La fin du coup de mou pour Tim Burton ? Depuis près d’une décennie, le cinéaste autrefois acclamé pour sa créativité et son esthétique gothique semblait avoir perdu de sa superbe. De Big Eyes à Miss Peregrine et les enfants particuliers en passant par Dumbo, le papa d’Edward aux mains d’argent paraissait essoré par l’exercice des super-productions. Cinq ans après sa dernière apparition dans les salles obscures, il revient à l’univers qui l’a fait connaître auprès du grand public, à un classique d’Halloween qui a bercé des générations de spectateurs fascinés par la mort et l’étrange. Beetlejuice n’a pas pris une ride (si…) et le public n’attendait que son retour.
Plusieurs décennies après sa première rencontre avec le bio exorciste, Lydia Deetz utilise ses dons pour communiquer avec l’au-delà et anime une émission de télévision à succès. Elle est désormais mère de famille, mais sa relation avec sa fille n’est pas des plus simples. L’adolescente ne croit pas aux fantômes, voit sa mère comme un charlatan. Lorsqu’une tragédie réunit Lydia, Astrid et Delia, il ne faut pas attendre très longtemps avant que le nom de Beetlejuice ne soit prononcé trois fois et que les portes qui mènent vers l’au-delà ne s’ouvrent à nouveau…
La mort nous va si bien…
Dès le début du tournage, Warner Bros et Burton ont mis l’accent sur la part non négligeable d’effets spéciaux, décors réels et artifices que cette suite convoque. On a reproché au réalisateur d’avoir trop misé sur le numérique pour faire éclore certains de ses univers, Alice aux Pays des Merveilles et Miss Peregrine et les enfants particuliers en premier lieu, la firme veut insister sur ce retour aux sources. Pour le cinéaste, il en va de la confiance du public.
Beetlejuice Beetlejuice a ainsi largement été pensé comme un hommage à l’artisanat du septième art. Comme le premier film, cette suite devait convoquer la stop-motion, d’abord dans le vide qui abrite le ver de sable, mais aussi et surtout pour appuyer les gags visuels qui ponctuent le récit. Si cet art a été quelque peu délaissé par les super-productions, force est de constater qu’il fait toujours recette. Grâce à lui, Burton renoue avec une esthétique faite de bric et de broc (en apparence seulement puisque le film a coûté la bagatelle de 100 millions de dollars).
Grâce à cette facture plus importante, l’univers de Beetlejuice Beetlejuice devient encore plus riche, la copie du cinéaste fourmille de belles idées et de trouvailles enthousiasmantes. On retrouve avec plaisir le coup de crayon de celui qui s’amuse à tordre les lignes, jouer avec la perspective et le regard des spectateurs pour faire éclore un microcosme gothique, fantomatique et ludique. Burton multiplie les effets de textures, de couleurs et de lumière, et ça marche.
Des prothèses qui donnent vie à ses sbires aux têtes réduites, jusqu’au maquillage qu’arbore Willem Dafoe, Beetlejuice Beetlejuice est deux fois plus gourmand en effets pratiques que son aîné. Ce n’est pas pour nous déplaire. Si le terme CGI semble être devenu un gros mot à Hollywood (merci Marvel) cette suite nous rappelle que les effets numériques peuvent être mis au service de la créativité pour inviter l’audience à plonger dans un univers riche et esthétisé. Après une apnée créative d’une décennie, Burton trouve en Beetlejuice une bouffée d’oxygène. Comme son prédécesseur, le film est une course contre la mort qui ne manque pas de vie.
Le pouvoir des trois
Le propre de l’univers de Burton est sans conteste d’ajouter de la poésie au macabre et à la tragédie. En 1988, à partir d’un scénario de Michael McDowell, il questionne ce qu’il y a après la mort, avec tendresse autant qu’ironie. Il confronte une adolescente qui veut en finir avec la vie à un couple qui donnerait tout pour la retrouver. Des années plus tard, Lydia est devenue mère et doit composer avec le deuil d’un père, une relation conflictuelle avec sa fille et la relation toxique qu’elle entretient avec son compagnon et producteur. Il n’y a qu’avec sa belle-mère, l’excentrique Delia Deetz, que les relations sont apaisées.
