Imaginez des bactéries capables de résister à tout ce que la nature a à leur opposer : enzymes, prédateurs, système immunitaire. C’est précisément ce scénario qui inquiète un groupe de 38 chercheurs, dont la tribune parue dans Science tire la sonnette d’alarme. Ils demandent l’interdiction des recherches visant à créer ces organismes « en miroir », aux propriétés inversées par rapport à celles des êtres vivants naturels.
Frissons dans le dos
Ruslan Medzhitov, immunologiste à l’université de Yale, ne mâche pas ses mots : « Une contamination de la planète par ces bactéries serait dramatique. Même un simple contact avec un sol ou une poussière infectée pourrait devenir mortel. » Jack Szostak, chimiste nobélisé, renchérit : « Les dégâts pourraient être bien pires que tout ce que nous avons affronté jusqu’ici. »
Ces bactéries, dites « en miroir », seraient formées de biomolécules inversées. En clair, là où les protéines naturelles sont « gauches » et l’ADN « droit », leurs versions synthétiques seraient l’opposé. Si cette inversion chimique leur permet de survivre plus longtemps dans l’organisme – une propriété déjà exploitée dans certains médicaments –, elle pourrait rendre ces bactéries invisibles au système immunitaire et résistantes à tout ce qui détruit les microbes naturels.
Face à ces craintes, les auteurs recommandent une approche radicale : stopper net les recherches sur ces bactéries, avant même qu’elles ne deviennent techniquement possibles. Selon eux, mieux vaut prévenir que guérir.
Mais tout le monde n’est pas d’accord. « Ce sont des scénarios très théoriques », estime Gigi Gronvall, immunologiste à Johns Hopkins. Elle critique l’idée d’interdire des recherches qui pourraient déboucher sur des avancées imprévues : « C’est comme vouloir interdire le feu parce qu’il peut causer des incendies. »
Andrew Ellington, biologiste synthétique au Texas, trouve lui aussi cette prudence exagérée. « Ces bactéries devraient affronter une concurrence féroce dans la nature », souligne-t-il, suggérant qu’elles pourraient ne jamais représenter une réelle menace. Il compare cette interdiction à un frein injustifié à l’innovation.
D’autres, comme Katarzyna Adamala, changent cependant de position après avoir pris conscience des risques. « Au départ, je voulais créer ces bactéries pour explorer les origines de la vie », raconte-t-elle. « Mais maintenant, je pense que ce projet ne devrait pas voir le jour. »
Alors, faut-il craindre ces « microbes mutants » ? Si leur création reste encore à une décennie de distance, ce débat illustre un enjeu crucial : où fixer les limites de la science ? Les chercheurs sont divisés sur la question. Mais cette discussion ne fait que commencer, et elle devrait occuper les cercles scientifiques pendant de longues années.
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