Des chercheurs du Massachusetts Institute of Technology (MIT) ont développé une nouvelle technique de fabrication qui permet à des matériaux normalement cassants et rigides de s’étirer et de se plier tout en conservant leur résistance mécanique. Une innovation remarquable qui pourrait conduire à l’émergence d’un tas de matériaux potentiellement révolutionnaires.
L’humanité s’appuie régulièrement sur des matériaux extrêmement résistants, comme les métaux et les céramiques. Ces derniers sont parfois capables d’encaisser des contraintes mécaniques formidables, ce qui les rend très utiles dans de très nombreuses industries. Mais ils ont tendance à être extrêmement rigides et pas forcément très aptes à encaisser des déformations sans se rompre, comme le caoutchouc – et vice-versa.
Cette dichotomie existe parce que ces deux propriétés sont typiquement considérées comme incompatibles. En règle générale, créer un matériau très résistant implique de faire de grosses concessions sur sa malléabilité, et vice-versa. Surmonter cet obstacle est l’un des plus grands défis auxquels la science des matériaux est confrontée… et les chercheurs du MIT viennent de faire un pas dans cette direction avec une étude fascinante, publiée dans la prestigieuse revue Nature Materials.
Une question de structure et d’échelle
Les propriétés d’un matériau découlent typiquement de sa composition chimique ; les interactions entre les différents atomes qui le composent déterminent directement sa réponse à différents types de contraintes. Par exemple, un métal est rigide car ses atomes sont organisés en un réseau cristallin dense et ordonné. Ce réseau résiste bien à la déformation, mais casse facilement lorsqu’il est poussé au-delà de sa limite. À l’inverse, un matériau comme le caoutchouc est constitué de chaînes de polymères faiblement liées entre elles. Ces chaînes peuvent donc se dérouler et se réorganiser sous l’effet d’une contrainte, rendant le matériau extensible et flexible – mais beaucoup moins résistant dans l’absolu.
Mais jouer sur la structure atomique, définie par cette composition chimique, n’est pas la seule manière d’influencer les propriétés d’un matériau. On peut aussi jouer sur son architecture à une échelle supérieure : on arrive alors dans le domaine de ce qu’on appelle les métamatériaux.
Prenez l’exemple de deux objets constitués exactement du même matériau, mais organisés différemment – par exemple, une feuille de carton plate et une autre ondulée. La première est souple et se plie facilement ; en revanche, la seconde, grâce aux vagues formées par son relief, gagne en rigidité et peut supporter des contraintes bien plus importantes. Dans ce cas, on peut considérer notre carton ondulé comme un métamatériau. La composition chimique est identique, et les atomes sont donc organisés de la même façon à l’échelle microscopique. Mais à une échelle supérieure, cette architecture supplémentaire lui confère de nouvelles propriétés.
Un tricot hybride aux propriétés formidables
Dans leur dernière étude, les chercheurs du MIT ont poussé ce concept encore plus loin en prenant le problème par l’autre bout. Au lieu de chercher à créer un métamatériau résistant à partir d’une base flexible, ils ont tenté de concevoir un produit flexible à partir de constituants rigides et cassants.
Pour y parvenir, ils se sont inspirés des hydrogels – des matériaux rendus flexibles et élastiques par des chaînes de polymères emprisonnées dans un substrat à base d’eau. En partant de cet exemple, ils ont élaboré une nouvelle technique de construction qui s’apparente presque à du tricot.
Leur approche consiste à enchevêtrer deux types de fils, certains résistants mais rigides et cassants, d’autres flexibles mais plus fragiles, au sein d’un même réseau cohérent. Forcément, les portions les plus rigides vont finir par rompre sous la contrainte – mais les auteurs ont trouvé un moyen d’exploiter cette limite à leur avantage. Ils ont introduit des « défauts » structurels à des endroits stratégiques afin d’optimiser la répartition du stress mécanique dans le métamatériau, ce qui a pour effet d’augmenter sa résistance globale.

« Imaginez ce réseau tissé comme un amas de spaghettis emmêlés autour d’un treillis. À mesure que nous brisons le réseau monolithique, ces morceaux brisés s’emmêlent, et tout ce spaghetti se lie aux morceaux du treillis », explique Carlos Portela, auteur principal de l’étude. « On pourrait penser que cela dégrade le matériau », précise son coauteur James Utama Surjadi. « Mais nous avons constaté qu’en ajoutant des défauts, nous pouvons doubler, voire tripler l’énergie dissipée. Cela nous donne un matériau à la fois rigide et résistant, ce qui est généralement contradictoire. »
Ils ont ensuite testé cette approche avec un treillis constitué d’un polymère semblable au plexiglas. Et les résultats ont été assez spectaculaires. Alors que le polymère en question est habituellement très rigide et cassant, le métamatériau a pu s’étirer pour atteindre quatre fois sa taille originale, tout en conservant une résistance mécanique très importante dans l’autre axe !

Un potentiel qui laisse songeur
Cette preuve de concept est déjà impressionnante en elle-même – mais elle devient encore plus enthousiasmante lorsqu’on se met à extrapoler. Les chercheurs estiment qu’avec un peu de travail, il sera possible de répliquer cette approche avec des matériaux encore plus rigides pour obtenir des métamatériaux aux propriétés exceptionnelles. « On pourrait imprimer un métal ou une céramique à double réseau et bénéficier de nombreux avantages : leur rupture nécessiterait plus d’énergie et leur extensibilité serait nettement supérieure », avance Portela.
La cerise sur le gâteau, c’est que le potentiel de cette approche ne se limite pas aux propriétés mécaniques. En théorie, il serait même possible de conférer de nouvelles propriétés aux matériaux, bien au-delà de la simple dichotomie entre la rigidité et la flexibilité.
« Jusqu’ici, nous avons évoqué les propriétés mécaniques, mais que se passerait-il si nous pouvions également les rendre conducteurs, c’est-à-dire sensibles à la température ? », s’interroge Portela. « Les deux réseaux pourraient être constitués de polymères différents, réagissant différemment à la température, de sorte qu’un tissu puisse ouvrir ses pores ou devenir plus souple lorsqu’il fait chaud et plus rigide lorsqu’il fait froid. C’est une piste que nous pouvons explorer dès maintenant », se réjouit-il. « Nous ouvrons un nouveau territoire aux métamatériaux. »
Il sera donc fascinant de suivre les retombées de ces travaux. Une fois le concept à maturité, il est tout à fait possible qu’il débouche sur l’apparition de nouvelles familles de métamatériaux susceptibles de résoudre des problèmes aujourd’hui insolubles dans des industries diverses et variées, des textiles à la bioingénierie en passant par les semiconducteurs et l’électronique de pointe. Tout un programme !
Le texte de l’étude est disponible ici.
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