Depuis des siècles, différentes cultures ont inventé divers types de nouilles et de pâtes allongées comme les incontournables spaghettis ou les udon japonais, beaucoup plus charnues et épaisses. De l’autre côté du spectre, les amoureux de la gastronomie italienne connaissent peut-être les filindeu (« fils de Dieu »), des pâtes originaires de Sardaigne à peine plus épaisses qu’un cheveu. Elles sont d’ailleurs considérées comme les pâtes les plus fines de la planète… ou du moins, c’était le cas jusqu’à ce qu’une équipe de chercheurs bouleverse le classement avec des « nanospaghettis » d’un nouveau genre.
Généralement, pour produire des spaghettis, on force une mixture d’eau et de farine à traverser un ustensile en métal perforé. On obtient donc de longs filins qui sont ensuite découpés afin d’être cuisinés. Mais ce processus, qui s’appelle techniquement une extrusion, fonctionne malheureusement de plus en plus mal au fur et à mesure que l’on réduit le diamètre. En effet, pour passer à travers les trous et former une structure cohérente, le mélange doit présenter un certain niveau d’élasticité et de viscosité qui doit être relativement homogène, afin que les pâtes ne se désagrègent pas à la sortie.
Pour des spaghettis de taille normale, on dispose d’une certaine marge de manœuvre ; ce n’est pas un problème si une portion d’un millimètre carré est légèrement plus sèche ou hydratée. Mais plus la taille de l’orifice diminue, plus il est difficile d’obtenir un mélange suffisamment homogène pour produire des spaghettis de cette taille, surtout que la friction entre la pâte et la plaque devient très difficile à gérer dans ces conditions.
Une recette de cuisine high-tech
Les chercheurs ont donc misé sur une technique appelée électrofilage, qui ressemble un peu à l’approche traditionnelle puisqu’elle implique également d’utiliser un élément perforé. En revanche, ils ont utilisé une force différente, à savoir l’électricité, pour y faire passer la pâte en exploitant ses propriétés physiques.
Au niveau moléculaire, les pâtes à base de blé comprennent trois familles de constituants. On y trouve des protéines rassemblées sous l’appellation gluten, de l’amidon (une chaîne de molécules de glucose) et de l’eau. Cette dernière est constituée de molécules dites polaires, c’est à dire qu’elles présentent des pôles positifs et négatifs qui sont attirés par des charges électriques opposées.
C’est cette polarité que les chercheurs ont utilisée. Ils ont disposé leur mélange dans une fine aiguille reliée à une plaque de métal qui, ensemble, forment les deux pôles d’une batterie. En théorie, il suffit donc d’appliquer un courant électrique entre les deux pour faire émerger la pâte sous forme de minuscules filins.
Mais en travaillant ainsi à l’échelle du nanomètre, l’équipe s’est retrouvée face à un autre obstacle encore plus important : la taille des molécules, et tout particulièrement de l’amidon. En effet, ce dernier est constitué de différents types de chaînes carbonées — certaines linéaires, et d’autres qui comportent des embranchements ou sont même en forme d’hélice. Or, ces chaînes ont tendance à s’entremêler pour former des paquets susceptibles de rester coincés dans ces trous nanométriques. Les chercheurs ont donc ajouté de l’acide formique (le même que l’on trouve dans les sécrétions défensives des fourmis) pour briser ces hélices, exactement comme le fait le processus de cuisson pour rendre les pâtes digestes.
« Pour faire des spaghettis, on pousse un mélange d’eau et de farine à travers des trous. Dans notre étude, nous avons fait la même chose, à une exception près : nous avons poussé le mélange avec une charge électrique. Ce sont littéralement des spaghettis, mais en beaucoup plus petits », résume Adam Clancy, chimiste au prestigieux University College de Londres et co-auteur de l’étude.
Des « nanospaghettis » à la finesse inégalée
Au bout du processus, ils ont obtenu des fils incroyablement fins. Le diamètre moyen mesuré par les chercheurs était d’environ 400 nanomètres. Pour référence, c’est environ ils sont environ 200 fois plus fin qu’un cheveu humain, et à peu près 1000 fois plus fin que les fameux filindeu de Sardaigne !
C’est si minuscule que l’œil humain n’est absolument pas capable de discerner chaque fibre individuelle, même avec un microscope optique standard. Pour en capturer des images, les chercheurs ont dû utiliser un microscope électronique à balayage, un engin beaucoup plus cher et sophistiqué généralement réservé aux laboratoires.
De belles promesses pour le secteur médical
Au risque d’en décevoir certains, il ne s’agit évidemment pas d’une expérience destinée à créer une expérience culinaire d’un nouveau genre. Avec des pâtes aussi fines, la cuisson serait pratiquement impossible à doser ; il faudrait moins d’une seconde dans de l’eau frémissante pour se retrouver avec une plâtrée de bouillie amidonnée. Pour comprendre l’intérêt de ces travaux, il faut s’écarter de la gastronomie et se diriger vers… la médecine.
En effet, une fois agglomérées, les nanofibres forment un matériau extrêmement poreux qui peut retenir l’humidité tout en barrant la route aux micro-organismes pathogènes, trop gros pour s’infiltrer à travers ce filet. Les chercheurs estiment donc que ce genre de fibres pourrait servir de base à des bandages très performants.
Ils y voient aussi un certain potentiel en médecine régénérative. « Ces nanofibres pourraient aussi servir d’échafaudages pour la régénération des tissus, car elles imitent la matrice extracellulaire — un réseau de protéines et d’autres molécules que les cellules construisent pour se soutenir », explique le co-auteur Gareth Williams.
Il sera donc très intéressant de voir si ces fibres seront un jour utilisées en l’état, et si d’autres chercheurs réussiront à développer des variantes susceptibles d’être produites à l’échelle industrielle.
Le texte de l’étude est disponible ici.
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