Les équipes de l’Experimental Advanced Superconducting Tokamak (EAST), le plus avancé des réacteurs à fusion nucléaire expérimentaux chinois, a récemment passé un cap majeur. Ses opérateurs sont parvenus à y maintenir un plasma stable pendant une durée impressionnante de 1066 secondes — un record du monde qui représente un pas significatif vers la fusion nucléaire commerciale.
Pour resituer le contexte, l’EAST est un tokamak construit sur un modèle plus ou moins similaire à celui d’ITER. Il s’agit d’une enclave toroïdale (en forme de donut) où le plasma, le milieu dans lequel se déroulent les réactions de fusion nucléaire, est emprisonné à l’aide de gigantesques électro-aimants — d’où le fait que cette approche soit appelée « confinement magnétique ».
La stabilité du plasma, un enjeu majeur de la fusion
Ce plasma, c’est le cœur battant de ces réactions de fusion. Pour lui permettre d’émerger, on commence par introduire un gaz de tritium et deutérium dans une chambre à vide avant de le chauffer à une température infernale (idéalement, au-delà de la centaine de millions de degrés Celsius).
Cette phase nécessite un apport d’énergie gigantesque, ce qui peut sembler contre-productif — mais le jeu en vaut la chandelle. En effet, plus la densité et la température du plasma augmentent, plus la probabilité de générer une fusion entre deux atomes augmente. Cela signifie que le réacteur produit de plus en plus d’énergie pendant sa montée en régime. Si l’on parvient à le stabiliser dans cet état pendant une durée suffisante, on atteint alors ce qu’on appelle le seuil d’ignition ; la réaction devient autoentretenue, et peut se poursuivre sans apport d’énergie supplémentaire pour arriver au stade de la production d’énergie nette.
Or, stabiliser ainsi le plasma est un exercice très délicat, sachant qu’il s’agit d’un animal particulièrement capricieux et difficile à dompter. En effet, la moindre fluctuation de la température ou du champ magnétique produit par les électro-aimants peut faire retomber la réaction comme un soufflé. Une partie significative des travaux conduits dans ces tokamaks expérimentaux se focalise donc sur la stabilisation de ce plasma. On peut citer DeepMind, la filiale de Google spécialisée dans l’intelligence artificielle, qui a conçu un modèle IA sophistiqué pour optimiser la configuration du plasma au sein d’un réacteur afin d’en améliorer la stabilité.
Un pas vers le seuil d’ignition
Malgré tous ces efforts, aucun réacteur expérimental n’a encore réussi à mettre en place toutes les conditions nécessaires pour atteindre ce fameux seuil d’ignition. Mais les ingénieurs, et notamment ceux en charge de l’EAST, s’en approchent. En 2023, c’était déjà cet engin qui avait battu le record de durée en stabilisant son plasma pendant 403 secondes. Avec ce temps de confinement de 1066 secondes, il a plus que doublé son ancien record, et cela représente un progrès plus que conséquent dans la chasse au seuil d’ignition.
En revanche, cela ne signifie en aucun cas qu’un réacteur à fusion mature, capable de produire une énergie pratiquement illimitée à notre échelle, va émerger dans un futur proche. Même s’il s’agit d’un vrai progrès qui mérite d’être salué, la route sera tout de même extrêmement longue, et il faudra sans doute patienter plusieurs décennies supplémentaires avant d’obtenir un tokamak entièrement opérationnel et rentable.
Une bonne nouvelle pour ITER
La bonne nouvelle, c’est que la Chine est un membre éminent du consortium ITER, l’organisation internationale qui travaille sur le développement du réacteur du même nom dans le sud de la France. Cela signifie que tous les progrès de l’EAST bénéficieront directement à ce programme extrêmement ambitieux, l’un des mieux positionnés pour nous ouvrir les portes de la fusion commerciale. Les ingénieurs pourront s’appuyer sur les progrès de l’EAST, mais aussi d’autres réacteurs comme le KSTAR coréen pour peaufiner ITER en attendant qu’il soit en mesure de produire son premier plasma.
Il convient de noter que cette échéance a récemment été repoussée à 2034 au plus tôt, soit dix ans après la date prévisionnelle initiale, à cause de plusieurs obstacles techniques et réglementaires. Dans ce contexte, les contributions de ces autres tokamaks deviennent encore plus précieuses. L’objectif est désormais de défricher un maximum de terrain pour qu’ITER puisse commencer à travailler dans les meilleures conditions possibles, une fois que ce chantier pharaonique sera enfin terminé.
D’ici là, il conviendra donc de garder un œil sur les progrès de l’EAST et de ses congénères, mais aussi sur le développement des autres types de réacteurs expérimentaux. On pense notamment aux réacteurs à confinement inertiel, une autre approche elle-aussi très prometteuse qui pourrait un jour nous permettre de dompter cette source d’énergie susceptible de transformer notre civilisation. Car même s’il reste beaucoup de chemin à parcourir, le processus qui permettra de s’en approcher sera sans aucun doute fascinant.
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