Avec les planètes et les étoiles, les trous noirs font incontestablement partie des corps célestes qui influencent le plus l’imaginaire collectif. Ces véritables ogres cosmiques connus pour leur propension à dévorer irrémédiablement tout ce qui passe à leur portée (jusqu’à la lumière elle-même) ont aussi influencé des tas d’auteurs et de fans de science-fiction. À la fois parce qu’ils sont au cœur de nombreux mystères scientifiques, mais aussi parce qu’ils incarnent une sorte de puissance surnaturelle qui fascine tous les rêveurs.
Des cohortes entières d’astrophysiciens étudient quotidiennement ces mastodontes dans l’espoir de percer les secrets les mieux gardés de notre univers. La plupart d’entre eux sont évidemment tout ce qu’il y a de plus sérieux. Mais de temps à autre, ils peuvent aussi s’offrir une petite récréation intellectuelle en explorant des sujets un peu plus insolites, basés sur des scénarios à mi-chemin entre la science fondamentale et l’expérience de pensée.
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C’est le cas de Robert J Scherrer, astrophysicien chevronné à l’Université de Vanderbilt. Il a récemment signé un papier de recherche, repéré par Universe Today, sur une thématique assez fascinante : quelle serait l’ampleur des dégâts si un humain se frottait à trou noir ?
Un voyage sans retour
Pour les trous noirs conventionnels, comme celui qui est brillamment représenté dans le film Interstellar, la réponse est aussi évidente qu’on pourrait le penser.
Il est de notoriété publique que les trous noirs sont des objets particulièrement vastes et, surtout, incroyablement massifs. En règle générale, leur masse tourne autour de la dizaine de masses solaires. En d’autres termes, ils sont environ 10 fois plus lourds que notre étoile, dont la masse est déjà estimée à environ 2 milliards de milliards de milliards de tonnes. Mais ils restent des petits joueurs par rapport aux géants de cette famille ; certains trous noirs supermassifs, comme TON 618, dépassent les 65 milliards de masses solaires !
Il va sans dire que ces objets génèrent des forces gravitationnelles absolument délirantes, qui se manifestent de plus en plus intensément à mesure que l’on s’approche du trou noir ; on parle alors de forces de marée.
Pour l’illustrer, on peut imaginer un petit scénario où vous seriez en train de plonger vers un trou noir tête la première, près de l’horizon des événements — le point à partir duquel plus rien ne peut échapper à son emprise.
À cette distance, les forces de marée augmentent extrêmement rapidement avec réduction de la distance par rapport à l’épicentre. Cela signifie que dans ces conditions, les forces subies par votre tête seraient immensément plus intenses que celles qui s’exercent au niveau de vos pieds. Un petit calcul approximatif permet de déterminer qu’avec un trou noir moyen, ce ratio pourrait atteindre plusieurs centaines de millions !
Bien avant d’en arriver là, notre pauvre cobaye serait donc victime d’un phénomène au nom amusant, mais tout à fait sérieux : la spaghettification. À l’approche de l’horizon des événements, le gradient de force de marée forcerait son corps à s’étirer sur une longue distance, d’où la référence à la célèbre spécialité italienne.
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Les astrophysiciens ont déjà observé des trous noirs en train de spaghettifier des étoiles entières, conduisant à leur annihilation totale. Évidemment, aucun humain n’a jamais vécu cette expérience en personne. Mais on peut spéculer sans trop de risque qu’un organisme vivant serait déchiqueté à l’échelle subatomique par ces forces de marée bien avant d’atteindre l’horizon des événements.
Et ce n’est que la partie émergée de l’iceberg. Pour en arriver là, il faudrait déjà réussir à se frayer un chemin à travers le déluge de matériel assimilé par le trou noir, qui voyage à une vitesse proche de celle de la lumière près de l’horizon. Connaissant les forces en jeu, l’impact d’un simple grain de poussière oblitérerait instantanément tout être vivant. Et même en cas de succès, il faudrait encore survivre aux flux de radiations titanesques qui en émanent. Autant dire que les probabilités d’en ressortir indemne sont… assez limitées, pour rester généreux.
Micro trou noir, maxi dégâts
Mais ce ne sont pas ces trous noirs conventionnels qui ont alimenté les divagations de Robert J Scherrer. À la place, il s’est plutôt interrogé sur le seuil de masse en dessous duquel un humain pourrait espérer survivre. Et pour alimenter son raisonnement, il s’est focalisé sur les trous noirs primordiaux. Il s’agit d’un type de trou noir qui s’est présumément formé à l’aube de l’univers connu.
Ils demeurent techniquement hypothétiques, car personne n’en a jamais observé un. Ce qui est important, c’est que les modèles théoriques stipulent que ces trous noirs primordiaux seraient minuscules par rapport aux trous noirs de masse solaire. Si minuscules, en fait, qu’on peut en imaginer un qui traverserait notre corps sans le désintégrer entièrement. Et c’est précisément ce scénario sur lequel Scherrer s’est penché.
Selon lui, il y a deux paramètres à prendre en compte pour estimer les conséquences de l’impact d’un mini-trou noir. Le premier, c’est encore la force de marée. Même si ces trous noirs primordiaux seraient bien plus légers que leurs homologues modernes, ils présenteraient tout de même une densité exceptionnelle, et donc une masse très importante. On estime que même un trou noir micrométrique mesurerait au moins un bon milliard de tonnes, ce qui est largement suffisant pour générer des forces de marée plus que substantielles.
Si un tel objet traversait l’un de vos membres, il détruirait tout le matériel biologique sur son passage — mais dans un rayon très faible, un peu comme une balle de fusil. En théorie, il serait donc possible de survivre aux forces de marée. À condition, évidemment, que le trou noir ne touche pas d’organe vital comme le cœur ou le cerveau.
Le deuxième paramètre mentionné par Sherrer, c’est l’onde de choc associée à l’impact. Et selon lui, celles-ci seraient nettement plus dangereuses. À l’impact, le trou noir — ou plutôt, la déformation de l’espace-temps qui l’entoure — produirait une onde de choc qui se propagerait violemment dans tous l’organisme. Cela endommagerait physiquement toutes les cellules, et produirait aussi un transfert d’énergie thermique dévastateur par la même occasion. En d’autres termes, même un trou noir microscopique serait parfaitement capable de tuer une personne.
Une expérience de pensée fascinante
Certes, le scénario est tellement tiré par les cheveux que cette étude n’apporte pas grand-chose en termes de science fondamentale. Il va sans dire que ce papier ne va pas révolutionner l’astrophysique.
Mais il s’agit toutefois d’une expérience de pensée fascinante, dans la mesure où elle offre une perspective différente sur les forces titanesques qui régissent notre univers sans que l’on s’en rende forcément compte… Et si les futurs explorateurs de l’espace finissent un jour par tomber nez à nez avec un trou noir primordial, ils sauront en tout cas à quoi s’en tenir !
Le texte de l’étude est disponible ici.
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