Comme pour le premier film, c’est à travers le regard de Lydia que la narration évolue. Tiraillé entre les deux mondes, le personnage est confronté à ses propres fantômes. La crainte de voir Beetlejuice ressurgir dans sa vie l’empêche de voir un mal encore plus sournois qui s’est invité à ses côtés, qui nécrose ses relations et qui l’emprisonne. Cette fois-ci, Burton s’attarde sur les vautours qui entourent les personnes en deuil, sur la manière dont la perte rend vulnérable.
Le scénario d’Alfred Gough et Miles Millar porte souvent un regard acide sur ses personnages, exception faite du trio d’héroïnes qui brille par sa sincérité. Winona Ryder et Catherine O’Hara crèvent à nouveau l’écran, bien aidée par le tempo comique de la narration. Les deux actrices donnent de nouvelles couleurs à leurs protagonistes, se réinventent avec brio. Jenna Ortega n’est pas en reste, elle qui avait déjà fait la démonstration de son talent dans Mercredi. La série était en partie réalisée par Tim Burton et cette nouvelle collaboration permet au duo de gagner en pertinence et en efficacité. La jeune comédienne prouve qu’elle a ce qu’il faut pour devenir une icône du fantastique, comme Winona Ryder des années plus tôt.
Reste que si le trio principal convainc, la narration ne rend pas toujours hommage aux enjeux narratifs auxquels il est confronté. La mise en place, plutôt longue, ne suffit pas à donner corps aux différentes intrigues qui évoluent devant la caméra de Burton. En multipliant les lieux et les trames narratives, Beetlejuice Beetlejuice s’égare dans les limbes d’un imbroglio dont il lui sera difficile de s’extirper. C’est particulièrement vrai concernant le personnage de Dolores, présentée comme l’antagoniste principale, mais finalement cantonnée à quelques apparitions (inspirées certes) aux conséquences spectrales. Jamais l’histoire ne lui permettra d’être autre chose qu’un joli caméo, entré au chausse-pied dans une aventure qui multiplie déjà les errances. En deux coups de cuillères à pot, l’héroïne est balayée de l’échiquier.
C’est plutôt dans les détails que Beetlejuice Beetlejuice trouve sa force, dans la vraisemblance de ses scènes plus intimes. Lorsqu’une conversation entre Delia et Astrid encapsule leur complicité, autour de l’histoire d’amour chaotique de Lydia, on se dit que le film aurait eu tout à gagner à donner plus d’espace à ces moments suspendus, plutôt que d’approfondir la mythologie de Beetlejuice.
Michael Keaton se suffit à lui-même, renouant sans déplaisir avec son personnage exubérant, un brin hyperactif, mais toujours captivant. On dira même que sa place dans l’histoire de Lydia lui offre une occasion de s’extirper de sa position de monstre sans scrupules.
Vraiment nécessaire ?
Plus de trois décennies après le premier film, Burton avait-il réellement besoin de revisiter l’un de ses films les plus emblématiques ? À une époque où l’industrie recycle à tout-va, pour le meilleur comme pour le pire (coucou S.O.S Fantômes), on serait bien tenté de dire que non. Le cinéaste avait jusqu’ici mis un point d’honneur à ne pas faire dans la suite ou le remake, à faire cultiver sa créativité pour la mettre au service de nouveaux projets.
Reste que ces dernières années, Burton semblait dans l’impasse. Depuis ses premiers pas comme animateur chez Disney, il a fait éclore des univers captivants, des contes enchanteurs où se conjuguent goût pour le macabre et poésie. Ces oxymores ont nourri son cinéma, mais paraissaient perdre en intensité face à un artiste écrasé sous le poids d’une machine hollywoodienne pour laquelle rentabilité est le maître mot. Si Mercredi a visiblement été une opportunité de renouer avec les origines de son imaginaire, de s’emparer d’un univers littéraire qui le passionne, c’est avec Beetlejuice Beetlejuice qu’il reprend des couleurs.
De son propre aveu, la suite de Beetlejuice l’a sauvé, lui qui était prêt à prendre sa retraite après Dumbo en 2019. Pour le metteur en scène, comme pour le public, ce second volet des aventures du bio exorciste sonne ainsi comme une douce parenthèse. Tout le monde semble avoir pris un malin plaisir en coulisses, autant que les adorateurs du premier film en auront dans les salles obscures. La sincérité de la démarche suffit à faire dire que ce classique des années 80 n’a pas été profané. Résurrection réussie… Reste à voir désormais si le papa d’Edward aux mains d’argent et Sleepy Hollow se laissera séduire pas l’idée de revisiter un autre de ces métrages ou si sa créativité sera mise au service d’une nouvelle histoire.
