Le 30 juin dernier, une toute nouvelle série animée japonaise s’est installée sur le catalogue tentaculaire de Netflix. BNA : Brand New Animal, une production co-diffusée par Netflix et la chaîne nippone Fuji TV, émane du jeune studio Trigger, à l’origine de séries comme Kill la Kill. Kazuki Nakashima, rendu célèbre par la série qui a révolutionné le genre du mécha, Gurren Lagann, en est le showrunner. L’arrivée de ce nouveau récit d’animaux anthropomorphes s’inscrit, notamment, après le succès de l’excellente adaptation du manga Beastars, disponible sur la plateforme SVOD depuis mars 2020 à l’international. Dans BNA, cependant, il n’est question ni de sexualité ni de vie scolaire.
La série relate les aventures de Michiru Kagemori, une jeune fille transformée en raton laveur humain, après s’être réfugiée dans le sanctuaire animalien (ou animhomme) d’Anima-Ville, construite sur une île au large du Japon. Dans ce monde, les humains ont cohabité durant des millénaires avec des animhommes mais finissent désormais par les rejeter. Créée par les humains, Anima-Ville est donc un lieu où ces animaux anthropomorphes peuvent vivre ensemble, en dehors de la société humaine. Soulagée d’avoir trouvé abri à Anima-Ville, Michiru va rencontrer un ténébreux animalien loup, Shiro Ogami. Ensemble, ils vont découvrir les secrets peu reluisants de cette cité soi-disant utopique…
** Attention : la suite de cette critique contient quelques spoilers **
… sur fond de machination politique et de génocide. Michiru et Shiro vont en effet finir par comprendre qu’Anima-Ville n’est pas un havre de paix pour animhommes mais un ghetto où ils sont parqués avant d’être exterminés, les uns par les autres indépendamment de leur volonté. Alan Sylvasta, à la tête de la société de biotechnologie Sylvasta et grand bienfaiteur de la cité, en est l’instigateur. Au moyen du déclenchement d’une hystérie collective, il va tenter de transformer les animhommes en monstres cannibales afin d’en finir avec une espèce qu’il juge impure.
Un monde aussi vivant qu’animé
En animation 2D classique, BNA égaye les yeux de l’observateur par sa palette de couleurs intenses et l’énergie de sa mise en scène. L’action est rapide, puissante et violente. Les contrastes entre les scènes de nuit – où le voile utopique et optimiste de la ville et de sa société se lève – les rendent d’autant plus dramatiques. De même, tout ce qui ne relève pas de cette « société parfaite » revendiquée par Anima-Ville, comme son bidonville ou les transformations monstrueuses de ses habitants par le syndrome de Nirvasyl, restent sombres et rugueux. Le tout renforce davantage ce sentiment de contraste entre l’apparente candeur (superficielle) d’Anima-Ville et sa réalité boueuse sous-jacente. Même les oreilles du spectateur sont ravies devant BNA, grâce à l’excellent travail réalisé pour les thèmes musicaux associés à chaque personnage (notamment celui d’Alan Sylvasta).
Plus encore, l’univers de BNA – et en particulier, Anima-Ville – profite d’un véritable travail de « world-building » qui donne une identité riche et complexe à la cité des animhommes. À tel point qu’on s’imaginerait bien s’y plonger dans un format vidéoludique en « open-world » ! Au fil des douze épisodes de la série, de nombreuses dimensions et strates sociales du microcosme d’Anima-Ville sont développés. La série s’arrête sur l’existence d’une pyramide sociale où les animhommes « peluches » et naïfs habitent le bidonville, forcés à filtrer l’eau usée environnante pour survivre, tandis que les hautes sphères de la société (la mairie ou le centre médical Sylvasta) sont installées dans les immenses gratte-ciels immaculés du centre-ville. L’aspect communautaire, et en particulier religieux voire sectaire, est aussi souvent présent dans la série au travers de l’Ordre du Loup d’Argent : celui-ci manipule les masses avec une fausse idole mais crée une foi sincère et fédératrice chez les animhommes et apporte des vivres aux habitants du bidonville. Anima-Ville a même son propre sport, source de divertissement : une sorte de baseball où tous les coups sont permis. Plus ou moins toutes les strates d’Anima-Ville sont attachées, de près ou de loin, au monde souterrain de la mafia (dirigé par un animhomme béluga du nom de Flip) : de l’immigration clandestine (par laquelle l’héroïne Michiru passe, pour survivre à une embuscade d’anti-animhommes) au trafic d’orphelins par le gang féminin de Rabbit Town.
