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Fusion nucléaire commerciale : le pari audacieux du stellarator Stellaris

Avec son nouveau concept de réacteur à fusion nucléaire, une startup dérivée du prestigieux Institut Max Planck espère nous ouvrir les portes de la fusion commerciale dès la prochaine décennie. Utopie ou début d’une nouvelle ère ?

Dans un communiqué publié sur BusinessWire, l’entreprise allemande Proxima Fusion a dévoilé un nouveau concept de réacteur à fusion nucléaire particulièrement prometteur, présenté comme une « avancée majeure » pour cette industrie : d’après cette jeune startup, son objectif est nous ouvrir les portes de la fusion commerciale… avant la fin de la prochaine décennie, rien que ça !

Le concept, baptisé Stellaris, entre dans la catégorie des stellarators. Ce sont des variantes des tokamaks, les réacteurs toroïdaux (en forme de donut) sur lesquels misent de nombreux projets actuels et futurs comme l’EAST, le WEST ou ITER.

Tous ces engins exploitent une approche appelée confinement magnétique. Elle consiste à maintenir le plasma — le substrat électriquement chargé, porté à une température de plus de 100 millions de degrés où se déroulent les réactions de fusion — à bonne distance des parois de la chambre en utilisant le magnétisme.

La principale différence entre les tokamaks traditionnels et les stellarators réside dans les propriétés de ce champ magnétique. Dans un tokamak, il est d’abord généré par d’immenses électro-aimants externes… mais aussi par le plasma en lui-même. Au centre de ces réacteurs, on trouve un puissant aimant (ou plus précisément un solénoïde) dont le rôle est de faire varier le champ magnétique pour créer un courant dans le plasma.

KSTAR fusion nucléaire
Un plasma dans le tokamak coréen KSTAR. © National Fusion Research Institute Korea

Ce flux de particules chargées est absolument crucial, car il contribue significativement au champ magnétique qui permet de dompter le plasma. Il faut donc maintenir un courant relativement intense pour éviter que la réaction ne retombe comme un soufflé. Le problème, c’est que le plasma est un animal particulièrement capricieux ; lorsqu’il se déplace de cette manière, il a aussi tendance à générer des fluctuations locales du champ magnétique et de la température, avec tout ce que cela implique pour la stabilité de la création.

C’est l’un des principaux obstacles auxquels les réacteurs expérimentaux sont confrontés aujourd’hui. Une grande partie des travaux conduits dans ces tokamaks se focalise donc sur cette phase de stabilisation ; les chercheurs explorent différentes approches pour lui permettre de subsister le plus longtemps possible.

DeepMind, la filiale de Google spécialisée dans l’intelligence artificielle, a par exemple conçu un modèle de machine learning sophistiqué pour optimiser la configuration du plasma au sein d’un réacteur. Par extension, c’est aussi pour cette raison que le récent record du réacteur français WEST, qui a réussi à stabiliser son plasma pendant 1337 secondes, représente un progrès si impressionnant.

 

Mais d’autres approches sont aussi explorées en parallèle – et c’est là qu’interviennent les stellarators. Dans les réacteurs de ce type, la chambre ne prend pas la forme d’un donut conventionnel. A la place, elle adopte une géométrie tordue qui change drastiquement les propriétés du champ magnétique. Au lieu d’obtenir des lignes de champ circulaires, elles prennent la forme d’hélices qui “s’enroulent” autour du plasma pour le confiner de manière nettement plus efficace. Par conséquent, les stellarators n’ont pas besoin de générer un courant, avec tout ce que cela implique pour la stabilité de la réaction.

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© Lion et al., Fusion Engineering and Design, 2025

Si les institutions comme ITER ont opté pour un tokamak plutôt que pour un stellarator, c’est avant tout parce que ces derniers sont nettement plus complexes à concevoir. Une limite potentiellement rédhibitoire, sachant que la fusion est un phénomène dont nous sommes encore loin de maîtriser toutes les nuances. Proxima Fusion n’a donc pas choisi la voie de la facilité — mais il semble que ses efforts commencent à payer.

