Des chercheurs de l’Université d’Oxford revendiquent une vraie percée scientifique qui pourrait faire passer l’informatique quantique dans une nouvelle dimension. Au cœur de ces travaux : la première utilisation concrète de la « téléportation quantique ».
Pour comprendre ces travaux, il convient de reposer quelques bases sur l’informatique quantique, et plus spécifiquement sur les qbits, les cousins quantiques des bits qu’on trouve en informatique traditionnelle.
Dans un PC conventionnel, ces sous-unités logiques fondamentales existent dans un état bien défini. Elles prennent simplement la forme d’une charge électrique stockée grâce à un transistor qui peut passer d’un état à l’autre (0 ou 1), pour représenter différentes informations. Dans un ordinateur quantique, la situation est plus ambiguë. Pour stocker l’information, les qbits font appel aux propriétés quantiques de la matière ; leur fonctionnement repose sur les notions de superposition et d’intrication.
Le premier terme désigne un phénomène qui permet à un système d’exister dans une superposition de différents états au même moment. L’intrication, de son côté, un phénomène à travers lequel plusieurs particules se retrouvent corrélées de telle manière que leurs états quantiques deviennent interdépendants, quelle que soit la distance qui les sépare. En d’autres termes, elles sont unies par un lien invisible ; par exemple, si l’on mesure une propriété quantique comme le spin d’un des deux membres du couple, on connaîtra le spin de l’autre, même s’il est situé à l’autre bout de l’univers.
La téléportation quantique, de la fiction à la réalité
Des physiciens ont eu l’idée d’exploiter cette intrication pour transmettre des informations, encodées dans l’état quantique des particules, d’un endroit à l’autre : on parle de téléportation quantique. Mais le terme peut porter à confusion. En effet, ce phénomène n’implique aucune transmission physique de matière ou d’énergie. La seule chose qui est transmise, c’est bien l’état d’une des deux particules. Il ne s’agit donc pas d’un phénomène surréaliste qui permettrait de transporter instantanément un objet d’un endroit à l’autre, comme par magie.
En réalité, la téléportation quantique n’est donc pas aussi spectaculaire que celle à laquelle la science-fiction nous a habitués. Par contre, c’est un phénomène bien réel qui a déjà été démontré en pratique. En 2020, une équipe de l’Université de Rochester a réussi pour la première fois à téléporter l’état quantique d’un qbit (en l’occurrence, un électron) vers une deuxième particule de destination.
Depuis, cette expérience a été répliquée à plusieurs reprises, prouvant qu’il ne s’agissait pas d’une anomalie. Un résultat très enthousiasmant, car à partir de là, les chercheurs ont pu commencer à explorer différentes manières d’exploiter la téléportation quantique dans des applications concrètes et utiles.
Des processeurs quantiques reliés à distance
C’est là qu’intervient la dernière expérience des physiciens d’Oxford : ils sont parvenus à utiliser la téléportation quantique pour envoyer non pas des informations isolées, mais des portes logiques — les éléments fondamentaux des circuits informatiques sur lesquels les processeurs s’appuient pour réaliser des opérations.
En pratique, cela signifie qu’ils sont allés bien au-delà de la simple preuve de concept ; pour la première fois, ils ont fonctionnellement connecté deux processeurs quantiques physiquement indépendants pour créer un seul et unique ordinateur quantique « distribué ».
![Oxford Téléportaiton Quantique](https://www.journaldugeek.com/app/uploads/2025/02/oxford-teleportaiton-quantique.jpg)
« Les démonstrations précédentes de téléportation quantique se sont concentrées sur le transfert d’états quantiques entre des systèmes physiquement séparés. Dans notre étude, nous utilisons la téléportation quantique pour créer des interactions entre ces systèmes distants », résume Dougal Main, physicien à Oxford et auteur principal de l’étude.
« En adaptant soigneusement ces interactions, nous pouvons réaliser des portes logiques — les opérations fondamentales de l’informatique — entre des qubits hébergés dans des ordinateurs quantiques distincts. Cette avancée nous permet de “relier” efficacement des processeurs quantiques distincts en un seul ordinateur quantique entièrement connecté », précise-t-il.
Un pas vers les premiers supercalculateurs quantiques
C’est un progrès plus que substantiel, car avec cette démonstration, l’informatique quantique se rapproche considérablement des supercalculateurs conventionnels, comme le Frontier. Traditionnellement, ces derniers sont constitués de nombreuses sous-unités (les « clusters ») qui sont liés les uns aux autres pour obtenir une puissance de calcul très importante.
![](https://www.journaldugeek.com/app/uploads/2022/06/hp.jpg)
En informatique traditionnelle, cette approche comporte de nombreux avantages pratiques, notamment en termes de scalabilité. Mais c’est encore plus utile dans le contexte à l’informatique quantique, car cette approche permet théoriquement de contourner la principal obstacle qui freine encore l’évolution de cette discipline de pointe : la cohérence des qbits.
Pour qu’un ordinateur quantique puisse travailler, il faut maintenir ces fameux qbits dans un état de superposition et d’intrication quantique : on dit alors qu’ils sont cohérents entre eux. C’est malheureusement plus facile à dire qu’à faire, car ces ensembles de qbits superposés et intriqués sont des entités incroyablement délicates. La moindre perturbation peut faire s’écrouler cette harmonie fragile et rendre le système inexploitable. Tout l’enjeu, c’est donc de créer un environnement extrêmement stable où les qbits peuvent rester cohérents sur une longue durée pour réaliser diverses opérations avec une grande précision.
Malheureusement, à l’heure actuelle, nous ne sommes capables de le faire qu’avec un nombre assez limité de qbits. Et c’est là que la téléportation quantique devient très intéressante. En théorie, il suffit de relier plusieurs clusters qui comportent relativement peu de qbits pour constituer un ordinateur quantique bien plus puissant, capable de résoudre des problèmes qui demanderaient des années de travail à un supercalculateur classique en quelques heures à peine.
Les chercheurs d’Oxford ont même réussi à faire tourner l’algorithme de Grover sur leur ordinateur quantique distribué. Il s’agit d’un programme d’informatique quantique qui permet de trouver un élément précis dans un vaste ensemble de données non structurées beaucoup plus rapidement qu’un ordinateur classique, en utilisant la superposition et l’intrication pour explorer de nombreuses possibilités en parallèle. En d’autres termes, ils ont réussi à prouver la viabilité de cette approche ô combien prometteuse.
La route reste longue
« Notre expérience démontre que le traitement de l’information quantique distribué en réseau est réalisable avec la technologie actuelle », explique David Lucas, co-auteur de l’étude.
Cela signifie-t-il que ces machines révolutionnaires sont sur le point de connaître une montée en puissance spectaculaire ? Pas si vite. Les auteurs insistent sur le fait qu’il reste de nombreux obstacles techniques et théoriques à surmonter avant de pouvoir espérer construire un véritable supercalculateur quantique.
« La montée en échelle des ordinateurs quantiques reste un formidable défi technique qui nécessitera probablement de nouvelles connaissances en physique ainsi que des efforts d’ingénierie intensifs au cours des années à venir », avertir Lucas.
Quoi qu’il en soit, il s’agit tout de même d’un superbe progrès et d’un grand pas dans cette direction. Il conviendra donc de guetter les prochaines expériences qui feront appel à ce concept, car elles vont sans doute nous rapprocher considérablement de la révolution technologique promise par les ordinateurs quantiques.
Le texte de l’étude est disponible ici.
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