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« … Burton !
Burton !
Warner !
Fortensky ! – oups ! » 😄
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Et voilà un énième remariage entre le cinéaste cartoono-expressionniste et le studio qui l’a révélé jadis.
Ainsi qu’un énième retour, si l’on en croit les éléments de langage promotionnels, qui se sont bien foutus de notre gueule plein de fois…
Il n’en est rien. Tim Burton ne revient de nulle part, parce qu’il a toujours été là, et continue à faire les mêmes choses depuis des décennies, s’adaptant aux époques sans changer ce qu’il est.
À savoir : confronter une réalité banale et ennuyeuse, à de la folie baroque et morbide… et accepter de temps en temps des défis de réalisation, finalement lucratifs, et baver sur Disney ensuite (Disney qui ? la philosophie de Walt ? parce que les exécutifs ne sont jamais les mêmes)… pour ensuite y revenir, puis en repartir une dernière fois, juré…
Voilà, il est en boucle, impossible de sortir des univers qu’il a créé, car il n’est rien sans eux (même « Mercredi », ça a des racines communes à la persona de Burton).
D’ailleurs il n’y a qu’à se replonger dans le premier « Beetlejuice » pour se rendre compte de ça :
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Sa suite a l’air arythmique, sur-scénarisé, cochant les cases de tout bon divertissement référentiel mais un peu vain ?
Mais le film de 1988 était Déjà comme ça ! Jamais il n’a été à la hauteur du générique de début de Danny Elfman, sarabande puissante et véloce. La tentative de faire de ce film un cartoon vivant, entre « …Dr Caligari » et Chuck Jones, lorgnait souvent vers l’étrangeté molle d’un Bob Clampett. Et Burton dispersait son intrigue entre les trop proprets époux Maitland, la famille « art moderne » Deetz, Lydia et Beetlejuice – qui n’intervenait que de façon sporadique.
Il faut bien avouer une chose : Michael Keaton n’est pas Louis de Funès, ou Robin Williams, ou Jim Carrey, bref des acteurs au jeu supersonique, capable de passer du coq à l’âne sans l’aide du montage cinématographique (du cartoon, encore). Disons qu’il est un cran en dessous, peut-être au niveau d’un Robert Englund/Freddy, auquel Beetlejuice pouvait se comparer à l’époque – mais sans la violence, sans aller trop loin, en étant juste sale, ironique et critiquant le machisme.
Inoffensif, déjà. Pas toujours cadencé, déjà – en plein milieu d’une scène d’action, ça ralentit… ce problème de rythme étant récurrent dans une partie de la filmographie de Burton (peut-être est-il plus raccord avec le tempo de Johnny Depp), et en général avec les créateurs d’univers fantastiques.
1 heure et demi mais pas très rapide, bien léger, ne tenant pas toutes les promesses qu’il laissait entendre…
Mais ne s’est-on justement pas trompé sur la vraie identité de cette (maintenant) franchise ?
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Peut-être que ce qui constitue les films « Beetlejuice », c’est un rythme lent, qui part dans de grandes embardées la moitié du temps, et tombe à plat l’autre moitié.
Et ce qui sert de « colle », c’est un charme anarchique, ce sont les acteurs, ce sont des séquences amusantes mais qui subsistent indépendamment de l’ensemble du film. Et l’idée que le conflit de génération, raconté « au calme », est tout aussi important que les moments fantastiques.
Dont acte pour la suite, fidèle à cet esprit, mais quand-même duplicata du précédent, reprenant des scènes à l’identique, avec de menues variations.
Les mêmes décors, de mêmes personnages dont on étend le rôle sans explication – le gag de la tête réduite, appliqué aux employés d’un call center, c’est assez logique… les chansons Disco à la place du Calypso… ou Justin Theroux endossant un rôle à la Glenn Shadix, mais en plus pervers…
Alors qu’est ce qui fait que ce film peut tout de même enthousiasmer ?
Parce que Tim Burton se fait plaisir avec ses stars, Keaton notamment, qui retrouve un engouement qu’on ne lui connaissait plus, bien qu’avec les mêmes défauts qu’avant.
