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Fusion nucléaire : un réacteur expérimental français s’offre un record XXL

Le WEST, un tokamak basé dans le Sud de la France juste à côté du chantier d’ITER, a pulvérisé le récent record de son homologue chinois en maintenant un plasma stable pendant 1337 secondes. Cocorico !

Cadarache est connu pour héberger le chantier d’ITER, l’immense réacteur à fusion nucléaire expérimental qui devrait produire son plasma d’ici une dizaine d’années. Mais ce géant d’acier n’est pas le seul à avoir élu domicile dans le sud de la France. On y trouve aussi le WEST, un autre tokamak expérimental géré par la Commission à l’Énergie Atomique (CEA).

Et même s’il est bien plus modeste que son futur voisin, il est tout de même capable de véritables tours de force. Le CEA vient d’annoncer dans un communiqué que le WEST avait réussi à maintenir un plasma stable pendant une durée phénoménale de 1337 secondes le 12 février dernier ! Un nouveau record du monde, et un grand succès pour les physiciens et ingénieurs français du CEA.

Coïncidence amusante : ce titre appartenait appartenait depuis quelques semaines à un réacteur expérimental chinois appelé… EAST. Ce dernier a réussi à maintenir sa fournaise en place pendant 1066 secondes, un chiffre déjà très impressionnant.

Mais notre WEST national le devance désormais avec une avance significative, et fait donc un nouveau pas très encourageant vers la fusion nucléaire commerciale.

Un nouveau progrès majeur dans la stabilité du plasma

Pour rappel, les deux engins appartiennent à la même famille technologique qu’ITER. Ce sont tous des tokamaks, des enclaves toroïdales (en forme de donut) entourées par de gigantesques électro-aimants. C’est pour cette raison que cette approche est appelée « confinement magnétique ». Ces derniers ont la lourde responsabilité de contenir le plasma, le milieu chargé qui sert de substrat aux réactions de fusion nucléaire.

Un rendu des énormes bobines de champ toroïdales d’ITER, qui garderont son plasma soigneusement confiné. © ITER Organization

Ce plasma, constitué d’un mélange de gaz (en l’occurrence, tritium et deutérium), c’est le cœur battant des travaux sur la fusion nucléaire. C’est en le chauffant à une température infernale de plusieurs dizaines de millions de degrés que l’on cherche à reproduire les conditions extrêmes qui existent au sein des étoiles comme le Soleil, afin de déclencher des réactions de fusion nucléaire incroyablement énergétiques.

Mais créer un tel plasma est tout sauf un jeu d’enfant. Il faut d’abord lui transmettre une quantité d’énergie gigantesque pour faire grimper progressivement sa densité et sa température, et par extension, la probabilité que deux atomes fusionnent. Mais surtout, il faut ensuite réussir à le stabiliser dans ces conditions extrêmes. L’objectif : atteindre le seuil d’ignition. Ce terme désigne un palier critique où la réaction devient autoentretenue, et peut se poursuivre sans apport d’énergie supplémentaire pour arriver au stade de la production d’énergie nette.

Mais voilà : ce satané plasma est un animal sauvage qui n’a aucune intention de se plier aux désirs des ingénieurs. La moindre fluctuation de la température ou du champ magnétique produit par les électro-aimants peut faire retomber la réaction comme un soufflé. Il faut donc dorloter ce plasma en permanence. Une grande partie des travaux conduits dans ces tokamaks expérimentaux se focalise donc sur cette phase de stabilisation ; les chercheurs explorent différentes approches pour lui permettre de subsister le plus longtemps possible. DeepMind, la filiale de Google spécialisée dans l’intelligence artificielle, a par exemple misé sur l’IA ; elle a conçu un double modèle sophistiqué pour optimiser la configuration du plasma au sein d’un réacteur.

Un pas vers le seuil d’ignition

À ce jour, aucun réacteur expérimental n’a cependant réussi à mettre en place toutes les conditions nécessaires pour atteindre ce fameux seuil d’ignition. Mais le record du WEST représente un vrai pas dans cette direction. 1337 secondes de stabilité pourraient sembler anecdotiques, mais c’est tout de même environ 25 % de plus que le dernier record déjà très impressionnant de l’EAST. En résumé, nous n’avons jamais été aussi proches du fameux seuil d’ignition… même s’il reste beaucoup de travail.

En effet, même s’il s’agit d’un tour de force technique qui mérite un tonnerre d’applaudissements, la route qui nous mènera (peut-être) vers la fusion commerciale reste très longue. Nous sommes encore loin de savoir construire un réacteur à fusion mature, capable de produire une énergie pratiquement illimitée à notre échelle, et surtout de récupérer cette énergie pour l’utiliser. Selon toute vraisemblance, il faudra plusieurs décennies de travail supplémentaires pour y parvenir.

Iter Cadarache
Le site de Cadarache, centre névralgique du programme ITER. © ITER Organization

Ce qui est encourageant, c’est qu’à moyen terme, tous les records des tokamaks comme l’EAST chinois, le KSTAR coréen et WEST bénéficieront directement à ITER, le mégaréacteur en construction dans la même région que ce dernier. En plus d’être l’hôte du chantier, la France est un membre éminent du consortium international qui se charge de son développement. Une fois terminés, les opérateurs de ce tokamak XXL pourront s’appuyer sur ces progrès récents pour peaufiner leur système, afin qu’il puisse produire son premier plasma le plus rapidement possible.

Et cette aide sera sans doute bienvenue dans le contexte actuel. Pour rappel, cette échéance a récemment été repoussée à 2034 au plus tôt, soit dix ans après la date prévisionnelle initiale, à cause de plusieurs obstacles techniques et réglementaires.

Plus les réacteurs comme WEST réussiront à défricher le terrain, plus ITER pourra commencer sa grande aventure sur les chapeaux de roue. Il ne reste donc plus qu’à espérer que WEST et ses homologues vont continuer de battre des records en attendant l’entrée en scène du futur roi des tokamaks.

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