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DeepSeek : la nouvelle IA chinoise qui fait trembler l’Amérique

Pour des raisons à la fois technologiques, économiques et politiques, le succès de DeepSeek est en train de changer les règles du jeu dans le monde de l’IA.

Il est de notoriété publique que la Big Tech américaine mise énormément sur l’intelligence artificielle en ce moment, dans le sillage de géants comme Nvidia pour le hardware et OpenAI pour le software. Mais depuis une semaine, toute cette industrie est en train de subir une véritable douche froide. La cause : DeepSeek, un nouvel assistant d’origine chinoise qui met le petit monde de l’IA sens dessus dessous.

Ce nom ne vous dit probablement rien, et c’est tout à fait normal : il y a encore un mois, DeepSeek était tout simplement inconnu au bataillon. Mais tout a changé la semaine dernière, quand un font d’investissement chinois relativement méconnu a largué une véritable bombe sur le monde de l’IA. À l’origine de cette détonation, on trouve DeepSeek-V3, un grand modèle de langage (LLM) qui a l’air capable de rivaliser avec l’incontournable GPT sur de nombreux benchmarks. Un vrai tour de force, sachant que la dernière version de ce modèle (GPT-4o) est considérée comme le mètre étalon de l’industrie en ce moment. Ce week-end, l’application s’est même retrouvée en tête des téléchargements sur l’App Store d’Apple, devançant ChatGPT.

Un modèle open-source créé avec des moyens modestes

Mais au-delà de ses performances, c’est surtout à cause de deux différences majeures par rapport au produit vedette d’OpenAI que DeepSeek s’est retrouvé au centre de l’attention.

Premièrement, il semble avoir été créé avec des moyens très limités. D’après l’entreprise, le développement et l’entraînement de R1 n’ont coûté que 5,6 millions de dollars — une bouchée de pain par rapport à GPT, qui a été façonné à grands coups de milliards (notamment grâce à l’aide de Microsoft).

Et surtout, contrairement à GPT dont la recette de cuisine est un secret bien gardé et très rémunérateur, DeepSeek est construit sur des bases entièrement open source. Cela signifie que tout le monde peut techniquement en profiter pour créer de nouveaux produits IA performants sans débourser un centime, avec tout ce que cela implique pour l’offre commerciale d’OpenAI et compagnie.

Une douche froide pour le marché américain

Et sans surprise, ce coup de massue a l’air de faire trembler les investisseurs américains, pour qui l’IA est en train de devenir un nouvel El Dorado. D’après le Financial Times, la valeur cumulée de cinq des plus grands acteurs de l’IA outre-Atlantique (Nvidia, Alphabet, Amazon, Microsoft et Meta Platforms) a chuté de presque 750 milliards de dollars avant l’ouverture de la bourse ce lundi ! Un chiffre énorme qui illustre bien la fébrilité que l’arrivée de DeepSeek a suscitée sur les marchés, et les questions inconfortables qu’elle force toute une industrie à se poser.

 « DeepSeek pourrait représenter la plus grande menace pour les marchés boursiers américains », affirme même le journaliste Holger Zschaepitz dans un post sur X/Twitter. « L’entreprise chinoise a l’air d’avoir construit un modèle de pointe à faible coût, sans accès à des puces avancées, et cela remet en question la pertinence des centaines de milliards de dollars investis dans cette industrie. »

Une victoire de la Chine sur les Etats-Unis…

Il convient aussi de noter que toute cette affaire revêt une dimension assez politique. Pour rappel, cela fait déjà plusieurs années que l’Oncle Sam ne lésine pas sur les efforts pour limiter l’accès de son rival chinois aux ressources (et notamment aux équipements) qui pourraient alimenter son essor technologique. On peut notamment citer le Science & Chips Act, un gigantesque plan d’investissement à 280 milliards explicitement conçu pour « contrer » la montée en puissance chinoise.

Mais plus le temps passe, plus il semble que cette stratégie ait du mal à fonctionner, car cela a poussé la Chine à investir massivement dans la recherche et développement. On peut citer l’exemple du premier fondeur chinois SMIC ; alors que certains s’attendaient à le voir sombrer à cause du manque d’équipements de fabrication de pointe, les sanctions l’ont poussé à se réinventer, et il connaît une montée en puissance impressionnante depuis quelques années.

Dans ce contexte, le succès de DeepSeek peut également être interprété comme une victoire de la Chine sur les États-Unis sur son propre terrain. Pour ceux qui adhèrent à cette vision, cela démontre que la stratégie américaine patine, et que les milliards investis dans cette industrie ont échoué à lui donner un avantage décisif. Il sera intéressant de voir si Donald Trump, qui n’a jamais caché son hostilité à l’égard de la Chine, va annoncer de nouvelles mesures pour tenter de faire pencher la balance du côté des États-Unis.

… ou plutôt de l’open-source sur les modèles fermés ?

Mais pour d’autres observateurs, cette analyse pseudopolitique n’a que très peu d’intérêt. C’est notamment le cas de Yann LeCun, le titan français de l’IA qui fait les beaux jours de la recherche en IA de Meta. Selon lui, ce ne sont pas les rapports de force entre les deux pays qui sont importants ; c’est surtout la preuve qu’un grand changement de paradigme est en train d’avoir lieu dans le monde de l’IA.

« Pour ceux qui voient les performances de DeepSeek et qui pensent que la Chine est en train de surpasser les États-Unis dans l’IA… c’est une mauvaise lecture de la situation. Il faut plutôt comprendre que les modèles open source sont en train de surpasser les modèles propriétaires », explique-t-il dans un post LinkeIn.

De ce point de vue, les modèles libres sont donc promis à un avenir brillant. Cela ressemble à une très bonne nouvelle pour le consommateur moyen — mais pas forcément pour OpenAI et consorts, qui ont construit leur modèle commercial sur de la technologie propriétaire fermée à double tour et vendue à prix d’or. Il sera donc très intéressant de voir comment l’écurie de Sam Altman et ses homologues vont réagir face à cette mutation aux implications potentiellement énormes.

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