Les opérateurs du Grand Collisionneur de Hadron, ou LHC pour les intimes, se sont récemment attaqués à un des piliers de la physique : la relativité restreinte d’Albert Einstein. Ils ont notamment essayé de vérifier si le quark top, la plus lourde des particules élémentaires connues, se comporte effectivement comme le prédit la théorie, dans l’espoir d’identifier une porte d’entrée vers une « nouvelle physique ». Mais cette théorie plus que centenaire s’est une nouvelle fois révélée incroyablement solide.
La relativité restreinte, c’est un cadre théorique qui a pour objectif d’unifier les notions de temps, d’espace et d’énergie. Elle stipule que la vitesse de la lumière dans le vide est une constante, et plus largement, décrit la manière dont le temps, l’espace et l’énergie sont intimement liés au niveau mathématique. Cette idée a notamment posé les bases qui ont permis à l’illustre physicien de proposer la légendaire équation E=mc² quelques mois plus tard.
Même si elle a été formalisée au début du siècle dernier, cette théorie s’est montrée quasiment inébranlable depuis ; 120 ans plus tard, personne n’a réussi à la prendre en défaut avec une démonstration expérimentale rigoureuse… pour le moment, du moins. Car en parallèle, il existe d’autres théories (notamment certains modèles de la fameuse théorie des cordes) qui prédisent que la relativité restreinte pourrait s’écrouler à des niveaux d’énergie extrêmes.
Une perspective très intrigante pour les experts, car cela représenterait une violation des principes établis dans le modèle standard de la physique des particules — le cadre théorique qui décrit le comportement de la matière à la plus petite des échelles. Un tel résultat aurait des implications extrêmement profondes, car il faudrait alors trouver un nouveau cadre théorique pour décrire la réalité observable dans les cas où la théorie d’Einstein ferait défaut.
L’invariance de Lorentz, un pilier de la relativité…
Pour le vérifier, des physiciens du CERN ont donc fait appel au formidable LHC, l’accélérateur de particules le plus puissant de la planète. Il est capable de propulser des particules à une vitesse proche de la lumière, et donc de leur faire atteindre des niveaux d’énergie absolument dantesques ; en d’autres termes, c’est le meilleur outil possible pour recréer les conditions où la relativité restreinte pourrait éventuellement voler en éclats.
Grâce à cet outil de pointe, ils ont pris le parti de chercher une faille dans l’un des piliers qui permettent à cette théorie de tenir debout : l’invariance de Lorentz. Il s’agit d’un ensemble d’équations qui exprime le fait que les lois de la physique sont strictement identiques pour tous les observateurs, quelle que soit leur orientation, à condition qu’ils se déplacent à une vitesse constante l’un par rapport à l’autre (c’est-à-dire sans accélération, dans ce qu’on appelle un référentiel inertiel).
…qui tient bon envers et contre tout
Les auteurs de cette étude se sont basés sur une variété particulière du quark, une des particules élémentaires qui constituent la matière observable à la plus petite des échelles. Plus spécifiquement, ils ont analysé le comportement des quarks dits « top », qui sont les membres les plus massifs de cette ménagerie nanométrique ; ils sont à peu près aussi lourds que les atomes d’or, alors qu’ils sont immensément plus petits que ces derniers. Cette propriété est importante dans ce contexte, car plus une particule est massive, moins il est difficile d’obtenir des mesures précises et représentatives de ces phénomènes.
Pour savoir si ces quarks top violaient l’invariance de Lorentz, ils ont cherché à vérifier si la quantité de quarks top générés par les collisions entre protons dans le LHC changeait d’un moment à l’autre de la journée.
Comme chacun le sait, notre Terre tourne constamment autour de son axe principal. Cela implique que l’orientation du flux de protons émis par l’accélérateur varie en permanence. Or, pour rappel, l’invariance de Lorentz stipule que les constituants de la matière devraient se comporter exactement de la même façon, quelle que soit leur orientation dans l’espace.
Si le nombre de quarks produits par les collisions entre protons varie d’un moment à l’autre de la journée, cela signifierait donc qu’il existe une « direction préférentielle dans l’espace-temps », pour citer le communiqué du CERN. En d’autres termes, cela montrerait l’existence d’un trou béant dans l’invariance de Lorentz (et par extension, dans la relativité restreinte).
En revanche, si l’invariance de Lorentz est effectivement valide et que les lois de la physique sont bien indépendantes de l’orientation, le nombre de quarks produits par les collisions entre protons devrait donc rester constant… et c’est précisément ce que les auteurs ont observé quand ils ont épluché les données expérimentales. Le taux de production de quarks au sein du LHC est resté parfaitement identique tout au long de la journée, et cela montre que 80 ans après la mort d’Einstein, sa relativité restreinte reste toujours aussi robuste.
Pas une fin en soi
Mais les physiciens du CERN ne vont pas s’arrêter là pour autant. Ils prévoient déjà de conduire d’autres recherches de pointe sur le sujet, toujours avec l’espoir de prendre la relativité en défaut.
« Ces résultats ouvrent la voie à de futures recherches sur la brisure de symétrie de Lorentz, basées sur les données du quark top de la troisième période d’exploitation du LHC. Ils ouvrent également la voie à l’étude de processus impliquant d’autres particules lourdes qui ne peuvent être étudiées qu’au LHC, comme le boson de Higgs et les bosons W et Z », conclut le communiqué du CERN.
Il sera donc fascinant de suivre ces travaux qui, un jour, pourraient bien nous ouvrir la porte d’une « nouvelle physique » susceptible de transformer notre compréhension du monde qui nous entoure.
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