La réalité virtuelle a pour objectif de permettre à des humains de percevoir des environnements qui n’existent pas dans le monde réel. Mais pour l’instant, ces systèmes se limitent globalement à deux sens : la vision et l’ouïe. Il existe aussi des interfaces haptiques qui permettent d’émuler le toucher, même si ces systèmes ne se sont jamais démocratisés dans le domaine grand public.
Mais pour l’instant, le goût et l’odorat restent très en retrait. Des chercheurs hongkongais veulent désormais changer cet état de fait avec une sorte de sucette connectée, capable de transmettre des saveurs à la demande.
Au niveau physiologique, ce que l’on appelle les sens sont tous construits sur la même base : si l’on peut voir, sentir ou toucher, c’est parce que notre corps disposent de cellules spécialisées dans l’enregistrement de certains signaux issus de notre environnement. Pour la vision, par exemple, il s’agit des photorécepteurs de la rétine ; ils capturent des signaux lumineux qui sont ensuite interprétés par le cerveau pour reconstituer une image. Les casques de réalité virtuelle créent simplement des signaux artificiels pour faire croire au cerveau qu’il se situe dans un environnement différent.
Le goût, un sens difficile à émuler
Pour le goût, c’est la même chose. La langue et le palais sont truffés de cellules sensibles à différents composés chimiques qui produisent des signaux que le cerveau interprète comme un goût salé, sucré ou amer, par exemple. Et c’est ce processus que les auteurs de cette nouvelle étude, repérée par Ars Technica, cherchent à émuler avec leur nouveau dispositif, décrit comme une « interface gustative portable ».
Physiquement, l’engin se présente comme une sorte de sucette connectée qui, une fois placée au contact de la langue, peut générer différents types de goûts. Mais le processus est nettement plus complexe que le fait de transmettre une image. Pour fonctionner, un casque VR a simplement besoin d’un peu d’énergie pour produire la lumière indispensable à la stimulation de la rétine. Or, le goût ne dépend pas de ces particules intangibles que sont les photons, mais de très nombreuses molécules qui produisent chacune une réponse différente.
Cela pose un problème important en pratique ; en théorie, pour permettre à un utilisateur de « goûter » un objet virtuel, il faudrait disposer d’un stock physique de composés chimiques qui seront ensuite physiquement acheminés dans la bouche. Faisable en laboratoire, mais tout sauf pratique en conditions réelles.
Au fil des années, d’autres chercheurs ont donc exploré des pistes différentes. L’approche la plus populaire est de stimuler les cellules réceptrices grâce à un courant électrique dont ont fait varier la fréquence et l’intensité. En plus d’éviter de stocker des produits, cette approche fonctionne plutôt bien en pratique — mais là encore, elle pose de sérieux problèmes pratiques. Inutile d’expliquer que la plupart des aficionados de la VR n’auraient aucune envie de se poser des électrodes sur la langue avant chaque session !
Une sucette virtuelle à base d’hydrogel
Les chercheurs à l’origine de cette nouvelle étude ont donc misé sur une autre technique : l’iontophorèse. Elle repose également sur l’utilisation d’un courant électrique, mais l’implémentation est assez différente de la méthode citée plus haut. À la place des électrodes, la langue de l’utilisateur entre en contact avec un hydrogel. L’intérêt de ce gel à base d’eau, c’est qu’il s’agit d’un substrat non toxique dans lequel on peut contrôler précisément les mouvements de différents composés chimiques ; il suffit qu’ils soient porteurs d’une charge électrique, et on peut alors les « pousser » dans une direction précise grâce à un faible courant électrique.
En l’occurrence, les chercheurs y font circuler des ions — des atomes chargés qui jouent un rôle déterminant à tous les niveaux de notre métabolisme, y compris dans le goût. C’est particulièrement vrai pour les ions hydrogène (H+) et sodium (Na — ), qui contribuent respectivement aux saveurs aigres et salées.
En partant de ce constat, les chercheurs ont installé neuf canaux remplis d’hydrogel à l’extrémité de cette « sucette VR ». Chacun d’entre eux est connecté à un petit réservoir qui, une fois exposé à un courant électrique trop faible pour être perçu par l’utilisateur, relâche un cocktail d’ions spécifiquement conçu pour imiter un goût précis : sucre, sel, acide citrique, cerise, lait, thé vert, fruit de la passion, raisin et même durian — ce fameux fruit asiatique à l’odeur particulièrement nauséabonde.
Un potentiel en médecine et dans le commerce
Lors des tests, ce prototype a fonctionné de manière remarquable. La seule limite est le temps ; au bout d’environ une heure, les canaux d’hydrogel commencent à dessécher, et deviennent incapables d’acheminer les ions jusqu’à la langue du cobaye. Mais il s’agit tout de même d’une preuve de concept très intéressante dont l’intérêt dépasse largement le divertissement.
Les auteurs citent notamment deux cas de figure où un tel dispositif pourrait présenter un intérêt très concret. Premièrement, cette technologie pourrait permettre de développer des tests standardisés — un peu comme ceux qui existent déjà pour la vue ou l’ouïe, mais pour le goût. Cela pourrait permettre de diagnostiquer certains troubles gustatifs, comme la perte de goût ressentie par de nombreuses personnes touchées par le Covid-19. À terme, ces tests pourraient aussi aider les chercheurs à identifier d’éventuels traitements.
Alternativement, les auteurs suggèrent aussi que cette sucette pourrait servir dans le domaine de la vente. Grâce à une sucette de ce genre, un consommateur pourrait tester un produit alimentaire qu’il envisage d’acheter pour savoir s’il correspond à ses goûts avant même de le mettre dans son panier.
Il sera donc très intéressant de voir si ce dispositif arrivera un jour à maturité, et le cas échéant, quelle industrie sera la plus à même d’en bénéficier.
Le texte de l’étude est disponible ici.
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