Plusieurs études ont déjà révélé que les chiens sauvages qui errent à proximité de Tchernobyl présentent plusieurs particularités génétiques notables. Intuitivement, on pourrait penser que ce sont les niveaux de radiation toujours très élevés de la zone d’exclusion qui en sont responsables — mais une nouvelle étude suggère désormais que ces mutations ne sont pas liées à la radioactivité.
L’impact de la catastrophe nucléaire de Tchernobyl, qui a inondé la région d’émissions radioactives en 1986, n’est plus à démontrer. On estime aujourd’hui que ce désastre est directement lié à des milliers de cas de cancer et de malformations congénitales, sans parler des dégâts substantiels sur la faune et la flore locale. Aujourd’hui encore, une zone d’exclusion de plusieurs milliers de kilomètres carrés entoure encore la région de Pripyat, la ville désormais abandonnée qui était en première loge le jour de l’accident.
Presque 4 décennies plus tard, de nombreuses études ont été menées pour déterminer l’ampleur des dégâts écologiques dans cette zone qui continue d’héberger de nombreuses espèces animales. En effet, si les humains ont rapidement pris la poudre d’escampette, des tas d’animaux — certains sauvages, certains domestiques — ont survécu au beau milieu de la zone d’exclusion, et bon nombre d’entre elles ont été directement affectées par la radioactivité latente.
Les chiens de Tchernobyl, un vrai mystère génétique
Parmi eux, on trouve quelques centaines de chiens sauvages, les descendants directs de ceux qui ont été abandonnés sur place par la population qui a déserté la région à la hâte 40 ans plus tôt. Ces animaux font l’objet d’un intérêt tout particulier des chercheurs, qui y voient une opportunité unique d’étudier la manière dont ces populations se sont adaptées à cette modification dramatique de leur environnement.
Dans une étude publiée l’année dernière, des chercheurs ont par exemple identifié des différences génétiques importantes entre quelques centaines de chiens qui vivent dans la zone d’exclusion et ceux qui ont élu domicile une dizaine de kilomètres plus loin.
Intuitivement, on pourrait considérer qu’il s’agit simplement d’une conséquences de mutations provoquées par les radiations chez les ancêtres de ces canidés. Mais une nouvelle étude récente, publiée cette semaine dans le journal PLOS One, suggère le contraire ; selon ses auteurs, il n’y a « aucune preuve » que ces différences sont le résultat d’un taux de mutation dopé par l’omniprésence des radiations.
Pour arriver à cette conclusion, les chercheurs ont commencé par collecter des échantillons de matériel génétique qu’ils ont analysés jusque dans les moindres détails — d’abord à l’échelle des chromosomes, puis au niveau des nucléotides individuels qui composent l’ADN. « C’est comme si vous utilisiez la fonction zoom de l’appareil photo de votre téléphone pour obtenir plus de détails : nous commençons par une vue d’ensemble d’un sujet, puis nous zoomons », explique Matthew Breen, auteur correspondant de l’étude dans un communiqué de l’Université d’État de Caroline du Nord.
À travers ces analyses, l’équipe espérait notamment trouver des signes de mutations induites par les radiations qui pourraient expliquer cette divergence génétique. En effet, même si plus de 30 générations de chiens sauvages se sont succédé dans la région depuis l’accident, les auteurs estiment que ce genre de mutation serait probablement toujours détectable dans le génome de ces animaux, a fortiori si elles avaient débouché sur l’apparition de traits avantageux en termes de sélection naturelle.
Pourtant, au terme de cette analyse rigoureuse, l’équipe n’a pas trouvé la moindre preuve que ces chiens avaient subi ce genre de mutation ! « Les mutations ne semblent pas être la cause de la différenciation génétique précédemment identifiée entre ces deux populations géographiquement proches », concluent les auteurs de l’étude.
Un grand puzzle écologique
Dans ce cas, comment expliquer cette divergence génétique ? Les auteurs suggèrent que la population de chiens initiale a pu être exposée à « une pression de sélection extrême » à l’époque de l’accident, et que c’est leur séparation géographique avec leurs congénères qui a ensuite ouvert la voie à ces variations. Mais ils expliquent aussi qu’il est encore trop tôt pour formuler une conclusion rigoureuse. « Enquêter sur cette question est une étape importante sur laquelle nous travaillons actuellement », écrivent les auteurs.
Il sera très intéressant de se pencher sur leurs conclusions, car les enjeux de ces travaux dépassent largement cette population de chiens ; ce n’est que la partie émergée d’un immense iceberg écologique riche en enseignements sur l’impact global de ces catastrophes.
« On ne saurait trop insister sur l’importance de continuer à étudier les aspects de santé environnementale des catastrophes de grande ampleur comme celle-ci », martèle Norman Kleiman, co-auteur de l’étude. « Il est certain que, compte tenu de l’essor de la technologie et de l’industrialisation croissantes de nos sociétés, il y aura inévitablement d’autres catastrophes de ce type à l’avenir, et nous devons comprendre les risques potentiels pour la santé et la meilleure façon de protéger les populations ».
Le texte de l’étude est disponible ici.
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