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Spectrum : ce qu’il faut retenir du lancement historique d’Isar

La petite fusée d’Isar Aerospace n’a certes pas réussi à atteindre l’orbite, mais ce premier lancement orbital depuis l’Europe de l’Ouest représente tout de même un vrai pas en avant pour l’aérospatiale européenne.

Ce dimanche, le lanceur Spectrum de la startup allemande Isar Aerospace est devenu le premier véhicule de ce genre à prendre son envol depuis l’Europe de l’Ouest. Voici ce qu’il faut retenir de ce tir historique qui, même s’il n’a pas atteint son objectif, représente une étape importante pour le développement de l’aérospatiale européenne.

C’est quoi, Spectrum ?

Spectrum est un lanceur de très petit calibre, capable d’emporter une tonne de charge utile en orbite terrestre basse. Pour référence, c’est environ 10 fois moins qu’Ariane 62, la version à deux boosters de la vedette européenne.

Elle n’a donc pas vocation à déployer des engins lourds tels que des télescopes. À la place, elle se concentre sur les lancements de petits satellites individuels, qui peuvent ainsi être déployés directement sur une orbite très précise avec une grande flexibilité et dans des délais relativement courts.

Spectrum Isar
© Isar Aerospace

Pour les clients, cette approche présente des avantages non négligeables par rapport au fait d’opter pour une place à bord d’un lanceur de plus gros calibre. En plus de réduire les délais de lancement, cela évite aux clients de devoir doter leurs engins d’un système de propulsion très performant pour atteindre l’orbite ciblée en autonomie. Avec tout ce que cela implique en termes de coût et de difficulté de développement.

Quels sont les enjeux ?

La fusée a pris ses quartiers au spatioport d’Andøya, en Norvège. Il s’agit d’une grande première : à ce jour, aucune fusée n’avait tenté de rallier l’orbite depuis l’Europe de l’Ouest. Tous les lanceurs européens de ce type, toutes catégories confondues, étaient systématiquement partis soit depuis le spatioport de Kourou, en Guyane, ou depuis des bases situées plus loin à l’Est comme Plestesk en Russie ou Baikonour ou Kazakhstan.

C’est un point important dans le contexte actuel. Puisque la coopération avec la Russie est pratiquement au point mort depuis le début de l’invasion de l’Ukraine, il est crucial pour l’Europe de trouver des alternatives pour continuer ses activités spatiales sans dépendre du pays de Vladimir Poutine.

L’autre point qui rend Spectrum important, c’est que ce lanceur contribue à la construction d’un écosystème privé performant et dynamique. L’intérêt de cette approche, c’est de ne pas dépendre entièrement des lanceurs gérés par les agences gouvernementales qui pilotaient traditionnellement toutes les activités spatiales avant l’ère du « New Space ». Ariane 6 ne sera pas capable d’assumer tous les besoins de lancement du continent ; pour que l’Europe puisse bénéficier d’une certaine autonomie dans ce domaine à l’importance stratégique croissante, il est crucial d’encourager l’éclosion de jeunes pousses locales comme Isar, RFA, Orbex ou PLD pour ne citer qu’elles.

Comment s’est déroulé le lancement ?

La mise à feu, première étape critique de tout lancement, s’est globalement bien déroulée. La fusée a réussi à décoller sans problème, validant ainsi l’objectif principal de sa mission.

Malheureusement, cette grande première a tourné au vinaigre en moins d’une minute. 18 secondes à peine après le décollage, les opérateurs ont perdu le contrôle de la fusée. Ils ont donc été forcés de déclencher le protocole d’arrêt d’urgence, précipitant l’engin vers la surface. Le vol s’est donc conclu avec une explosion spectaculaire, mettant fin à tout espoir d’atteindre l’orbite du premier coup.

Qu’est-ce qui n’a pas fonctionné ?

L’entreprise n’a pas officiellement communiqué sur la nature des dysfonctionnements qui ont précipité Spectrum vers la surface.

En observant les images de près, on constate toutefois que le système de contrôle vectoriel (ou TVC, l’ensemble d’éléments logiciels et mécaniques qui permettent de contrôler l’angle de poussée des moteurs) s’est mis à osciller rapidement d’un côté à l’autre peu avant le crash.

Cela suggère que le problème a émergé soit du côté du système de contrôle, soit du système de propulsion. Spectrum étant doté de 9 moteurs individuels, la défaillance d’une ou plusieurs unités aurait aisément pu générer une asymétrie trop importante dans la poussée, au-delà des capacités de correction du TVC. Dans tous les cas, il faudra attendre la fin de l’enquête interne d’Isar pour en savoir plus.

Quel bilan tirer de cette mission ?

Malgré ces dysfonctionnements, Isar considère la mission comme un succès. Même si Spectrum n’a pas atteint l’orbite terrestre basse, l’objectif principal de ce tir était de réussir la mise à feu et le décollage — deux cases qui ont été cochées avec succès.

Il convient de rappeler qu’atteindre l’orbite est un exercice notoirement difficile, et il est extrêmement rare qu’une fusée y parvienne dès sa première tentative. C’est particulièrement vrai pour les lanceurs privés ultralégers de ce genre, qui disposent d’un budget relativement limité par rapport aux cadors de l’industrie. Par exemple, l’Electron de Rocket Lab ou la Rocket 3 d’Astra, concurrents directs de Spectrum sur ce segment, ont respectivement eu besoin de 2 et 4 essais pour atteindre l’orbite. Ce crash n’a donc rien d’infamant, et grâce aux précieuses données de télémétrie récoltées pendant ce vol bref mais intense, l’entreprise a bon espoir d’atteindre l’orbite dans un futur relativement proche.

L’autre bonne nouvelle, c’est que les conséquences de cet échec sont loin d’être catastrophiques. Pour cette première tentative, Isar avait décidé de tester sa fusée à vide, sans la moindre charge utile réelle. Aucun client n’a donc vu son matériel partir en fumée. En outre, l’infrastructure au sol du spatioport n’a pas été endommagée. Il n’y aura donc pas besoin de procéder à des réparations en amont du prochain vol.

La date de la prochaine tentative n’a pas encore été annoncée, mais elle pourrait donc survenir dans un futur relativement proche. L’entreprise a en effet annoncé par voie de communiqué que deux lanceurs supplémentaires étaient déjà en cours de production. Il conviendra donc de garder un œil sur le calendrier d’Isar, qui semble bien parti pour s’imposer comme un leader de l’aérospatiale privée européenne.

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