacrifiées. Une fascination pour ce qu’on n’a pas vu provoquée par la frustration de ce qu’on voit ; deux heures dix à bord d’une Ferrari en pilotage automatique dont le moteur finit inlassablement par ronfler un peu.
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