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Game design : pourquoi Balatro est le jeu le plus addictif de sa génération

Le développeur LocalThunk a réussi à sublimer, et même à transcender les codes du roguelike pour accoucher d’une pépite de game design aussi grisante qu’addictive.

Balatro a déchaîné les foules avec sa recette ingénieuse qui applique les codes des roguelites à l’univers du poker. En mariant intelligemment brillamment ces deux univers qui semblaient pourtant fondamentalement incompatibles, le jeu a signé un véritable carton planétaire qui a déjà rendu plus de cinq millions de joueurs complètement accros… et la chance n’y est pour rien. Le jeu ayant fêté son premier anniversaire récemment, c’est une bonne occasion de se pencher sur la recette de ce succès qui semble parti pour durer.

Les roguelites partagent une certaine filiation avec les roguelikes, eux-mêmes dérivés du légendaire Rogue de 1980. Le concept est simple : au lieu de reprendre l’aventure là où il s’était arrêté, le joueur en recommence une nouvelle à chaque partie, dans généralement dans un environnement basé sur la génération procédurale dont il doit comprendre les nuances pour aller de plus en plus loin à chaque tentative. Les roguelites comme Balatro reprennent cette idée qui offre une rejouabilité pratiquement infinie, mais introduisent aussi une progression persistante entre les parties, ce qui les rend plus abordables.

Mais c’est aussi un genre de jeu notoirement difficile à concevoir et à équilibrer sur lequel des tas de studios se sont lamentablement cassé les dents. Le développeur LocalThunk, en revanche, a su redoubler d’intelligence et de créativité pour sublimer le genre avec une virtuosité rare : nous vous proposons donc d’essayer de comprendre comment Balatro est devenu le jeu le plus addictif de sa génération.

Un festival de synergies

L’un des éléments qui rendent les roguelike si addictifs, c’est la synergie qui existe entre les différentes mécaniques du jeu. Hades en est un excellent exemple : obtenir plusieurs bénédictions complémentaires qui fonctionnent bien ensemble ajoute immédiatement une bonne dose de fun à chaque run. Et lorsque l’on tombe sur la dernière pièce qui va transformer un build correct en arme de destruction massive, comme une bénédiction Duo ou un Marteau de Dédale parfait, l’ensemble devient incroyablement divertissant.

Dans Balatro, les 150 jokers et les tas d’autres systèmes qui permettent de modifier le traditionnel deck à 52 cartes font qu’il existe un nombre absolument astronomique de scénarios potentiels. C’est une épée à double tranchant, car si le jeu était mal conçu, les joueurs passeraient leur temps à recommencer des parties en espérant tomber sur un super-joker susceptible de les catapulter vers de nouveaux sommets. De nombreux titres souffrent de ce problème qui a condamné des tas de roguelikes aux oubliettes du jeu vidéo (voir plus bas). Mais LocalThunk a réussi à éviter cet écueil avec une virtuosité assez incroyable en construisant Balatro sur le thème du poker.

Balatro (1)
© PlayStack

Grâce à la diversité naturelle du jeu à 52 cartes traditionnel, tous les éléments du gameplay interagissent d’une manière unique, sur des bases avant tout mathématiques — même si, rassurez-vous, il n’y a absolument pas besoin d’être bon en maths pour jouer à Balatro. Au lieu de rendre le jeu difficile d’accès, cette approche rend le jeu assez intuitif pour les néophytes, qui seront ravis d’avoir allié quelques jokers complémentaires. Mais cela permet aussi aux joueurs aguerris de concocter un nombre incroyable de stratégies viables, dont certaines extrêmement exotiques, à la volée. Quels que soient vos premiers jokers, il existera forcément plusieurs approches différentes pour les rentabiliser de manière aussi efficace que spectaculaire.

Les roguelikes où tous les éléments de jeu interagissent de manière si organique, avec très peu de friction, sont extrêmement rares — et il ne fait aucun doute que cela a largement contribué au succès du jeu.

Dompter le hasard

Cette flexibilité a aussi permis à LocalThunk de réduire l’influence d’un autre élément souvent problématique dans ce genre : la fameuse RNG pour Random Number Generation — la chance, en somme. Dans de nombreux roguelites, le joueur tend à se retrouver dans une situation difficile où quel que soit son niveau de maîtrise, le hasard fait qu’il ne tombera jamais sur les éléments nécessaires pour permettre à son build d’exprimer tout son potentiel. Même certains des meilleurs représentants du genre ne sont pas épargnés ; tous ceux qui ont déjà joué aux excellents Darkest Dungeon, Risk of Rain ou Noita, pour ne citer qu’eux, ont forcément vu quelques parties prometteuses s’écrouler parce que les dés ne sont pas tombés du mauvais côté.

Certains développeurs ont donc concocté des stratégies très intéressantes pour limiter l’impact de ce hasard grâce à des choix judicieux. Hades (encore lui) ou Dead Cells, par exemple, doivent une grande partie de leur succès à la synergie mentionnée plus haut, mais aussi au fait qu’ils offrent différents leviers aux joueurs pour dompter la RNG. Balatro réussit également à le faire de façon brillante, et peut-être encore mieux que ces derniers.

