Depuis quelque temps déjà, l’entreprise Colossal Biosciences attire beaucoup d’attention grâce à un projet qui semble tout droit sorti de la science-fiction : ressusciter des espèces disparues, comme le mammouth ou le diable de Tasmanie, à grands coups d’ingénierie génétique. Elle affirme désormais y être parvenue avec un cousin du loup disparu il y a plusieurs millénaires — mais de nombreux chercheurs contestent vigoureusement les revendications de l’entreprise.
Cette semaine, l’entreprise a frappé très fort en s’offrant la couverture du célèbre Time Magazine. Dans un long dossier, les porte-paroles de l’entreprise affirment avoir réalisé la première « dé-extinction » au monde en faisant naître trois petits loups appartenant à l’espèce Canis dirus, disparue il y a plus de 10 000 ans. Une revendication appuyée par des images impressionnantes de majestueux canidés au pelage blanc immaculé, présentés comme les premiers représentants modernes de cette espèce revenue d’entre les morts… mais contestée par les experts.

Mission dé-extinction
Cette actualité intervient dans une période de forte activité pour l’entreprise. En mars, Colossal avait annoncé avoir créé des souris génétiquement modifiées avec un pelage de mammouth laineux. Pour y parvenir, l’entreprise a extrait des fragments d’ADN de fossiles de mammouth. Elle a ensuite analysé le génome des éléphants d’Asie, les plus proches parents vivants des mammouths, pour identifier les portions du génome qui ont été perdues depuis la disparition de ces derniers.
À partir de là, les chercheurs de l’entreprise ont modifié le génome d’embryons de souris en y intégrant des versions synthétiques des gènes précédemment identifiés, donnant ainsi naissance à une portée de « souris laineuses ». Selon l’entreprise, la création de ces animaux représentait un vrai pas en avant vers la dé-extinction du célèbre pachyderme.
Des revendications contestées
Mais des experts ont estimé qu’au niveau purement scientifique, ces rongeurs n’avaient rien de très impressionnant. C’était en effet loin d’être la première fois que des gènes étaient ainsi transférés d’une espèce à l’autre, et le fait que certains d’entre eux soient issus d’une espèce disparue ne change pas grand-chose au niveau technique. « C’est juste une souris qui a des gènes spéciaux », estimait par exemple Stephan Reisenberg, ingénieur en génétique au célèbre Institut Max Planck cité par le prestigieux journal Nature.
Ces mêmes détracteurs reviennent désormais à la charge avec des arguments assez similaires, car la procédure qui a conduit à la naissance des trois louveteaux repose sur les mêmes principes.
Les chercheurs de l’entreprise ont commencé par analyser des fragments d’ADN extraits de fossiles de Canis dirus. Ils ont ensuite procédé à une comparaison avec le loup gris moderne, le plus proche parent de cette espèce disparue, comme ils l’avaient fait avec le mammouth et l’éléphant d’Asie. Sur la base de cette analyse, ils ont ensuite modifié des embryons de chiens domestiques, afin de les rapprocher autant que possible de leurs ancêtres.
Or, selon les détracteurs, le fait d’affirmer que ce processus permet d’aboutir à la dé-extinction d’une espèce est fondamentalement trompeur. Et pour cause : la ressemblance entre les trois louveteaux et leurs ancêtres n’est que superficielle et cosmétique. En effet, Colossal n’a modifié qu’une vingtaine de gènes sur un total de plus de 19 000. Au niveau génétique, Remus, Romulus et Khaleesi ne sont que des hybrides chien-loup assez éloignés des véritables Canis dirus, et il ne s’agit donc en aucun cas de la résurrection d’une espèce disparue.
Un projet polémique
Au-delà des considérations techniques, certains observateurs estiment que cet amalgame est particulièrement regrettable à cause du message qu’il envoie au grand public. C’est notamment le cas de Nic Rawlence, chercheur en paléogénétique interviewé par la BBC. « L’extinction reste irréversible », martèle-t-il. « Est-ce que le message, c’est que nous pouvons désormais détruire l’environnement et que les espèces peuvent s’éteindre sans conséquence, puisqu’on peut les ressusciter ? »
Et ce n’est que la partie émergée de l’iceberg. D’autres observateurs s’inquiètent également des retombées écologiques de ce processus. Selon eux, le fait de mettre ainsi des espèces génétiquement modifiées en circulation pourrait déséquilibrer des écosystèmes entiers, avec des conséquences potentiellement catastrophiques que nous aurions beaucoup de mal à anticiper.
Mais jusqu’à présent, ces critiques récurrentes n’ont jamais découragé Colossal, qui continue de défendre le bien-fondé de sa démarche. Il sera donc intéressant de suivre les progrès de ces travaux qui n’ont sans doute pas fini de faire jaser.
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