Passer au contenu

Une observation inédite du JWST révèle le trou noir de la Voie lactée sous un nouveau jour

Personne n’avait jamais réussi à observer une éruption de trou noir dans le domaine de l’infrarouge moyen; c’est désormais chose faite grâce au formidable James Webb Space Telescope. Un succès qui va faire progresser notre compréhension de ce mécanisme très important dans la dynamique globale de ces orgres cosmiques.

Sagittarius A*, le trou noir supermassif qui réside au centre de notre Voie lactée, est généralement très calme par rapport à la majorité de ses congénères. Mais l’année dernière, des astronomes l’ont pris la main dans le sac en train d’émettre un type de rayonnement très particulier qui n’avait encore jamais été observé chez cet ogre cosmique. Une bonne nouvelle pour les astrophysiciens, car cela va les aider à comprendre l’origine de ces mystérieuses éruptions.

L’événement en question remonte déjà à plusieurs mois. Il a eu lieu le 6 avril 2024, alors que le fabuleux James Webb Space Telescope — le télescope spatial le plus performant de l’histoire — avait justement les yeux braqués sur le centre de notre galaxie. Une aubaine, car ce bijou d’ingénierie s’est retrouvé en première loge pour observer un phénomène fascinant sous un tout nouvel angle.

L’infrarouge moyen, la pièce manquante du puzzle

A cette époque, le trou noir était au beau milieu d’une violente éruption. Dans ce contexte, ce terme désigne des décharges soudaines et violentes de rayonnements électromagnétiques qui proviennent des trous noirs, ou plus précisément de leur voisinage (puisque rien ne peut échapper à l’horizon des événements).

Une vue d'artiste d'un trou noir
Une vue d’artiste d’un trou noir. © NASA

C’est un phénomène qui est encore relativement mal compris ; les chercheurs ne savent pas exactement ce qui les déclenche, notamment parce qu’il leur manque une pièce du puzzle : une observation dans le domaine de l’infrarouge moyen.

Pour resituer le contexte, les radiations infrarouges sont des rayonnements électromagnétiques dont la longueur d’onde est supérieure à celle de la lumière visible. Comme leur nom l’indique, les infrarouges moyens sont situés au milieu de cette plage, et ils sont particulièrement intéressants au niveau scientifique. En effet, ils ont la faculté de traverser la poussière interstellaire qui a tendance à cacher de nombreux phénomènes très intéressants au cœur de structures comme les galaxies ou les nébuleuses.

Or, en trente ans d’observations de Sagittarius A*, les astronomes l’ont déjà vu émettre des rayonnements dans de très nombreuses gammes de longueurs d’onde – mais jamais dans le domaine de l’infrarouge moyen, les privant de données importantes pour mieux comprendre ces éruptions.

Le JWST à la rescousse

Mais ce 6 avril 2024, la donne a enfin changé grâce au JWST. Le roi des télescopes était en première loge pour assister à l’éruption avec ses capteurs infrarouges ultra-performants comme le MIRI, qui observe justement dans l’infrarouge moyen.

James Webb Space Telescope
© NASA GSFC/CIL/Adriana Manrique Gutierrez

Les astronomes ont déjà réussi à passer outre des voiles de poussière quasiment opaques pour documenter des phénomènes jusque là invisibles dans des structures comme la Nébuleuse d’Orion.

Désormais, c’est notre trou noir préféré qui a eu droit à ce traîtement :  le Webb a percé le véritable mur de poussière qui entoure le trou noir afin d’analyser une éruption dans le domaine de l’infrarouge moyen pour la toute première fois.

En d’autres termes, l’équipe à l’origine de ces travaux a mis la main sur une des rares pièces manquantes du grand puzzle des éruptions de trous noirs.

Une confirmation très attendue

Pour tenter de le comprendre leur origine, les spécialistes comparent généralement les données issues des observations directes à celles qui sont produites par des simulations informatiques complexes. Cette approche a déjà permis de cerner un peu mieux cette dynamique; aujourd’hui, les astrophysiciens considèrent que les éruptions sont directement liées au champ magnétique du trou noir.

Sagittarius Infrarouge Moyen
Une vue d’artiste de l’éruption de Sagittarius A* dans le domaine de l’infrarouge moyen au début, au milieu et à la fin du phénomène. © CfA/Mel Weiss

Les lignes de champ à travers lesquelles ce champ magnétique se manifeste ont tendance à se rompre et à se reconnecter de manière violente, relâchant de grandes quantités d’énergie. Cette énergie surcharge des électrons, qui se mettent alors à circuler à une vitesse proche de la lumière le long des lignes de champ en émettant des photons très énergétiques pendant qu’ils refroidissent : on parle de rayonnement synchrotron.

Mais par définition, ces modélisations restent limitées en termes de résolution, et ne sont donc pas forcément représentatives de la réalité. Sans données issues du monde réel, il est donc impossible de déterminer si elles sont effectivement valides ou complètement aberrantes.

C’est précisément pour cela que cette observation directe dans l’infrarouge moyen est si importante. L’analyse des données a demandé plusieurs mois de travail acharné, d’où le fait que la publication ne paraisse qu’aujourd’hui, mais le jeu en valait la chandelle. Cette observation a permis aux chercheurs de confirmer que ces électrons sont directement impliqués dans ces éruptions, et que les théories basées sur ces modélisations sont très probablement correctes. Ils ont même pu observer un délai significatif entre les vagues de rayonnements infrarouges et d’ondes radio. Cela suggère fortement que ces événements sont liés, et que ce sont bien les reconfigurations des lignes de champ magnétique qui déclenchent et alimentent ces éruptions.

En d’autres termes, il s’agit d’un progrès significatif dans notre compréhension du fonctionnement de Sagittarius A* et des trous noirs supermassifs en général.

« Depuis plus de 20 ans, nous savons ce qui se passe dans les domaines des ondes radio et de l’infrarouge proche. Mais le lien entre les deux n’a jamais été clair ou certain à 100 %. Cette nouvelle observation dans l’infrarouge moyen comble cette lacune et relie les deux », se réjouit Joseph Michail, co-auteur de l’étude.

Un travail de longue haleine

Mais ce n’est pas la fin de l’histoire, loin de là. Les auteurs insistent sur le fait qu’il reste de nombreuses choses à découvrir sur la dynamique des trous noirs, et qu’il sera important de continuer à chercher d’autres pièces du puzzle en observant d’autres béhémoths cosmiques de ce genre. Et il y a fort à parier que l’exceptionnel James Webb Space Telescope jouera encore un rôle déterminant dans ces futurs travaux.

« Bien que nos observations suggèrent que l’émission infrarouge moyenne de Sgr A* résulte effectivement de l’émission synchrotron des électrons, il reste encore beaucoup à comprendre sur la reconnexion magnétique et la turbulence dans le disque d’accrétion de Sgr A* », concluent les auteurs.

Le texte de l’étude est disponible ici.

🟣 Pour ne manquer aucune news sur le Journal du Geek, abonnez-vous sur Google Actualités. Et si vous nous adorez, on a une newsletter tous les matins.

Mode