La plupart des modèles cosmologiques actuels se rejoignent sur au moins un point : toute la matière et l’énergie qui existe dans l’univers aurait émergé lors d’une période d’expansion extrêmement rapide et brutale que l’on appelle généralement le Big Bang. Mais d’autres hypothèses plus exotiques existent également, notamment pour justifier l’existence d’entités et de phénomènes encore très mal compris. Dans une étude récente repérée par Space.com, deux chercheurs ont revitalisé un scénario alternatif particulièrement intrigant, et pour cause : il implique un second Big Bang qui serait à l’origine de la fameuse matière noire.
Pour resituer le contexte, la matière noire est une entité qui, techniquement, demeure totalement hypothétique. Si ce concept nébuleux tient debout, c’est uniquement parce qu’il pourrait permettre de combler un vide scientifique ; il s’agit en effet d’une des pistes les plus prometteuses pour expliquer des comportements curieux observés chez certains corps célestes.
La matière noire fait donc l’objet d’une vaste quête scientifique qui dure depuis des décennies — avec des résultats, il faut bien l’admettre, plus que mitigés. Alors qu’elle devrait être extrêmement abondante pour combler les lacunes des modèles théoriques, personne n’a réussi à l’observer. Si elle existe effectivement, elle a la fâcheuse manie de snober tout le reste de la matière observable. Pour autant qu’on sache, elle est entièrement inerte, et ne se manifeste qu’à travers son influence gravitationnelle. Par conséquent, personne ne sait vraiment de quoi elle pourrait être constituée ou quelle serait son origine.
Un « Big Bang sombre » pour expliquer la matière noire
À force de piétiner, de nombreux physiciens ont commencé à se détourner de la matière noire pour se concentrer sur des alternatives prometteuses. On peut citer la théorie MOND, qui repose sur une adaptation de la physique newtonienne traditionnelle plutôt que sur l’existance d’une entité exotique jamais détectée. Mais d’autres restent convaincus que le modèle de la matière noire a encore du potentiel. C’est notamment le cas de Katherine Freese et Martin Wolfgang Winkler, deux astrophysiciens texans qui ont proposé une idée pour le moins originale : en 2023, ils ont suggéré que la matière noire pourrait avoir émergé d’un « Big bang sombre », survenu après le premier.
Ces travaux ont surtout été présentés comme une expérience de pensée. Mais plus récemment, un duo de physiciens de l’Université de Colgate a tout de même décidé d’explorer ce scénario — et ils estiment désormais qu’il s’agit d’une piste qui ne doit pas être négligée.
« L’hypothèse selon laquelle la matière noire et la matière ordinaire seraient issues du même événement, le Big Bang, est naturelle, compte tenu de sa simplicité. C’est pourquoi elle n’a pas été contestée pendant si longtemps », expliquent les chercheurs dans une interview à Space.com. « Cependant, la nature n’a pas besoin d’être parcimonieuse, de se plier au rasoir d’Occam ou à nos préférences esthétiques », insistent-ils.
Et en acceptant ainsi de s’écarter des hypothèses les plus évidentes, les deux compères estiment avoir mis la main sur quelques éléments qui donnent un certain crédit à la piste du Big Bang sombre. Plus spécifiquement, ils considèrent que les particules créées par un événement de ce genre n’interagiraient pas avec la matière ordinaire — une description qui correspond bien au comportement attendu de la matière noire.
Mais en quoi consiste ce big bang alternatif ? Selon les auteurs, la principale différence par rapport au modèle conventionnel réside dans la dernière phase du Big Bang originel, le réchauffage (« reheating »). Dans la théorie originale, l’inflation initiale de l’Univers est animée par un champ hypothétique appelé inflaton, ou « faux vide ». À la fin de cette première phase d’expansion, l’énergie portée par de champ aurait été dégagée à travers un flux de particules extrêmement intense qui aurait réchauffé l’Univers, le transformant ainsi en un immense amas de plasma à très haute température.
Il s’agit d’une étape cruciale du modèle conventionnel, car toutes les particules et l’énergie que l’on connaît aujourd’hui auraient été produites directement ou indirectement pendant cette période charnière. Mais selon ce scénario alternatif, les constituants de la matière noire n’auraient pas émergé à ce moment-là. Ils proviendraient en fait de la dégénérescence d’un champ différent de l’inflaton, qui aurait donné naissance aux particules dites du « secteur sombre » un peu plus tard.
« Ce modèle pourrait expliquer pourquoi toutes les tentatives de détection de la matière noire, directement, indirectement ou via la production de particules, ont échoué », expliquent les auteurs. « Par conséquent, un scénario de Big Bang noir pour l’origine de la matière noire est non seulement possible, mais peut-être plus probable que l’alternative ! »
Une idée intéressante… à prendre avec des pincettes
En partant de là, les auteurs de l’étude ont tenté de définir les paramètres de ce Big Bang sombre et la manière dont il pourrait s’intégrer dans l’histoire du cosmos. Dans leur interview à Space.com, ils indiquent notamment que ces recherches ont fait émerger un « nouvel espace mathématique inexploré » qui pourrait permettre de retrouver des traces de ce deuxième Big Bang grâce aux ondes gravitationnelles — ces fluctuations de l’espace-temps générées par les déplacements d’objets massifs.
L’idée est certes enthousiasmante, mais il convient de préciser qu’à l’heure actuelle, il s’agit encore de travaux extrêmement exploratoires et nébuleux qui ne comportent pas le moindre élément de preuve concret. Cette étude pourrait aider les spécialistes qui continuent de traquer la matière noire à se rapprocher de cette entité élusive — mais il pourrait aussi s’agir d’un cul-de-sac scientifique complètement stérile. Il sera donc intéressant de voir si la communauté scientifique prendra cette piste au sérieux, ou si les astrophysiciens préfèreront se focaliser sur des théories plus terre à terre comme MOND.
Le texte de l’étude est disponible ici.
🟣 Pour ne manquer aucune news sur le Journal du Geek, abonnez-vous sur Google Actualités. Et si vous nous adorez, on a une newsletter tous les matins.