Notre esprit peut nous jouer bien des tours lorsqu’on est endormi et on peut rêver de tout et de rien sans s’en souvenir. Rêve-t-on que notre club est premier au classement de son groupe en Ligue des Champions ? Qu’on fréquente une star ? Qu’on a eu une augmentation au boulot ? Qu’on chevauche une licorne ? Que Leonardo DiCaprio monte une équipe pour infiltrer notre subconscient ? Ou qu’un Nicolas Cage chauve et bedonnant se plante au milieu du décor ? Si vous avez déjà vécu la dernière idée, alors vous êtes dans Dream Scenario.
Le film de Kristoffer Borgli, qui s’était déjà démarqué l’année dernière avec Sick of Myself, situe l’action autour de Paul Matthews, professeur émérite, père de famille, mais d’une banalité confondante. Jusqu’au jour où des millions de personnes se mettent à rêver de lui sans le connaître. Il va devenir un réel phénomène médiatique pour le meilleur… comme pour le pire ?
Il y a des acteurs à la filmographie bien menée, faite de bons choix, de collaborations avec des réalisateurs renommés, de récompenses, et il y a Nicolas Cage. Nicolas Cage, ce sont des bons choix, oui ; des collaborations avec des réalisateurs renommés, oui ; des récompenses, aussi ; mais c’est surtout une carrière de plus d’une centaine de films qui a connu les projets les plus rentables au box-office, les plus cultes pour les cinéphiles, les plus fauchés, les plus nanaresques et les plus bizarres. En bref, qu’on parle de coupe de cheveux ou de son prochain film, Nicolas Cage a un talent en or massif : être là où on ne l’attend jamais. Et c’est bien vers les rôles les plus décalés que l’acteur semble désormais trouver chaussure à son pied puisque rien que sur ces 2 dernières années, on a pu le voir incarner un chasseur de truffes en colère, un homme d’entretien piégé avec des animatronics, Dracula ou encore lui-même.
Alors, quand on nous vend un long-métrage où Nic Cage habite littéralement nos rêves et nos cauchemars, l’association du concept et de l’acteur ne pouvait que nous pousser à voir absolument ce Dream Scenario. D’autant que même si l’un des deux finit par flancher, on sait très bien que si on aime Nic, c’est parce qu’il ne nous a jamais déçus sur un point : sa capacité à prendre chaque rôle très, très au sérieux.
Un dream rôle pour Nicolas Cage ?
On ne reviendra pas sur les déclarations promotionnelles de l’acteur concernant son implication sur le film, on sait très bien qu’on pourrait lui écrire un personnage se pensant le sosie de Dwayne Johnson qu’il le vendrait comme son Empire romain. Ça c’est notre Nic, un professionnel jusqu’au bout de la calvitie (uniquement pour jouer Paul, on se rassure).
Toujours est-il que Borgli a eu raison de faire confiance au comédien d’expérience tant le film ne bifurque quasiment jamais sur un autre protagoniste, donnant à Paul Matthews la faveur du moins élément narratif introductif, perturbateur ou conclusif. Cage est de toutes les scènes, ou presque. Pas de quoi lui mettre la moindre pression, au contraire. En monsieur tout-le-monde, le bonhomme brille, parfois trop.
Le scénario lui donne beaucoup à jouer derrière cette fausse banalité. Professeur ennuyeux, mari effacé, tonton gênant aux repas de famille… L’homme n’est personne si ce n’est la victime de ses propres choix, se laissant marcher dessus par quiconque soutiendrait son regard. La définition même d’un être sans importance. Un homme constamment gêné d’exister, mal à l’aise dans ses interactions, dans ses mouvements, dont l’existence devient gênante dès lors que le projecteur se braque sur lui.
L’inaction de Paul dans sa vie commence à s’insérer dans la vie des autres. On s’en amuse. Reflet triste du phénomène de foire dont on préfère rire du qui, au lieu de vraiment se demander le pourquoi. Et lorsque Paul tente de gagner en assurance, coupable d’orgueil, voilà que l’inoffensif devient nocif. Kristoffer Borgli capte parfaitement ces changements de paradigmes en s’appuyant sur la simple posture de son acteur, parvenant à suggérer le pire dans l’esprit de son entourage et du spectateur rien que par sa présence dans la pièce. Soudain, en ne faisant rien, Paul fait tout, et surtout, il fait peur.
Dream Scenario joue sur nos craintes de l’anormalité derrière la normalité dans une société qui pousse à chercher l’extraordinaire. Il joue également sur notre perception en manipulant son décorum. Les pièces se rétrécissent, la lumière devient faible ou oppressante, la foule s’évapore, isolant son personnage principal. Une personne seule est-elle pour autant dangereuse ? La logique entend le contraire, mais le long-métrage parvient à semer le doute. Comme celles et ceux qui rêvent de Paul, il y a la volonté de ne pas y croire, de ne pas laisser notre subconscient avoir la maîtrise de notre perception et puis, le doute s’installe et ne nous quitte plus. Où s’arrête la réalité ? Où commence le rêve ? Dream Scenario n’appuie pas particulièrement cette idée, et pourtant, elle s’est installée.
Black minor
Néanmoins, le concept a beau être suffisamment alléchant pour nous mener devant le film, il n’est pas assez puissant pour nous y maintenir jusqu’au bout. On sent rapidement que le scénario commence à manquer de souffle, incapable de tenir ses 102 minutes sans qu’on ne ressente une certaine lassitude face à des événements qui font du surplace ou qui auraient pu intervenir bien plus vite.
À ce titre, la deuxième heure cumule davantage les poncifs et, pire, on a droit à plusieurs conclusions qui auront tendance à amoindrir l’impact. Surtout que tout le propos sur la célébrité, ses bénéfices comme ses travers, n’apporte rien de nouveau sous le soleil. Notre rapport au numérique, aux phénomènes de groupe, au dysfonctionnement humain qui désire ce qu’il ne peut pas avoir… Tout paraît superficiel, rabâché, déclaré dans les premières minutes puis allongé pour faire office de remplissage. Dream Scenario est un film qui se base sur son concept, mais qui n’a pas assez d’arguments pour parvenir à le surpasser et s’écroule avant la fin. Heureusement, il reste Nicolas Cage.
🟣 Pour ne manquer aucune news sur le Journal du Geek, abonnez-vous sur Google Actualités. Et si vous nous adorez, on a une newsletter tous les matins.