Passer au contenu

Ingénierie génétique : le mammouth est-il sur le point de ressusciter ?

Des chercheurs qui cherchent à ramener ces animaux disparus à la vie affirment avoir fait un grand pas dans cette direction. Mais tout le monde n’est pas d’accord, pour un ensemble de raisons à la fois techniques et éthiques.

Depuis plusieurs années, l’entreprise américaine Colossal Biosciences essaie d’accomplir un véritable exploit scientifique en utilisant l’ingénierie génétique pour ressusciter le mammouth, cette espèce iconique disparue depuis plusieurs millénaires. Elle estime désormais avoir fait un grand pas dans cette direction en produisant des souris « laineuses » dont le pelage imite les adaptations au froid des célèbres pachydermes — mais tous les chercheurs sont loin d’être convaincus.

Pour arriver à ce résultat, l’équipe a commencé par décortiquer méticuleusement le génome de 59 restes de mammouth appartenant à trois espèces différentes : les mammouths laineux (Mammuthus primigenius), les mammouths des steppes (Mammuthus trogontherii) et les mammouths colombiens (Mammuthus columbi).

En parallèle, ils se sont aussi penchés sur le génome des éléphants d’Asie, les plus proches parents vivants des mammouths. Cette phase de l’analyse est cruciale, car elle permet d’identifier les portions du génome qui ont été perdues depuis la disparition des mammouths, et qu’il faudra donc reconstituer pour les ramener à la vie. Cette démarche a permis aux chercheurs d’identifier sept gènes impliqués dans la production de l’épaisse fourrure des mammouths, ainsi que d’autres portions du génome responsables d’autres adaptations au froid comme la rétention et la distribution des tissus gras.

À partir de là, ils ont utilisé trois techniques d’ingénierie génétique différentes pour modifier le génome d’embryons très précoces de souris, en y intégrant des versions synthétiques des gènes précédemment identifiés. Ils ont ensuite mis ces embryons en culture pour permettre aux animaux d’arriver à maturité. Au bout du processus, l’équipe a obtenu une portée de souris très différentes de ce qu’elles auraient été sans ces manipulations génétiques. Au lieu d’un pelage très sombre et fin, elles étaient recouvertes d’un épais duvet doré.

Colossal Souris Laineuse Dorée
© Colossal Biosciences

Un succès que l’entreprise a présenté comme un grand pas vers le retour du célèbre mammouth. « La souris laineuse de Colossal marque un tournant dans notre mission de lutte contre l’extinction », explique son co-fondateur et PDG Ben Lamm. Mais le moins que l’on puisse dire, c’est que tout le monde ne partage pas cette interprétation.

La communauté scientifique pas franchement impressionnée

Certains détracteurs souliquent notamment le fait qu’au niveau purement scientifique, ces souris n’ont rien de très impressionnant. Les techniques utilisées sont déjà bien maîtrisées ; c’est loin d’être la première fois que des gènes sont ainsi transférés d’une espèce à l’autre, et le fait que certains d’entre eux soient issus d’une espèce disparue ne change pas grand-chose au niveau technique.

« C’est juste une souris qui a des gènes spéciaux », estime Stephan Reisenberg, ingénieur en génétique au célèbre Institut Max Planck cité par le prestigieux journal Nature.

D’autres chercheurs pointent aussi du doigt les lacunes méthodologiques de l’étude de Colossal. Vincent Lynch, un généticien de l’évolution également cité par Nature, regrette par exemple le fait que ces travaux n’aient pas cherché à établir un lien direct entre l’intégration de ces gènes calqués sur ceux du mammouth et le changement d’apparence des souris. Selon lui, à cause de cette limite, il est impossible de savoir si ce sont vraiment les gènes du mammouth qui se manifestent, ou si ces changements de séquence ont simplement permis à des portions “muettes” du génome des souris de s’exprimer.

« J’adorais que cela montre que les changements spécifiques aux mammouths identifiés par comparaison des génomes ont de réelles conséquences phénotypiques, mais ce n’est pas le cas », indique-t-il.

Tous ces chercheurs semblent donc d’accord sur un point : reconstruire un vrai génome de mammouth à partir de celui d’un éléphant sera beaucoup, beaucoup plus compliqué, et l’entreprise est encore très loin d’y parvenir.

La “dé-extinction”, une fausse bonne idée ?

Au-delà des considérations techniques, les travaux de Colossal suscitent aussi la polémique pour des raisons davantage éthiques. De nombreux observateurs estiment que le projet n’a tout simplement pas de raison d’être.

Leur premier argument : si les espèces éteintes n’ont pas réussi à survivre, il n’y a aucune raison de penser qu’elles s’en sortent mieux une fois ramenées à la vie. Le cas du mammouth est déjà très éloquent à ce niveau. Ce dernier a disparu au même rythme que son habitat naturel… et celui-ci n’existe tout simplement plus aujourd’hui. Et rien ne garantit qu’il se sentira à l’aise dans nos toundras modernes, d’autant plus que ces dernières fondent à vue d’œil sous l’effet du réchauffement climatique.

La firme reste toutefois enthousiaste, car elle espère qu’à terme, sa technologie permettra aussi d’ intégrer de nouveaux gènes à des espèces menacées afin qu’elles puissent s’épanouir dans un monde auquel elles sont de moins en moins adaptées. Mais est-ce vraiment une bonne idée ? On peut légitimement en douter.

Laisser proliférer une population entière à partir d’une poignée d’organismes génétiquement modifiés est une opération loin d’être anodine. Il ne s’agit pas seulement de relâcher quelques animaux autrefois disparus dans la nature, puis de s’en auto-congratuler dans un communiqué; au niveau écologique, ce genre de projet pourrait générer des retombées très problématiques.

La principale crainte, c’est que ces espèces revenues d’entre les morts ne changent drastiquement la dynamique de leurs nouveaux habitats. Ce n’est pas un hasard si le transfert d’animaux d’un continent à l’autre est strictement réglementé; une seule espèce peut parfois déséquilibrer un écosystème entier à elle toute seule, comme on le constate avec certaines espèces invasives.

Autre problème majeur : il serait aussi impossible de suivre à la trace les inévitables transferts génétiques qui surviendraient lors de leurs interactions avec d’autres espèces, comme des parasites. Sur le long terme, cela pourrait donc dénaturer complètement certaines niches écologiques, avec des conséquences potentiellement catastrohphiques que nous aurions beaucoup de mal à anticiper.

Une controverse partie pour durer

En eonclusion, réintroduire ces espèces éteintes pourrait fragiliser considérablement l’équilibre très délicat qui permet à certains écosystèmes de substituer – d’où la réticences des critiques, pour qui l’innovation ne justifie pas un tel risque.

Mais il en faut plus pour décourager Colossal, qui affirme travailler avec le gouvernement pour « mettre en place des standards éthiques et technologiques » avant de se lancer tête baissée dans ces opérations controversées. Il sera donc intéressant de suivre les progrès de ces travaux, aussi bien aux niveaux techniques qu’éthiques.

Le texte de l’étude est disponible ici.

🟣 Pour ne manquer aucune news sur le Journal du Geek, abonnez-vous sur Google Actualités. Et si vous nous adorez, on a une newsletter tous les matins.

Mode