Et les actrices surtout, Winona Ryder représentant toujours le double fictif de Burton réalisateur (tandis que Beetlejuice est le double de Burton le créatif)… avec encore un effet méta, lorsqu’on fait le bilan sur les peurs enfantines, sur les erreurs passées, sur le statut pas très glorieux qu’on arbore maintenant – au début on se croirait dans le sous-estimé « Ghostbusters 2 » (et après, on n’est pas loin du film « …La menace de glace », très gênant).
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Chaque actrice a son propre arc narratif, qui existe en dehors d’une intrigue générale, Beetlejuice se chargeant d’y mettre son nez au moment opportun, faisant avancer artificiellement l’histoire – il sera néanmoins question de compagnons toxiques dans chaque cas, fil rouge du scénario.
Jenna Ortega a droit à une intrigue complète à base de mère relou, de père manquant (détail beaucoup trop survolé) et de premier petit ami…
Copine Monica Bellucci est insérée de force dans le film (récurrence supplémentaire de l’auteur, avec ses compagnes successives), pour rendre un énième hommage à la Fiancée de Frankenstein, succube qui sème des cadavres sans être capable de mettre la main sur Beetlejuice – mais italienne oblige, elle permet d’initier un segment génial, rendant un (énième) hommage à Mario Bava… séquence qui a beau tirer en longueur, on ne voit jamais ça dans le cinéma américain.
Voir Willem Dafoe théoriser sur les « method actors », c’est amusant deux minutes.
Mais la plus drôle est sûrement Catherine O’Hara, dont la loufoquerie douce est un régal de chaque instant.
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Autre point fort de ce film, que n’avait pas le premier, c’est le fait qu’il soit capable d’instiller une atmosphère dérangeante, notamment en ce qui concerne les grands absents.
Si les époux Maitland sont expulsés de l’histoire en une phrase, résolvant ainsi le problème du rajeunissement numérique dans un film voulant rajouter plus d’effets réels (c’est plutôt joli à voir, surtout la stop-motion) – et résolvant aussi le « problème Alec Baldwin »… Jeffrey Jones lui ne joue pas dedans, mais est présent via le deuil du père de la famille, alors que l’acteur est encore publiquement plus tricard que Baldwin.
Ça n’est plus séparer l’homme de l’artiste, c’est séparer l’homme du personnage… et chaque scène où on célèbre la mémoire de Charles Deetz (aimant observer les petits oiseaux – mieux vaut ne pas avoir l’esprit mal placé), chaque scène où il est représenté par plusieurs techniques se vit de manière hallucinante pour qui connait les faits criminels datant d’il y a plus de vingt ans.
Doit-on ressentir un malaise ? Burton joue sur la corde raide, et atteint un équilibre grâce à un mauvais esprit sadique, conçu à partir d’un de ses cauchemars personnels (quel esprit dingue !).
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D’ailleurs c’est un film plus ouvertement gore que le premier, qui détruit sans pitié des adversaires, qui ne pleure pas trop les morts (inutile cela dit, quand on sait qu’il y a un Au-delà), qui parodie les rebondissements de films d’horreur, qui ne brosse pas tant que ça les spectateurs dans le sens du poil – refaire la scène de possession musicale, d’accord… mais en utilisant l’interminable chanson « MacArthur Park » ? Faut être gonflé (surtout en passant longtemps après la parodie de Al Yankovic), et il faut que le spectateur ait signé un pacte de confiance avec l’auteur pour assimiler ça !
Moins inoffensif qu’on ne le croit. Pas toujours cadencé, encore. Sur-scénarisé, encore. Alternant prévisible et imprévisible (le garçon d’à côté)…
1 heure 40 mais pas très rapide, assez léger, ne tenant pas toutes les promesses qu’il laissait entendre. Le film d’un homme mature qui reste au même niveau que celui d’un jeune homme immature… ni au dessus, ni en dessous.
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Mais alors, ne vaut-il mieux pas regarder la série animée « Beetlejuice » des années 90 ? Elle, au moins, était ce à quoi on devait s’attendre : du cartoon, sans limites et avec peu de temps morts.
C’était plus facile à faire, certes, plus homogène.
Mais un film brinquebalant et mal poli, c’est peut-être plus intéressant.
En attendant, le cinéaste Burton a toujours un peu de jus.