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Des chercheurs domptent un nouveau type de magnétisme révolutionnaire

Ces travaux sur l’altermagnétisme sont encore balbutiants, mais ils pourraient bien contribuer au développement de nouveaux composants électroniques ultra-performants.

La grande majorité des gens ont découvert le concept de magnétisme très tôt dans leur vie, que ce soit à travers des jouets créatifs comme les bons vieux Géomag ou simplement en décorant le frigo familial avec des aimants bariolés. Ce qui est moins connu, en revanche, c’est qu’il existe plusieurs type de magnétisme très différents les uns des autres. Dans une étude parue dans le prestigieux journal Nature, ils ont réussi pour la première fois à manipuler un troisième type de magnétisme qui présente un potentiel très intéressant.

Jusqu’à présent, les physiciens ont déjà largement documenté deux types de magnétisme distincts : le ferromagnétisme, celui auquel on pense intuitivement lorsqu’on imagine un aimant conventionnel, et l’antiferromagnétisme, moins connu car il ne se manifeste pas du tout de la même façon.

Le moment magnétique, clé de voûte du magnétisme

Pour comprendre la vraie différence entre les deux, il faut se pencher sur la notion de moment magnétique. Il s’agit d’une grandeur qui désigne l’intensité et l’orientation du champ magnétique créé par une source.

Dans les matériaux ferromagnétiques, que l’on trouve dans les aimants des microphones, haut-parleurs et moteurs électriques, les moments magnétiques des atomes sont tous alignés dans la même direction. Ils génèrent donc spontanément un champ magnétique net qui peut interagir avec d’autres matériaux.

Aimant
Les aimants conventionnels rentrent dans la catégorie des matériaux ferromagnétiques. © Maciej J. Mrowinski – Wikimedia Commons

Dans les matériaux antiferromagnétiques, en revanche, le moment magnétique est inversé d’un atome à l’autre. Par conséquent, les champs magnétiques des voisins s’annulent entre eux, et à notre échelle, ces matériaux ont l’air complètement inertes ; dans des conditions normales, vous ne pourrez par exemple pas faire adhérer un matériau antiferromagnétique à la porte de votre frigo.

Pour le visualiser, vous pouvez simplement imaginer une troupe de personnes qui correspondent chacune à un atome. Pour représenter le moment magnétique, on peut considérer qu’elles sont placées sur une patinoire extrêmement glissante et qu’elles se mettent à souffler très, très fort ; si elles soufflent toutes dans la même direction de manière synchronisée, elles génèrent une force nette qui peut légèrement déplacer le groupe entier. On peut assimiler cette force au champ magnétique net, qui est lui-même responsable du comportement des aimants.

Imaginez ensuite un cas où une personne sur deux tourne le dos au reste du groupe. Ici, le souffle de chaque individu (et donc le moment magnétique de chaque atome) compense celui du voisin ; la résultante est donc nulle, et le groupe ne bouge pas d’un iota. Dans un matériau ferromagnétique, c’est la même chose ; les moments magnétiques “poussent” dans la direction opposée du voisin, ce qui se traduit par une absence d’aimantation.

L’altermagnétisme, un troisième type encore mal connu

Mais à la fin des années 1990 et au début des années 2000, des chercheurs ont commencé à documenter des substances qui ne correspondent à aucune de ces catégories ; on parle d’altermagnétisme. Comme dans les substances antiferromagnétiques, les moments magnétiques des constituants des matériaux altermagnétiques changent de direction d’un atome à l’autre. Mais au lieu de pointer dans des directions diamétralement opposées, ils sont légèrement tournés les uns par rapport aux autres, en suivant un motif bien précis qui dépend de la structure du matériau.

Cela signifie que les moments magnétiques des atomes ne s’annulent pas complètement entre eux. Les matériaux altermagnétiques sont donc très légèrement aimantés, localement à l’échelle nanométrique. À notre échelle, par contre, cette force est extrêmement faible ; impossible de s’en servir pour accrocher une liste de courses à un frigo, par exemple. Mais cela ne signifie pas qu’ils sont forcément inutiles en pratique. Des chercheurs ont suggéré que ces matériaux pourraient avoir des applications fascinantes à cause d’une propriété assez unique : en théorie, il est possible de modifier cette architecture magnétique (c’est-à-dire l’organisation des moments magnétiques) en utilisant très peu d’énergie. 

La première manipulation d’un matériau altermagnétique

Malheureusement, personne n’a réussi à contrôler ce phénomène pour ouvrir la voie à des progrès technologiques. Ou du moins, c’était le cas jusqu’à présent. Des chercheurs de l’Université de Nottingham sont parvenus à générer des phénomènes inédits dans un matériau altermagnétique appelé tellurure de manganèse. Plus spécifiquement, l’équipe du physicien Peter Wadley a montré qu’il était possible de déformer ce matériau d’une manière bien spécifique pour arriver à un arrangement de moments magnétiques susceptible de produire de petits « tourbillons magnétiques ».

Altermagnetic Vortex Nottingham
Une visualisation des « tourbillons magnétiques » créés par les chercheurs. Leur structure varie en fonction de la structure du matériau utilisé. © Amin et al., Nature, 2024

Ces travaux sont encore très exploratoires. En l’état, il est très difficile de se prononcer sur leurs implications concrètes. Mais il s’agit tout de même de la première fois que des chercheurs ont réussi à manipuler intentionnellement un matériau altermagnétique de cette façon, ce qui représente déjà un vrai pas en avant.

« Notre travail expérimental a permis de construire un pont entre les concepts théoriques et la réalité, ce qui, nous l’espérons, ouvrira la voie au développement de matériaux altermagnétiques pour des applications pratiques », explique Oliver Amin, physicien à l’université de Nottingham et co-auteur de l’étude.

C’est précisément pour cette raison que ces travaux sont prometteurs. En effet, le fait de pouvoir modifier à loisir la configuration magnétique de ces matériaux pourrait lancer une véritable révolution de l’électronique. Par exemple, les matériaux altermagnétiques pourraient permettre de créer des capteurs exceptionnellement précis ou des supports de stockage informatique extrêmement denses, rapides et économes en énergie.

D’autres leur prédisent un avenir brillant dans le domaine de l’informatique quantique, où leurs propriétés pourraient notamment aider à stabiliser ces fameux qbits.

Et ce n’est que la partie émergée de l’iceberg ; il sera très intéressant de voir ce que les physiciens réussiront à tirer de ces matériaux maintenant qu’on sait qu’il est possible de les manipuler directement.

Le texte de l’étude est disponible ici.

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