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Une IA génère des puces aussi incompréhensibles que performantes

Ces travaux fascinants dessinent les contours d’un futur où les humains pourront s’appuyer sur des modèles IA pour découvrir de nouvelles approches de design révolutionnaires, avec tout ce que cela implique pour notre technologie.

Avec la montée en puissance de l’IA générative dans le sillage de ChatGPT, on entend régulièrement dire que des outils basés sur le machine learning vont finir par remplacer de nombreuses professions, des journalistes aux artistes en passant par les médecins. Il semble désormais qu’il faille ajouter les concepteurs de puce à cette liste.

Aujourd’hui, presque tous les aspects de notre vie sont liés de près ou de loin à des puces informatiques. Ordinateurs, smartphones, appareils médicaux ou ménagers, équipements d’analyse ou de fabrication avancés… il devient de plus en plus difficile de trouver des domaines qui pourraient fonctionner sans ces composants. Il serait donc facile d’oublier à quel point le processus qui permet de les amener à maturité est formidablement long et exigeant.

Concevoir une puce, un énorme défi d’ingénierie

Les ingénieurs doivent tenir compte d’une foule de considérations pratiques comme la gestion de la chaleur, la consommation d’énergie, et ainsi de suite. Mais la première difficulté réside dans la conception de l’architecture en elle-même.

Chaque puce est un véritable puzzle technologique constitué de milliards de transistors, dont les interactions sont régies par des règles à la fois complexes et souvent très abstraites. Si abstraites, en fait, que les humains ont vite atteint leurs limites dans ce domaine. Dans les puces modernes, les contraintes de conception et les exigences de vérification sont telles qu’elles dépassent de très loin les capacités d’abstraction du cerveau humain.

Cette industrie se serait rapidement retrouvée face à un mur insurmontable sans les systèmes d’EDA (pour Electronic Design Automation), des logiciels de pointe qui permettent de concevoir, de vérifier et d’optimiser des circuits à base de semiconducteurs. Sans eux, nous n’aurions jamais réussi à développer les puces modernes qui servent de fondation à notre société.

Mais même ces logiciels d’EDA ne sont pas une panacée. Même s’ils ont révolutionné l’électronique, l’innovation tend forcément à ralentir, car la complexité des puces continue d’augmenter à un rythme vertigineux.

Dans ce contexte, on peut légitimement se demander si (ou plutôt, quand) l’industrie va finir par se retrouver dans un état de quasi-stagnation. Une perspective évidemment préoccupante… à moins que l’intelligence artificielle ne change la donne.

Le machine learning à la rescousse

Plusieurs cas d’école nous ont déjà prouvé que le machine learning est diablement efficace lorsqu’il s’agit de résoudre efficacement des problèmes abominablement complexes. On peut citer l’exemple spectaculaire d’AlphaFold, le modèle de DeepMind qui a révolutionné cette discipline notoirement complexe qu’est la biologie structurale.

Plus récemment, une équipe mixte de la prestigieuse université de Princeton et de l’Indian Institute of Technology a donc décidé de mettre cette technologie au travail dans la conception de puces.

Ensemble, ces chercheurs ont créé un modèle IA capable de prendre ce problème si complexe par l’autre bout. Au lieu concevoir une puce pour qu’elle puisse accomplir un ensemble de tâches données, ce système est conçu pour créer une architecture en partant du résultat attendu.

Cette façon de procéder a une implication très concrète et importante : cela signifie que le système était entièrement libre d’imaginer des concepts d’architecture extrêmement exotiques auxquels les humains n’auraient sans doute jamais pensé. En d’autres termes, c’est une façon de s’extraire des carcans posés par les pratiques conventionnelles.

« Les conceptions classiques assemblent soigneusement ces circuits et éléments électromagnétiques, pièce par pièce, afin que le signal circule comme nous le souhaitons dans la puce. En modifiant ces structures, nous incorporons de nouvelles propriétés. Avant, nous disposions d’un moyen limité pour y parvenir, mais maintenant les options sont beaucoup plus larges », explique Kaushik Sengupta, ingénieur en électronique et auteur référent de l’étude, dans un communiqué de l’Université de Princeton.

Des puces incompréhensibles, mais ultra-performantes

Et les résultats se sont avérés assez spectaculaires. Leur modèle a pu concevoir une puce de communication sans fil, comme celles qui sont utilisées dans les modems ou les smartphones. Ce sont des éléments notoirement difficiles à concevoir, car elles sont globalement complexes et impliquent de nombreux composants traditionnellement difficiles à miniaturiser. Mais surtout, il a réussi à le faire en quelques heures à peine, alors que le processus aurait demandé des semaines de travail à des ingénieurs humains aidés par des logiciels d’EDA.

Puce Ia Princeton Zoom
© Emir Ali Karahan, Université de Princeton

Et pour couronner le tout, le modèle ne s’est pas contenté de recracher un design de puce original, loin de là.

Après l’avoir fabriquée, l’équipe de Sengupta était initialement sceptique, car les circuits avaient une apparence carrément extraterrestre. Et pourtant, après certains tests, il s’est avéré que la puce ainsi conçue par l’IA a atteint des niveaux de performance formidables, au-delà des capacités des puces actuellement utilisées dans l’industrie.

« Nous obtenons des structures complexes et de forme aléatoire qui, lorsqu’elles sont connectées à des circuits, créent des performances auparavant irréalisables. Les humains ne peuvent pas vraiment les comprendre, mais ils peuvent mieux travailler », résume Sengupta.

Un changement de paradigme

Les auteurs insistent toutefois sur le fait que leur système est encore loin d’être mature ; ce n’est pas demain la veille que l’on pourra simplement cliquer sur un bouton pour obtenir une puce supérieure à celle que les géants de l’industrie sont capables de produire. « Il reste des pièges qui nécessitent encore d’être corrigés par les concepteurs humains », indique le chercheur. Mais il ne s’agit pas de la finalité de ces travaux.

« Cette étude présente une vision captivante de l’avenir », continue Sengupta. « L’IA permet non seulement d’accélérer des simulations électromagnétiques chronophages, mais également de s’aventurer dans un espace de conception jusqu’ici inexploré et de fournir des dispositifs hautes performances époustouflants qui vont à l’encontre des règles empiriques habituelles et de l’intuition humaine. »

Vu sous cet angle, il semble très probable que les ingénieurs vont bientôt chercher à intégrer ce genre d’outils à leur arsenal. Il sera donc très intéressant de suivre l’évolution de l’approche abordée dans ces travaux, car elle dessine déjà les contours d’un nouveau paradigme qui pourrait un jour révolutionner l’ensemble de notre écosystème technologique.

Le texte de l’étude est disponible ici.

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