Dans un post repéré par Tom’s Hardware, Jim Keller, une légende vivante de la tech, a annoncé son arrivée au conseil d’administration d’une startup appelée AheadComputing. Son objectif : faire décoller RISC-V, une architecture pleine de promesses, mais largement délaissée par les cadors du hardware. Une démarche qui pourrait bien faire du grabuge aux quatre coins de l’industrie.
Dans le monde du hardware, peu de personnalités sont aussi influentes et révérées que Jim Keller. L’intéressé dispose d’un CV long comme un rouleau de papier toilette, et garni de succès tous aussi remarquables les uns que les autres.
Pour commencer, il a été le grand architecte des processeurs Athlon 64 et Opteron — les tout premiers processeurs x86 64-bit d’AMD. Pour l’entreprise, ces puces ont constitué la porte d’entrée vers une ère où cette architecture est devenur ultra-dominante, avec plus de 95% de part de marché aujourd’hui. Il était aussi le grand manitou de l’équipe qui a accouché des formidables processeurs Zen (Ryzen, EPYC) d’AMD. Ces puces ont été à l’origine d’une véritable résurrection pour l’écurie orange, dont les processeurs font aujourd’hui office de mètre étalon alors que son concurrent historique, Intel, ne parvient plus à sortir la tête de l’eau.
Plus récemment, il a aussi travaillé sur les puces A4 et A5 d’Apple, qui ont contribué au succès phénoménal des iPhones et iPads, ainsi que sur le FSD (Full Self Driving), le système de pilotage automatique qui a grandement contribué à la notoriété de Tesla et à l’engouement actuel pour les véhicules autonomes.
AheadComputing, un concentré de talents rares
Autant dire que le bougre fait partie des figures qui ont contribué à façonner une bonne partie de notre écosystème technologique actuel. Il ne fait quasiment aucun doute que tous les cadors de l’industrie débourseraient des sommes astronomiques pour s’attacher ses services. Mais l’intéressé ne l’entend pas de cette oreille. Apparemment lassé par les contraintes inhérentes à la Big Tech, il a choisi de se focaliser sur sa véritable passion, l’innovation.
En 2021, il a rejoint Tenstorrent, une startup spécialisée dans le hardware appliqué à l’intelligence artificielle, et vient encore d’ajouter une nouvelle corde à son arc en rejoignant l’état-major d’AheadComputing.
Happy to announce I'm on the board of AheadComputing.
Debbie Marr is the CEO, she's great.
We are making the RiscV ecosystem, rich, broad and solid. CPUs, AI, support IP and software.
Open RiscV is where you can innovate. Unconstrained.https://t.co/SKUpOFoQST
— Jim Keller (@jimkxa) February 25, 2025
Cette entreprise n’est certes pas connue du grand public — rien d’étonnant, puisqu’elle vient tout juste de fêter son premier anniversaire. Mais elle est pourtant construite sur des fondations on ne peut plus solides. Elle peut notamment compter sur un noyau dur composé de transfuges du prestigieux Advanced Architecture Development Group, le prestigieux laboratoire de conception qui a fait les beaux jours d’Intel pendant des décennies. Selon Tom’s Hardware, les quatre fondateurs sont tous des vétérans chevronnés qui ont grandement contribué à certains des meilleurs produits hardware dont l’industrie a accouché ces 30 dernières années.
Un porte-étendard de premier plan pour une architecture délaissée
Et avec cette nouvelle recrue star, cette équipe de choc semble plus déterminée que jamais à orchestrer un nouveau changement de paradigme grâce à un acronyme bien connu des fans de hardware : RISC-V.
Comme x86 et ARM, qui est revenue sur le devant de la scène récemment grâce aux puces Snapdragon X de Qualcomm, il s’agit d’une architecture de processeur — un ensemble d’instructions et de méthodes de traitement des données qui déterminent comment les composants interagissent avec le matériel. Mais à ce jour, elle n’a jamais rencontré le succès de ses concurrents. À cause d’un mélange de conventions tacites dans l’industrie et de différents facteurs technologiques (compatibilité, coût…), RISC-V est plus ou moins tombée aux oubliettes, et affiche aujourd’hui une part de marché quasiment négligeable.
Et c’est bien dommage, car cette architecture a des arguments tout à fait sérieux. Pour commencer, elle est à la fois entièrement open source et hautement modulaire, ce qui permet aux sorciers du hardware d’innover avec très peu de contraintes. En outre, elle est notoirement simple et extrêmement efficiente, avec tout ce que cela implique pour la gestion de l’énergie. Des qualités particulièrement intéressantes en cette période, dans un contexte où la montée en puissance rapide de l’IA exerce une pression très importante sur les architectures et le matériel d’aujourd’hui.
Il n’en fallait pas plus pour donner des idées à ces cadors. Avec leur nouvelle société, ils vont désormais tenter de développer des cœurs de processeurs extrêmement efficaces et performants qui pourraient bénéficier d’un avantage compétitif déterminant dans l’écosystème actuel. Une stratégie qui semble particulièrement pertinente, et l’arrivée de ce visionnaire qu’est Jim Keller ne fait que renforcer cette interprétation.
Vers un grand duel avec ARM ?
Une fois la startup entrée dans le vif du sujet, elle pourrait lancer un vrai changement de paradigme susceptible de bouleverser toute une industrie. En effet, l’onde de choc générée par l’entrée en scène des Snapdragon X, basés sur l’architecture ARM, montre clairement que le monde est plus ouvert que jamais à l’idée de tourner la page x86.
Tout l’enjeu, c’est de proposer un produit mature, performant, et surtout compatible avec l’écosystème actuel pour assurer une transition sans douleur — une condition sine qua non pour espérer le moindre succès commercial.
À l’heure actuelle, c’est bien ARM qui semble être l’architecture la mieux positionnée pour y parvenir. Mais qui sait ; peut-être que Keller va nous gratifier d’un nouveau coup d’éclat retentissant avec ses nouveaux associés, et que l’avenir appartient en fait à RISC-V. Il sera donc très intéressant de suivre le parcours d’AheadComputing, et nous vous donnons rendez-vous d’ici quelques années pour un premier état des lieux.
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