Simulations dopées à l’IA et supraconducteurs à haute température

Cette jeune startup est une filiale de l’Institut Max Planck, un prestigieux institut allemand qui fait partie des moteurs de la recherche mondiale dans plusieurs disciplines de pointe — y compris la fusion nucléaire. L’IMP héberge notamment le Wendelstein 7-X, qui n’est autre que le stellarator expérimental le plus performant au monde.

À partir de ces fondations solides, les ingénieurs de Proxima ont enfin pu finaliser les plans de leur futur stellarator. Pour y parvenir, ils se sont notamment appuyés sur des innovations récentes dans les techniques de simulation, qui ont émergé grâce à la montée en puissance du machine learning et à l’apparition de nouveaux supercalculateurs ultraperformants.

Mais surtout, ils comptent exploiter une nouvelle génération d’aimants supraconducteurs à haute température. Pour rappel, les supraconducteurs sont des matériaux qui peuvent perdre l’intégralité de leur résistance pour se transformer en véritables autoroutes à particules, où les charges électriques peuvent se déplacer en toute liberté. Cela permet de générer un champ magnétique extrêmement puissant, d’où leur utilisation dans les électro-aimants d’ITER et consorts.

Un galet en métal supraconducteur à basse température, en lévitation dans un champ magnétique. © Mai-Linh Doan – WikiCommons

Le souci, c’est que ces propriétés supraconductrices ne se manifestent généralement qu’à une température extrêmement basse, proche du zéro absolu. Or, maintenir de grandes bobines supraconductrices à ces températures nécessite à la fois d’énormes efforts d’ingénierie et beaucoup de ressources.

Les ingénieurs en fusion nucléaire bénéficient donc grandement de la découverte de nouveaux matériaux, où la supraconductivité émerge à des températures plus raisonnables. L’objectif ultime de ce champ de recherche, c’est de trouver des supraconducteurs à température ambiante — un « Graal de la physique » qui continue de nous échapper pour le moment.

Mais ces travaux ont déjà permis de découvrir des matériaux où la supraconductivité se manifeste à des températures un peu moins extrêmes, de l’ordre de -200 °C au lieu de -270 °C. Évidemment, c’est toujours très froid dans l’absolu — mais dans ce contexte, on parle tout de même de supraconducteurs à haute température (ou HTS). L’utilisation de ces matériaux permet de réduire considérablement les contraintes d’ingénierie.

Un réacteur fonctionnel dès la prochaine décennie ?

Grâce à ces innovations, Proxima a pu concevoir ce qu’elle présente comme le « premier réacteur à fusion commercial conçu pour fonctionner de manière fiable et continue ». L’entreprise espère construire son premier démonstrateur d’ici six ans à peine. Et surtout, d’après son fondateur interviewé par TheNextWeb, elle projette de construire son premier réacteur fonctionnel d’1 GW à la fin de la prochaine décennie.

Des revendications sacrément ambitieuses, sachant que des milliards ont déjà été investis dans cette niche technologique sans résultat concret pour le moment. ITER, dont le premier plasma a récemment été repoussé à 2034, est là pour en attester.

Mais cet objectif n’est pas forcément utopique pour autant. En effet, Proxima a pris la décision de publier tous ces travaux dans un papier de recherche en accès libre. C’est excessivement rare de la part d’une startup spécialisée dans la fusion. En règle générale, ces entreprises conservent jalousement leurs secrets, ce qui n’a rien d’étonnant connaissant le potentiel commercial faramineux de cette technologie révolutionnaire. Cette démarche pourrait considérablement accélérer la construction d’autres engins de ce genre, nous rapprochant ainsi de la fusion commerciale.

Évidemment, la route reste longue, et il y a fort à parier que de nouveaux obstacles techniques inattendus vont émerger d’ici là. Ce ne serait pas la première fois que les ambitions d’une startup se heurtent à l’impitoyable réalité. Mais connaissant le pedigree du Max Planck Institute, il sera tout de même très intéressant de suivre la construction du démonstrateur de Proxima et, en cas de succès, le développement du modèle commercial qui devrait lui emboîter le pas.

Le texte de l’étude est disponible ici.

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