Intel vient de recevoir un énorme chèque de 515,55 millions d’euros de la part de la Commission européenne, en conclusion d’un long feuilleton juridique qui a donné bien des maux de tête à Bruxelles depuis plus d’une décennie. Une somme substantielle et sans doute bienvenue pour l’entreprise, qui traverse une période compliquée, mais qui illustre aussi la difficulté de mettre les géants de la tech face à leurs responsabilités.
Un feuilleton antitrust vieux de 15 ans
Pour comprendre l’origine de ce versement, annoncé par la nouvelle Commissaire à la concurrence Teresa Ribera et initialement relayé par Reuters, il faut remonter une quinzaine d’années en arrière.
En 2009, le titan industriel américain a été accusé par la Commission d’avoir violé les lois antitrust pour consolider sa position déjà dominante sur le segment des processeurs x86. L’institution a notamment reproché au fondeur d’avoir offert des ristournes illégales à des intégrateurs comme Dell, HP ou Lenovo pour les dissuader de se fournir en puces chez AMD, leur principal concurrent sur ce marché. Elle affirmait aussi avoir trouvé des preuves qu’Intel avait payé des constructeurs pour retarder ou annuler le lancement de produits construits autour de puces AMD.
La Commission a conclu que ces manœuvres constituaient des violations des lois européennes sur la concurrence, dans la mesure où elles ont empêché AMD de gagner des parts de marché et consolidé l’emprise d’Intel — avec tout ce que cela implique en termes de marge de manœuvre tarifaire, et par extension, d’impact sur les consommateurs. Intel a donc écopé d’une lourde amende d’1,06 milliard d’euros.
Deux appels et un verdict annulé
L’entreprise a alors passé plusieurs années à préparer son dossier afin de faire appel de cette décision. En 2014, ses représentants se sont présentés devant le Tribunal de première instance des Communautés européennes, arguant que la Commission avait mal jugé les conséquences de ces ristournes sur ses concurrents. Le Tribunal a rejeté cet appel après quelques mois de délibérations.
Mais Intel ne l’entendait pas de cette oreille, et en 2017, elle s’est alors tournée vers la Cour de justice de l’Union européenne, la plus haute autorité européenne en la matière. Cette dernière a décidé de rouvrir le dossier, et après une nouvelle analyse qui a duré 5 ans, elle a conclu que la Commission n’avait pas apporté suffisamment de preuves concrètes. L’amende d’1,06 milliard a donc été annulée en 2022, forçant la Commission à rembourser le fondeur.
Mais l’affaire n’était pas entièrement close pour autant. Puisque la somme avait déjà été versée des années auparavant et que la Commission était en possession de ces fonds pendant toute cette période, Intel était éligible à une compensation. En 2022, l’entreprise a donc attaqué l’institution en justice pour réclamer le versement de 593 millions d’euros d’intérêts. Elle a fini par obtenir gain de cause deux ans plus tard. Dans un billet cité par Reuters, la nouvelle Commissaire à la concurrence Teresa Ribera (qui a succédé à Margrethe Vestager en fin d’année dernière) a annoncé le 31 janvier 2025 que la Commission avait compensé Intel à hauteur de 515 547 908,15 € le 6 novembre 2024.
La concurrence, un sujet toujours délicat
Cette enveloppe est tombée à pic pour Intel, qui traverse une période très difficile marquée par une concurrence de plus en plus féroce dans l’industrie des semiconducteurs.
Mais elle pose aussi des questions inconfortables quant à la capacité de la Commission à gérer ces affaires de concurrence. En effet, cette affaire a établi un précédent marquant qui pourrait forcer les institutions européennes à prendre davantage de précautions avant de s’attaquer aux géants de la tech, qui sont capables de déployer des efforts de lobbying gigantesques lorsqu’ils sont attaqués au portefeuille.
Il sera donc intéressant de voir dans quelles mesures ce dossier va impacter les prochaines affaires antitrust. Notamment en ce qui concerne les entreprises américaines dans un contexte de tension commerciale entre l’Europe et les États-Unis depuis le retour aux manettes du sulfureux Donald Trump.
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