Par exemple, le fait que les jokers soient constamment interchangeables (à quelques exceptions près dans les niveaux de difficulté plus élevés) permet au joueur de rester flexible, et d’adapter sa stratégie en temps réel pour être moins vulnérable aux aléas du hasard. On peut aussi citer les cartes de Tarot, qui permettent de modifier le deck pour rendre les mains visées plus accessibles ou améliorer certaines cartes.

Balatro Deck
© LocalThunk

En plus d’être incroyablement stimulante à cause du nombre de possibilités, cette approche a l’avantage de réduire la frustration inhérente au genre, et permet aux joueurs expérimentés d’atteindre leur objectif avec une régularité bluffante. Les roguelites qui atteignent un tel niveau d’équilibre se comptent probablement sur les doigts d’une main, et à ce titre, Balatro représente un véritable exploit de game design.

Fluidité et spontanéité

Et même lorsque tout ne se déroule pas comme prévu, Balatro fait tout pour que les échecs aient un minimum d’impact psychologique.

Dans les roguelites et encore davantage dans les roguelikes, chaque défaite est une double peine. Non seulement le joueur perd des bonus potentiellement très amusants à utiliser, mais il va aussi devoir déployer des efforts significatifs pour mettre une partie sur de bons rails, sans garantie de résultat. C’est particulièrement perceptible dans des jeux difficiles comme les fabuleux Noita ou Darkest Dungeon, même si ce dernier n’est pas vraiment un roguelike à proprement parler.

Dans Balatro, en revanche, cette frustration est aussi présente — roguelite oblige. Mais elle n’a presque jamais le temps de s’installer durablement. Il suffit d’une pression sur un bouton pour relancer une partie médiocre sans conséquence, et c’est tout juste si le jeu contient un petit menu pour annoncer la défaite. Cela pourrait sembler complètement anecdotique. Mais cette fluidité dans l’enchaînement des parties et l’exploration perpétuelle des possibilités contribue grandement à faire de Balatro une véritable drogue vidéoludique — au sens le plus littéral du terme.

Une incroyable usine à dopamine

Car le dernier point qui rend Balatro si addictif réside dans son système de score, basé sur des nombres qui augmentent de façon exponentielle tout au long de la partie. Et c’est une excellente façon de solliciter les composantes les plus primitives de notre cerveau.

En effet, l’évolution nous a câblés spécifiquement pour rechercher l’abondance depuis l’aube de l’humanité. Autrefois, nos ancêtres étaient motivés par l’idée de ramener autant de victuailles que possible à chaque chasse. Aujourd’hui, les athlètes cherchent à exploser leurs records, les traders ne demandent qu’à voir le cours de leurs actions monter en flèche, les influenceurs ne jurent que par le nombre de vues et de pouces sous leurs publications…

De la même façon, de nombreux joueurs n’attendent qu’une chose : voir un score décoller de manière spectaculaire. Qu’il s’agisse du nombre de kills dans Counter Strike ou de la production par minute dans Factorio, c’est le même circuit qui intervient, avec une décharge de dopamine en guise de récompense. Ce mécanisme est si efficace qu’il existe des jeux entièrement basés dessus, comme le célèbre Cookie Clicker.

Balatro Feu
© LocalThunk

Balatro exploite aussi cette stratégie d’une manière brillante. Ses explosions de score qui atteignent rapidement des hauteurs vertigineuses sont déjà satisfaisantes en elles-mêmes, mais le fait qu’elles découlent directement de choix stratégiques judicieux les rend encore plus percutantes.

Ajoutez à cela un sound design aux petits oignons et une foule d’autres petits détails qui amplifient encore la gratification, comme les flammes qui surviennent lorsque le compteur de score s’emballe, et vous obtenez une redoutable usine à dopamine. A ce niveau, Balatro n’a que très peu d’équivalents dans le monde des roguelites, et même du jeu vidéo en général.

La profondeur à partir de la simplicité

En résumé, le succès de Balatro réside en grande partie dans sa fluidité, sa diversité, et surtout dans son concept simple au premier abord, mais étonnamment profond. Ses quelques mécaniques sont sans cesse déclinées à travers d’innombrables couches de complexité supplémentaires qui font la part belle à la persévérance et à la créativité.

À ce titre, on peut le comparer à des jeux comme Rocket League ou Tekken. L’objectif — mettre la balle dans le filet, ou réduire la barre de vie de l’adversaire à zéro le cas échéant — semble trivial, mais il existe tellement de nuances dans la manière d’y parvenir que tout le monde y trouve son compte, des joueurs occasionnels aux forcenés qui poussent chaque mécanique jusqu’à l’extrême limite.

Pas étonnant, donc, que Balatro ait été un véritable carton vidéoludique, auréolé du titre de Meilleur jeu indépendant aux derniers Game Awards. C’est un chef d’œuvre de game design, original et addictif, qui n’a pu émerger que grâce à la créativité d’un unique individu passionné. Si vous n’avez pas encore eu l’occasion de vous y frotter, nous ne pouvons donc que vous recommander de tenter l’expérience, surtout qu’il est disponible à moins de 12 € sur Steam en ce moment !

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