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Un record de luminosité des rayons X stimule la recherche sur la fusion nucléaire

Les troupes du LLNL ont créé la source de rayons X la plus brillante au monde, et vont pouvoir exploiter leurs découvertes pour faire progresser la gestion du plasma dans leurs futures expériences de fusion nucléaire.

Le Lawrence Livermore National Laboratory (LLNL), un prestigieux laboratoire de recherche de pointe situé aux États-Unis, vient d’ajouter une nouvelle ligne à sa longue liste d’exploits techniques : en combinant des lasers extrêmement puissants avec une étrange mousse métallique, une équipe de chercheurs a réussi à produire la source de rayons X artificielle la plus intense jamais documentée.

Les rayons X artificiels sont très importants dans de très nombreux domaines de la science, car ils permettent aux chercheurs et aux médecins de sonder et d’analyser la matière d’une manière qui n’est tout simplement pas possible avec les autres types de rayonnements électromagnétiques.

Les rayons X, des outils de premier plan en science

À cause de leur longueur d’onde courte et de la grande quantité d’énergie qu’ils véhiculent, ils disposent en effet d’un pouvoir pénétrant très important qui leur permet de traverser de nombreux matériaux. On peut notamment citer les tissus mous du corps humain, d’où le fait qu’ils soient très utiles en imagerie médicale. En outre, ils sont capables d’exciter des atomes qui produisent alors des émissions caractéristiques en retour. Cela ouvre la voie à un tas de techniques d’analyse avancée, comme la cristallographie et la spectroscopie par rayons X.

Dans la plupart des applications les plus courantes, comme l’imagerie médicale, les rayons X employés sont relativement peu intenses — et heureusement, puisque ces rayonnements de haute énergie sont aussi extrêmement dangereux à haute dose. En revanche, pour mener des travaux à la pointe de la science des matériaux ou de la physique nucléaire, les émetteurs de rayons X comme ceux que l’on trouve dans les cabinets des dentistes ne suffisent plus. Pour étudier les constituants de la matière à la plus petite des échelles ou mettre en évidence des phénomènes très discrets, il faut avoir accès à du matériel capable d’émettre des rayonnements extrêmement intenses.

Ce genre d’équipement est absolument vital pour les institutions comme le LLNL, qui mènent des travaux de pointe sur des sujets tels que la fusion nucléaire. Plus spécifiquement, ce dernier est l’un des laboratoires les plus avancés au monde dans le domaine de la fusion par confinement inertiel. Il s’agit d’une technique qui consiste à faire fusionner des atomes pour produire de l’énergie, comme le tokamak d’ITER, mais en utilisant des lasers surpuissants. En décembre 2022, le LLNL est d’ailleurs devenu le premier laboratoire à atteindre la production nette d’énergie grâce à la fusion nucléaire, en grande partie grâce aux lasers incroyablement puissants qui sont développés sur place.

Mais ce n’est pas tout de réussir à produire un plasma très énergétique. Pour se rapprocher de la fusion nucléaire commerciale, il faut aussi être capable d’étudier très précisément le comportement de ce fameux plasma afin de réussir à le dompter. C’est précisément pour cette raison que les ingénieurs du LLNL travaillent aussi sur des sources de rayons X extrêmement performantes, et c’est dans le cadre de ces travaux qu’ils ont réussi à battre un record très impressionnant.

Une mousse d’argent à l’origine d’un record

Pour produire des rayons X, une machine d’imagerie médicale génère un flux d’électrons dirigé vers une plaque métallique. Ils interagissent alors avec le champ électrique des atomes de métal, produisant des décharges de rayons X à travers un procédé appelé bremsstrahlung. Pour battre leur record, les ingénieurs du LLNL ont remplacé le flux d’électrons par les mêmes lasers à très haute intensité qu’ils utilisent dans leurs expériences de fusion nucléaire.