Cette complexité et cette richesse permettent réellement de considérer Anima-Ville comme un personnage à part entière. De ce fait, la menace de sa destruction devient véritablement un enjeu légitime et intriguant. Seule faiblesse de cet univers : le manque d’aperçu du monde extérieur. Anima-Ville est un sanctuaire d’animhommes rattaché au gouvernement japonais. L’existence d’animhommes en dehors de l’archipel est néanmoins confirmée, notamment à travers le personnage de Pinga, un albatros animalien nomade. Ce manque ne finit pourtant pas par se transformer en regret : d’une part, par l’ampleur du travail de « world-building » déjà plus que satisfaisant, et d’autre part, pour le champ de possibilités que s’offre ainsi la série pour une saison deux.
Politique, religion, immigration passent au crible de BNA
Prenant un monde fictif extrêmement bien construit comme base, cette saison une de BNA parvient à traiter d’une grande variété de sujets de société. L’économie souterraine de l’immigration clandestine, le flou entre communauté religieuse et secte ainsi que les manipulations politiques qui animent la vie de la cité profitent toutes du même intérêt au sein de l’intrigue globale de la série. D’autres thématiques tout aussi matures mais plus modernes sont aussi évoquées par Kazuki Nakashima et les scénaristes du studio Trigger. Le personnage de Nina Flip, une animalienne dauphin fille du parrain de la mafia, incarne ce que les réseaux sociaux peuvent faire de mieux mais aussi de pire. L’interaction en ligne permet à la jeune Nina de converser avec le monde extérieur des humains et ainsi de la sortir de sa bulle et d’une Anima-Ville ghettoïsée où elle habite (une connexion Internet sur place ne donne, par exemple, accès qu’au site officiel de la mairie). Néanmoins, sa naïveté, trompée par une certaine superficialité des relations virtuelles, la pousse à quitter Anima-Ville le temps d’un soir avec Michiru et de rejoindre sans méfiance une soirée pleine d’humains. La rencontre est accueillante mais se dégrade rapidement quand les humains pensent bêtement que la pauvre Nina est faite pour vivre dans un aquarium. À travers cette séquence narrative, la série aborde avec beaucoup de subtilités le biais que peut véhiculer les réseaux sociaux sur la réalité tangible de la société.
De la même façon, BNA traite parfaitement du parallélisme liant une « idol » (célébrité et chanteuse japonaise) et une idole religieuse, avec le personnage de Nazuna, amie de Michiru aussi transformée en animhomme (ou devons-nous dire animfemme ?) devenue faux messie au sein de l’Ordre du Loup d’Argent. Idem sur les sujets de ghettoïsation (Anima-Ville a une porte d’entrée mais n’a pas de porte de sortie) et d’eugénisme, par le biais des véritables identité et intentions d’Alan Sylvasta. Le florilège des thématiques abordées par BNA permet vraiment de l’élever à la hauteur d’autres œuvres du genre – voire encore plus – comme Zootopie et sa fausse utopie anti-raciste ou Beastars, quoique bien plus mâture (notamment dans son parallélisme extrême entre le carnivorisme et la culture du viol). L’aisance avec laquelle l’écriture de la série manie ces sujets se ressent aussi dans le jeu des perceptions.
Jusqu’au tout twist final, l’alignement de certains personnages sur le spectre du Bien et du Mal n’est jamais clair et toujours sujet à l’interprétation du spectateur. Par exemple, concernant le syndrome de Nirvasyl : ce dysfonctionnement génétique entraînerait les animhommes, en situation d’hystérie, à devenir d’horribles monstres cannibales et aurait causé la destruction de l’antique cité animalienne de Nirvasyl, d’où est issu Shiro Ogami. L’opposition entre le témoignage flou et vieux de deux milles ans de ce dernier et les conclusions des recherches scientifiques de Sylvasta ne donne pas de réponse unique au spectateur, mais seulement des hypothèses possibles. Est-ce le dysfonctionnement génétique qui a rendu les animhommes sauvages et cannibales ou est-ce la violence des humains qui les ont attaqué à l’origine qui a provoqué leur folie collective ? Autrement dit, BNA montre deux hypothèses et points de vue différents mais ne dit jamais de quel côté est la bonne réponse ou la solution. La formule « show, don’t tell » (ou « montrer plutôt que de le dire »), comme disent les anglophones, est parfaitement respectée.
