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Physique : des chercheurs observent une « pluie quantique » pour la première fois

Ce phénomène, théorisé mais encore jamais reproduit en laboratoire jusqu’à présent, pourrait ouvrir la voie à d’autres travaux de recherche fascinants et même aider des technologies potentiellement révolutionnaires à émerger.

Grâce à une superbe expérience, des chercheurs ont récemment observé pour la première fois un phénomène fascinant : la pluie quantique. Une découverte à la frontière du monde quantique et de la physique des fluides conventionnelle qui pourrait ouvrir la voie à de grands progrès en science fondamentale.

Lorsque vous vous reposez paisiblement en lisant un livre ou en regardant une série pendant une soirée pluvieuse, vous pouvez observer de nombreuses gouttelettes glisser lentement le long des vitres, contribuant à installer une ambiance détendue et douillette. Mais il est facile d’oublier que ce phénomène, dont nous sommes tous familiers depuis l’enfance, est en fait une manifestation de plusieurs phénomènes physiques fascinants.

Les gouttelettes, de petits trésors de physique

Si l’eau s’accumule ainsi sous forme de gouttelettes bien définies, c’est d’abord à cause d’un phénomène discret, mais qui régit une grande partie du monde qui nous entoure : le principe de moindre action, défini par l’illustre Joseph-Louis Lagrange. Il stipule que la nature tend à favoriser les arrangements de la matière qui minimisent l’énergie totale du système. Dans le cas de nos gouttelettes, réduire l’énergie du système revient à minimiser la superficie de la surface du liquide. Elles se rapprochent donc spontanément de la sphère, la forme la plus efficace dans ce contexte : on parle alors de tension superficielle.

Gouttelettes
© Sixteen Miles Out – Unsplash

Cette dernière est aussi à l’origine d’un autre phénomène, l’instabilité de Plateau-Rayleigh. Imaginez une fontaine émettant un jet de liquide. Ce dernier peut rester étonnamment régulier et cohérent sur une longue distance grâce à la tension superficielle, qui lui permet de conserver son intégrité. Mais plus le jet est long, moins cette tension devient suffisante. À l’autre extrémité, la situation devient donc beaucoup plus instable : des gouttes commencent à se séparer du jet sous l’effet de cette instabilité. C’est un phénomène très étudié et bien documenté — et heureusement, car il est crucial dans de très nombreux domaines, de la recherche fondamentale à la biochimie, en passant par les nanotechnologies.

Une « pluie quantique » jamais observée auparavant

Ou du moins, c’est le cas à notre échelle et dans des conditions normales. Car lorsqu’on commence à observer un phénomène sous l’angle de la physique quantique, la situation a tendance à changer radicalement. On sait que lorsque des atomes sont refroidis à une température proche du zéro absolu, leur comportement n’est plus seulement régi par les forces classiques de la physique traditionnelle : il faut aussi tenir compte des lois souvent contre-intuitives de la mécanique quantique.

Cela soulève un tas de questions sur le comportement de nos gouttelettes, dont une particulièrement intéressante : les phénomènes comme la tension superficielle et l’instabilité de Plateau-Rayleigh existent-ils aussi dans le monde quantique ?

Pour y répondre, depuis plusieurs années, des physiciens ont appris à créer des objets appelés « gouttelettes quantiques » — des petits groupes d’atomes stabilisés uniquement par des effets quantiques, qui partagent certaines propriétés avec les liquides conventionnels. Et c’est là qu’interviennent les auteurs de cette nouvelle étude, qui ont poussé ce concept plus loin à travers une belle expérience.

Ils ont commencé par mettre en place un gaz constitué de rubidium-87 et de potassium-41, qui a ensuite été porté à une température proche du zéro absolu. Dans ces conditions, des tas de gouttelettes quantiques, éphémères et instables, ont commencé à se former avant de disparaître quelques dixièmes de millisecondes plus tard.

La grande nouveauté repose sur l’introduction d’un laser. Ce qu’il est important de retenir dans ce contexte, c’est que ces faisceaux lumineux sont en fait des ondes électromagnétiques hautement cohérentes et organisées. Grâce à ces propriétés, un laser peut donc être utilisé comme un guide d’ondes, une structure qui permet de restreindre la propagation de l’énergie dans une direction précise. Une sorte de tuteur électromagnétique, en somme.

Grâce à ce laser, les chercheurs ont pu canaliser les gouttelettes de façon à ce qu’elles s’étirent sur une longue distance, formant ainsi des filaments. Ils se sont alors retrouvés avec des structures certes minuscules et techniquement plus proches des gaz que des liquide, mais structurellement comparables aux jets de fontaines cités plus haut.

En d’autres termes, il s’agit du cadre parfait pour vérifier si la tension superficielle et l’instabilité de Plateau-Rayleigh existent aussi à l’échelle quantique… et c’est précisément ce qu’ils ont observé. À partir d’un certain seuil de distance critique, les filins quantiques sont devenus instables. Ils se sont alors fragmentés en plusieurs gouttelettes individuelles, exactement comme le jet d’une fontaine au-delà d’une certaine distance.

« En combinant des expériences et des simulations numériques, nous avons pu décrire la dynamique de rupture d’une goutte quantique en termes d’instabilité capillaire », explique Chiara Fort, chercheuse à l’Université de Florence et co-auteure de l’étude. « Si l’instabilité de Plateau-Rayleigh est bien connue dans les liquides classiques et a également été observée dans l’hélium superfluide, elle n’avait jamais été observée auparavant dans les gaz atomiques. »

Une étude à la frontière des deux physiques

Le point crucial de ces travaux, c’est qu’on sait désormais que ce phénomène concerne à la fois l’échelle macroscopique et le monde quantique. Et c’est un détail précieux : cette propriété commune pourrait aider les chercheurs à explorer les frontières des physiques conventionnelle et quantique, qui demeurent encore irréconciliables à certains niveaux aujourd’hui.

La réponse à certaines des énigmes les plus tenaces de la physique moderne réside sans doute dans ces lacunes obscures. Chaque occasion d’explorer comment la physique classique et quantique coexistent et se chevauchent est donc très excitante, et ouvre la voie à d’autres travaux potentiellement révolutionnaires sur le comportement de la matière.

L’autre point important, c’est que cette étude offre une nouvelle approche pour manipuler les gouttelettes quantiques. Une perspective très enthousiasmante, car ces objets exotiques sont considérés comme très prometteurs pour l’avenir de plusieurs niches technologiques. Certains chercheurs tentent par exemple d’exploiter concrètement leurs propriétés dans des ordinateurs et des capteurs quantiques, mais aussi dans d’autres domaines comme l’optique, les nanotechnologies ou la science des matériaux. Au-delà de la recherche fondamentale, cette étude pourrait donc constituer une base pour de nouvelles technologies fascinantes.

« Nos mesures non seulement font progresser la compréhension de cette phase liquide exotique », résume Luca Cavicchioli, chercheur au CNR-INO et auteur principal de l’article, « mais démontrent aussi qu’il est possible de créer des réseaux de gouttelettes quantiques pour de futures applications dans les technologies quantiques. »

Le texte de l’étude est disponible ici.

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