Réacteur Fusion Confinement Inertiel Llnl
La chambre laser du National Ignition Lab, la branche du LLNL qui travaille sur la fusion inertielle. © Damien Jemison

La plaque de métal, de son côté, a été remplacée par une mousse d’argent. Ce métal est très intéressant dans ce contexte, car la quantité de rayons X dépend directement de son numéro atomique (le nombre de protons contenus dans le noyau de l’atome, et d’électrons qui entourent ce noyau). L’atome d’argent compte 47 électrons, un nombre relativement élevé qui permet de générer de grandes quantités de rayons X — mais tout de même plus faible que celui du tungstène, le métal le plus utilisé dans les appareils plus “grand public” comme ceux des radiologues.

Si les ingénieurs ont fait une concession au niveau du nombre d’électrons, c’est parce qu’ils ont trouvé une autre approche qui permet d’augmenter massivement le rendement du système : jouer sur la structure du matériau en exploitant les propriétés spécifiques de ce métal précieux. En traitant des nanofils d’argent mis en solution dans un moule grâce à un procédé appelé séchage supercritique, le LLNL a réussi à produire une mousse d’argent à la densité si faible qu’elle est à peine supérieure à celle de l’air.

Cette structure permet aux lasers du laboratoire de chauffer un plus grand volume de matériau, car la chaleur s’y propage beaucoup plus rapidement que dans une plaque de métal solide. Et par extension, cela ouvre la voie à une production de rayons X largement supérieure à ce qui est possible avec une plaque de tungstène.

Des avancées prometteuses pour le futur de la fusion

En bombardant cette mousse avec ses énormes lasers, l’équipe est parvenue à générer une quantité phénoménale de photons dans le domaine des rayons X avec une énergie de 22 700 électronvolts, aboutissant ainsi à la « source de rayons X la plus brillante au monde ». Cette luminosité est environ deux fois plus élevée que celle des appareils utilisant une plaque métallique solide, ce qui indique une augmentation significative du nombre de photons émis par unité de temps et de surface.

En plus de créer la source de rayons X, les chercheurs ont étudié différentes densités de mousse pour déterminer laquelle fournissait la production d’énergie optimale. Ils ont également appliqué une nouvelle technique d’analyse de données pour tenter de comprendre la physique du plasma généré par ce déluge de particules. Et cette investigation a débouché sur une autre découverte inattendue.

Les modèles utilisés pour examiner la fusion par confinement inertiel supposent généralement que dans un plasma, les électrons, les ions et les photons ont tous à peu près la même température. Il se trouve en fait que ce n’est pas le cas : les données ont révélé que ce plasma de métal chaud était en fait très loin de cet équilibre thermique ! C’est une avancée substantielle, car cela montre qu’il reste beaucoup de choses à apprendre sur la dynamique des transferts de chaleur dans le cadre de la fusion nucléaire. Par extension, cela permettra de chercher — et avec un peu de chance, de trouver — de nouvelles techniques pour créer des plasmas encore plus chauds et énergétiques.

« À l’avenir, cela signifie que nous devons repenser nos hypothèses sur le transport de chaleur et la façon dont nous le calculons dans ces plasmas métalliques particuliers », a déclaré Jeff Colvin, un des membres de l’équipe de recherche et co-auteur de l’étude.

Au bout du compte, ce n’est donc pas ce record qui est l’élément le plus important de ces travaux. Le LLNL a non seulement créé une nouvelle source de rayons X extrême qui permettra de mieux étudier le plasma, mais aussi mis le doigt sur une nouvelle piste prometteuse pour améliorer ces dispositifs expérimentaux. Cela ne signifie évidemment pas que la fusion nucléaire commerciale va émerger dans un futur proche, mais il s’agit incontestablement d’un vrai pas dans cette direction — avec tout ce que cela implique pour le futur de cette technologie qui pourrait complètement transformer notre civilisation.

Le texte de l’étude est disponible ici.

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