Un condensé de références pop-culturelles
Enfin, BNA ravit aussi par les références pop-culturelles dont elles se serrent comme de modèles pour ses personnages et de repères facultatifs pour le spectateur. Sans essayer d’en faire ici la liste exhaustive, la série emprunte autant aux super-héros de comics américains qu’à l’univers de Godzilla ou à la filmographie du studio Ghibli. Shiro Ogami, défenseur obsessionnel des animhommes et d’Anima-Ville (où il opère officiellement comme un assistant social), a tout du Batman violent et intransigeant à la Frank Miller. Habillé comme un flic de film noir ou Rick Deckard de Blade Runner, il collabore étroitement avec la maire et le commissaire de police (un animalien chien, sans hasard) mais fait la justice lui-même quand il juge que les méthodes conventionnelles sont impossibles ou corrompues. Ainsi, son duo réticent avec Michiru, plus optimiste et enthousiaste que lui, rappelle forcément le « dynamic duo » de Batman & Robin. Son corbeau muet, Kuro, donne aussi à Shiro Ogami des aires du dieu Odin dont les deux oiseaux, Hugin et Munin, l’aident à surveiller le monde depuis les hauteurs d’Asgard. Par ailleurs, pour rester dans le registre super-héroïque, la dichotomie animhommes-humains fait forcément penser à celle qui oppose les humains et les mutants dans la saga X-Men.
Concernant Michiru, ses capacités de transformation s’inspirent évidemment du folklore japonais, et plus exactement des croyances autour du tanuki. En cela, elle ressemble presque à une version super-héroïque des tanukis présentés par Isao Takahata dans le film Pompoko. Enfin, la véritable forme animalienne tricéphalique d’Alan Sylvasta s’inspire évidemment de l’un des célèbres kaijus combattant Godzilla. Le cerbère doré qu’incarne Sylvasta, contre le Loup argenté (Ogami), n’est qu’une version canine de King Ghidorah, l’immense dragon extraterrestre à trois têtes, antagoniste du « roi des montres » notamment dans le dernier Godzilla : King of The Monsters. Fort heureusement, toutes ses inspirations et références ne sont qu’un plus, une cerise sur le gâteau d’une intrigue fidèle à elle-même et ainsi vraiment unique en son genre.
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Excellent billet, qu’allais-je dire, dossier. Bonne continuation.
Bonne critique ! Par contre La métamorphose d’Alan Sylvasta est plutôt inspirée de la mythologie avec Cerbère le chien à trois têtes gardant les enfers que d’un kaiju combattant Godzilla :/
Oops tu as mentionné Cerbère mais n’en as pas parlé tu as décrit un kaiju qui affronte godzilla bien trop je trouve alors que l’inspiration de ces 2 monstres et animhommes viens très certainement de Cerbère
Bonne critique mais illisible par quelqu’un qui n’a pas vu la série comme le troisième paragraphe spoile directement le dernier épisode. J’aurais aimé que les critiques des thèmes, de l’animation, etc.. puissent êtres abordées avant les spoils pour donner meilleur aperçu aux personnes n’ayant pas vu la série. Sinon l’analyse est très intéressante, notamment sur les nombreux thèmes et les références. J’aurais un peu plus développé le complexe de Dieu de l’antagoniste, je pense également qu’il se réfère plus à Cerbère gardien des enfers, endossant ici plus le rôle de superviseur que de gardien, menant le monde selon ses propres convictions et corrigeant les déviations. Le manque d’aperçu du monde extérieur ne me choque pas car il retranscrit et renforce pour moi l’isolationnisme de la ville, et l’absence de contact avec l’extérieur.