La magazine américain Astronomy a récemment fait le récit d’une drôle d’affaire : un prestigieux centre d’astronomie a été forcé de supprimer un astéroïde de la base de données, parce qu’il s’agissait en fait… d’une voiture. Un incident insolite et cocasse, mais aussi beaucoup plus ennuyeux qu’on pourrait le penser au premier abord.
Cette histoire a commencé au tout début du mois de janvier dans le Massachusetts, et plus spécifiquement au Centre des Planètes Mineures (MPC) du Centre d’Astrophysique Harvard-Smithsonian à Cambridge. C’est là qu’un astronome amateur turc, dont l’identité n’a pas été révélée, est allé rapporter sa dernière découverte : un tout nouveau NEO, pour Near-Earth Object, qu’il a identifié à l’aide d’un logiciel fait maison conçu pour les mettre en évidence en analysant automatiquement les archives du MPC.
Les NEO, des astéroïdes suivis à la trace
Ces NEO sont des corps célestes dont le long périple les amène au voisinage de la Terre, et plus spécifiquement à moins de 1,3 unité astronomique (un peu moins de 200 millions de kilomètres) de notre planète. Les astronomes suivent généralement ces NEO à la trace, notamment parce que leurs trajectoires peuvent croiser celle de la Terre. Les plus massifs d’entre eux pourraient alors provoquer des dégâts significatifs — les dinosaures, ou ce qu’il en reste, sont là pour en attester. L’institution a donc ajouté ce nouvel objet, baptisé 2018 CN41, à sa base de données — une vraie source de fierté pour notre astronome amateur.
Peu après l’officialisation de cette nouvelle entrée, il s’est rendu sur le site du MPC pour contempler la page associée à sa trouvaille, qui comportait notamment une représentation 3D de sa trajectoire. Mais au lieu d’éprouver de la satisfaction, il a commencé à douter de la légitimité de sa découverte. En effet, il a réalisé que l’orbite de cet “astéroïde” ressemblait étonnamment à celle qu’un vaisseau spatial emprunterait pour se diriger vers Mars — une coïncidence décidément troublante. Pourrait-il s’agir d’un objet artificiel mal documenté, et non pas d’un corps céleste naturel ?
Il a pris la décision d’ouvrir le carnet d’adresses électroniques du MPC pour faire part de ses doutes à des spécialistes. C’est ainsi qu’il est entré en contact avec Jonathan McDowell, un astronome qui fait partie des références mondiales dans le suivi des objets spatiaux.
Le grand retour du Starman et de sa Tesla
Il a expliqué à Astronomy que ce dernier n’a pas tardé à trouver la réponse à son problème. Il se trouve que son intuition était parfaitement justifiée : il ne s’agissait finalement pas d’un astéroïde, mais de la seule et unique voiture à évoluer dans l’espace aujourd’hui !
Pour comprendre comment cet engin s’est retrouvé là, il faut remonter à 2018. C’est à cette époque que SpaceX a procédé au premier tir de son lanceur lourd Falcon Heavy. Pour illustrer l’énorme capacité de charge utile de son nouvel engin tout en s’offrant un sacré coup de communication, Elon Musk a décidé d’installer un objet un peu particulier dans la coiffe : son ancienne Tesla Roadster personnelle, désormais “conduite” par un mannequin en combinaison d’astronaute surnommé Starman.
L’opération a été un succès à tous les niveaux. La voiture a été mise en orbite autour du Soleil avec succès, démontrant les capacités du Falcon Heavy, et cette histoire insolite a fait les gros titres de la presse mondiale, offrant une belle dose d’exposition médiatique à l’entreprise. Mais depuis, l’engin s’était un peu fait oublier. Ou du moins, c’était le cas avant l’intervention de l’astronome turc qui a malgré lui déclenché ce drôle d’imbroglio.
Grâce à sa transparence et à la mémoire d’éléphant de McDowell, le problème a heureusement pu être résolu ; quelques heures plus tard, le MPC a retiré 2018 CN41 de sa base de données et l’incident a été clos sans animosité… ou presque. Car si personne n’en veut à l’astronome amateur, dont les efforts et la démarche ont été salués, cette histoire montre tout de même qu’il existe un vrai problème dans le suivi des objets spatiaux au-delà de la Terre.
Un manque de suivi regrettable
En effet, les satellites en orbite de notre planète sont rigoureusement suivis à la trace par de nombreuses institutions, notamment pour éviter des collisions qui pourraient générer un scénario de type Syndrome de Kessler.
Mais ce n’est pas forcément le cas de ceux qui évoluent en orbite du Soleil ou dans l’espace interstellaire. Or, leur nombre augmente à une vitesse vertigineuse depuis le début de la « nouvelle course à l’espace ». On pense notamment aux débris des engins spatiaux, qui sont de plus en plus communs dans ces régions. Et à terme, cela pourrait déboucher sur quelques situations beaucoup plus problématiques que celle-ci.
Jonathan McDowell, interviewé dans l’article d’Astronomy, explique en effet que le nombre croissant d’objets non suivis pourrait impacter négativement les efforts visant à protéger la Terre contre les astéroïdes potentiellement dangereux. Ils pourraient conduire à des pertes de temps substantielles pour les astronomes qui tenteraient de les observer, fausser les analyses statistiques de la menace posée par les astéroïdes géocroiseurs, et même donner lieu à de grosses dépenses d’argent et d’efforts non justifiées. « Dans le pire des cas, vous dépensez un milliard pour lancer une sonde spatiale afin d’étudier un astéroïde… et vous ne réalisez que ce n’est pas un astéroïde qu’une fois sur place », résume-t-il.
Pour les responsables du MPC, il devient donc urgent de mettre en place une base de données globale à laquelle toutes les principales institutions pourraient contribuer, au lieu d’alimenter chacune leur propre catalogue de leur côté. Cela permettrait de limiter la fréquence de ces incidents afin d’éviter une bévue aussi mémorable que coûteuse et embarrassante pour toute la profession.
Malgré tout, le directeur du MPC Matthew Payne insiste tout de même sur le fait que cette histoire ne doit en aucun cas décourager les astronomes amateurs, dont les contributions restent précieuses. « Leur implication améliore considérablement l’efficacité globale de l’identification des objets et contribue à la mission du MPC », assure-t-il dans un e-mail à Astronomy.
Il ne reste plus qu’à espérer que les instances dirigeantes de l’astronomie mondiale réussiront à trouver une manière de résoudre ce problème latent. Et d’ici là, il conviendra aussi de croiser les doigts pour que l’astronome turc puisse se remettre de cette mésaventure avec une vraie découverte, comme une belle comète ou un (vrai) astéroïde originaire des confins du cosmos. Haut les cœurs !
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