Grâce à un grand détecteur situé au fond de la Méditerranée, des chercheurs sont parvenus à détecter le neutrino le plus énergétique à ce jour, et de très loin.
Ce 13 février, tout semblait calme autour de la Sicile. Ou du moins, c’était le cas à la surface ; sous l’eau, en revanche, une immense machine était en train de s’emballer. Cet engin, c’est le Kilometre Cubic Neutrino Telescope, ou KM3NeT pour les intimes. Comme son nom l’indique, il s’agit d’un vaste télescope — mais contrairement à la majorité de ses homologues, il n’est pas perché sur une montagne ou sur une orbite ; à la place, il occupe une zone d’environ 1 km carré… à environ 3500 mètres de fond au large de la Sicile.
Pourquoi diable des chercheurs iraient-ils positionner un télescope à un endroit aussi curieux ? Cette masse d’eau doit fortement impacter négativement la qualité des images, n’est-ce pas ? Eh bien… pas du tout ! Car contrairement à Hubble ou au JWST, KM3NeT n’est pas conçu pour observer des objets très éloignés : à la place, il attend sagement que ses cibles viennent à lui.
Des « particules fantômes » aussi précieuses que discrètes
Les cibles en question, ce sont les neutrinos — des particules qui nous viennent tout droit de l’espace après avoir émergé du Soleil, d’un événement cosmique très énergétique comme une supernova, ou d’un déluge de sous-particules associé à l’impact d’un rayon cosmique avec l’atmosphère. Ce sont donc des « messagers cosmiques » dont l’étude est formidablement utile en cosmologie et en physique fondamentale.
« Ce sont des messagers cosmiques spéciaux ; ils nous apportent des informations uniques sur les mécanismes impliqués dans les phénomènes les plus énergétiques et nous permettant d’explorer les confins de l’Univers », explique Rose Coniglione, porte-parole du consortium KM3NeT.
Malheureusement, ils sont aussi particulièrement élusifs. En effet, ces satanés neutrinos ont une masse extrêmement faible, aucune charge électrique, et pour couronner le tout, ils n’interagissent quasiment jamais avec la matière ordinaire. Autant d’éléments qui rendent leur détection extrêmement difficile — d’où leur surnom de « particules fantômes ».
Un détecteur sous-marin à la rescousse
Pour augmenter leurs chances d’en observer, les chercheurs construisent donc de vastes détecteurs comme le KM3NeT, qui à terme, englobera plus d’1 kilomètre cube d’océan. En plus de l’espace disponible, cet environnement présente un autre avantage dans ce contexte. En effet, l’eau constitue un bouclier naturel contre les autres signaux qui pourraient générer des faux positifs, facilitant la détection. De plus, lorsqu’un neutrino interagit avec l’eau, il génère des signaux particuliers, les radiations de Cherenkov, qui peuvent être analysés pour reconstituer la trajectoire et l’origine de la particule.
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Grâce à cet appareillage, les chercheurs parviennent à détecter quelques milliers de neutrinos chaque année. Mais la plupart d’entre eux ne sont pas particulièrement intéressants. Il s’agit généralement de neutrinos dits atmosphériques, produits lorsqu’un rayon cosmique se décompose en pénétrant dans l’atmosphère.
Mais quelques fois par an, il détecte aussi des neutrinos de haute énergie d’origine astronomique, qui nous viennent directement d’objets comme des supernovas, des trous noirs ou des noyaux galactiques lointains. Ceux-ci sont nettement plus précieux d’un point de vue scientifique… et il se trouve justement que le KM3NeT vient d’en détecter un exemple particulièrement spectaculaire.
Le premier neutrino à ultra-haute énergie
La nuit dernière, il a détecté un signal extraordinairement intense, cohérent avec le passage d’un neutrino dont l’énergie a été estimée à… 220 PeV. Il s’agit d’un record absolu; pour référence, c’est environ trente fois plus énergétique que l’ancien tenant du titre ! Selon les auteurs, il s’agit même du premier neutrino à ultra-haute énergie jamais détecté.
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À notre échelle, ces 220 Pev représentent une quantité d’énergie assez faible. Cela correspond peu ou prou à l’énergie transportée par quelques gouttes de pluie qui s’écrasent à la surface de la Terre. Sauf qu’ici, nous parlons d’un objet à la taille infinitésimale. Et à cette échelle, cela représente une quantité d’énergie carrément absurde.
Pour l’illustrer, on peut raisonner à une échelle plus importante en remplaçant la particule par une bale de base-ball, tout en conservant le rapport énergie/masse. Dans ces conditions, son impact dégagerait une énergie équivalente à plusieurs millions de milliards de tonnes de TNT — plusieurs milliards de fois plus que toutes les armes nucléaires jamais construites par l’humanité !
Une origine encore floue
L’équipe a exploré plusieurs scénarios possibles pour tenter de déterminer l’origine de ce véritable missile nanométrique. Elle n’en a identifié qu’un seul qui soit cohérent : tout indique que le neutrino provient d’une source extragalaxtique, située en dehors de notre galaxie. Les chercheurs ont conclu qu’il avait probablement émergé d’un blazar, un noyau de galaxie actif qui émet de puissants jets de matière ionisée à une vitesse proche de celle de la lumière.
Mais il existe aussi une autre possibilité, encore plus excitante. Selon les auteurs, il pourrait s’agir d’un neutrino dit cosmogénique, né de la rencontre entre un rayon cosmique et le fonds diffus cosmologique — le flux de radiations qui parcourt l’Univers depuis le Big Bang. Le cas échéant, il s’agirait d’une grande première susceptible d’offrir de nouvelles informations précieuses sur la dynamique de l’Univers.
Il ne reste donc plus qu’à patienter en espérant que les physiciens réussissent à identifier la source exacte de cet incroyable projectile cosmique.
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