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Le JWST observe le trou noir le plus vorace de l’Univers précoce, 40 fois au-delà de la limite théorique

Cet objet a établi un record qui pulvérise complètement la fameuse limite d’Eddington, et les astronomes vont pouvoir s’appuyer dessus pour mieux comprendre le cycle de vie des trous noirs et l’histoire du cosmos.

Des astronomes ont récemment découvert un trou noir supermassif unique en son genre qui se démarque par son appétit gargantuesque : alors qu’il est relativement peu massif par rapport à la plupart de ses congénères, il ingurgite de la matière à une vitesse sidérante, 40 fois au-delà de la limite théorique.

Les trous noirs supermassifs, ces trous noirs géants dont l’influence gravitationnelle est telle qu’elle structure des galaxies entières, font l’objet de très nombreuses études à cause de leur importance capitale dans la dynamique globale du cosmos. Ce champ de recherche est entré dans une nouvelle ère avec l’arrivée du James Webb Space Telescope, le joyau à 10 milliards de dollars de la NASA qui sonde les régions les plus reculées du cosmos afin de mieux comprendre comment l’Univers tel qu’on le connaît s’est formé il y a un peu moins de 14 milliards d’années. Depuis sa mise en service, ce bijou d’ingénierie a déjà identifié de nombreux trous noirs records, notamment en termes d’âge. À l’automne 2023, il a par exemple permis à des astronomes de mettre la main sur le trou noir le plus ancien jamais observé, à peine 470 millions d’années après le Big Bang.

Pour réaliser cet exploit, il a notamment pu compter sur l’aide de Chandra, un autre télescope de pointe spécialisé dans l’observation des rayons X. Et récemment, ces deux observatoires ultra performants ont à nouveau collaboré pour repousser les limites de l’astronomie. Chandra a commencé par ouvrir la voie à travers une campagne appelée COSMOS, dont l’objectif était d’observer des galaxies extrêmement brillantes dans le domaine des rayons X mais quasiment imperceptibles dans le domaine du visible et de l’infrarouge. Ce programme a fait émerger tout un catalogue de galaxies fascinantes, mais que Chandra était plus ou moins le seul télescope à pouvoir observer de manière satisfaisante.

Ou du moins, c’était le cas jusqu’à l’arrivée du JWST. Même si les galaxies en question étaient très discrètes dans les fréquences de prédilection de cet engin, la sensibilité invraisemblable de ses capteurs infrarouges a motivé une équipe d’astronomes à braquer le Webb sur certains de ces objets, dans l’espoir de pouvoir les étudier sous un nouvel angle. Et bien leur en a pris, car ils ont eu la chance de tomber sur un trou noir exceptionnel appelé LID-568.

Un festin record

Ce dernier ne se distingue pas par son âge. Il semble être né environ 1,5 milliard d’années après le Big Bang; c’est évidemment très ancien, surtout à notre échelle, mais il accuse tout de même un retard d’environ un milliard d’années par rapport à l’actuel tenant du titre. Pour comprendre ce qui le rend spécial, il faut faire un petit détour pour s’intéresser à l’anatomie de ces ogres cosmiques.

Les trous noirs sont entourés de ce qu’on appelle un disque d’accrétion, constitué d’une grande quantité de matière en orbite autour de la singularité. Ces disques servent souvent de garde-manger. La matière qui s’y accumule perd progressivement de l’énergie et finit par tomber directement dans le trou noir ; c’est le principal mécanisme à travers lequel les trous noirs gagnent de la masse.

Mais cela ne signifie pas que ces disques sont des objets placides, bien au contraire. Il s’agit d’environnements très dynamiques. La densité de matière y est telle que les particules s’entrechoquent sans cesse, générant ainsi une friction très importante. Cela a pour effet de surchauffer le disque et de le rendre incroyablement lumineux — parfois plus que des galaxies entières ! Dans ces conditions, les rayonnements sont si intenses qu’ils génèrent ce qu’on appelle une pression de radiation, une force capable d’influencer directement la matière physique.

Lid 568 Vue D'artiste
© NOIRLab/NSF/AURA/J. da Silva/M. Zamani

Ce mécanisme joue un rôle central dans l’étude des trous noirs. En effet, cette pression de radiation a tendance à éjecter la matière du disque ; elle s’oppose donc directement à la gravité qui attire les particules vers la singularité. Or, au-delà d’un certain seuil de brillance, la pression de radiation devient si intense qu’elle prend le pas sur la gravitation. Dans ces conditions, le trou noir ne serait plus capable d’accumuler de la matière. Il se heurte donc à ce qu’on appelle la limite d’Eddington — une limite théorique qui définit la luminosité maximale du trou noir. Par extension, cela conditionne aussi la vitesse à laquelle il peut absorber de la matière, car la luminosité dépend elle-même de la friction qui ralentit les particules du disque jusqu’à ce qu’elles tombent dans le trou noir.

C’est là que l’objet récemment observé par le JWST devient exceptionnel. La plupart des trous noirs identifiés par le télescope sont relativement loin de ce palier ; en règle générale, leur luminosité les place à environ 20 % de la limite d’Eddington. Mais LID-568, de son côté, la pulvérise allègrement : d’après les auteurs, il absorbe de la matière à un rythme 40 fois supérieur à la limite théorique ! « Ce trou noir fait un festin », déclare Julia Scharwächter, astronome et co-auteure de l’étude.

Une fenêtre sur l’histoire des trous noirs et de l’Univers

Il s’agit d’une découverte importante, car c’est un exemple particulièrement extrême d’une tendance qui laisse les astronomes perplexes depuis des années.

Aujourd’hui, on ne connaît qu’un seul mécanisme de formation des trous noirs : la mort d’une étoile massive à travers une supernova. Les trous noirs ainsi générés sont relativement légers ; ils ne dépassent pas les quelques dizaines de masses solaires, au grand maximum. Et cela pose un gros problème théorique. En effet, les trous noirs supermassifs qui résident au centre des galaxies peuvent peser plusieurs millions, voire milliards de masses solaires.

Cela signifie que pour atteindre de telles proportions, ces bébés trous noirs devraient ingurgiter des quantités phénoménales de matière dans un intervalle de temps relativement court par rapport à l’âge de l’Univers. Cela suggère que certains d’entre eux ont sans doute dépassé la limite d’Eddington sur une longue période pour arriver à leur masse actuelle. Mais les exemples ne se bousculent malheureusement pas au portillon, ce qui complique significativement les études sur ce sujet.

C’est pour cela que la découverte de LID-568 est si réjouissante : c’est un exemple extrême qui va sans doute aider les chercheurs à mieux comprendre le cycle de vie et la dynamique des trous noirs supermassifs. « Ce cas extrême montre qu’un mécanisme d’alimentation rapide au-dessus de la limite d’Eddington est l’une des explications possibles de la raison pour laquelle nous observons ces trous noirs très lourds si tôt dans l’Univers », précise Julia Scharwächter.

Les auteurs de l’étude prévoient de nouvelles observations de LID-568 à l’aide du JWST. Il conviendra donc de se pencher sur leurs conclusions, car elles pourraient bouleverser une grande partie de ce que l’on sait sur l’architecture et l’évolution globale du cosmos depuis le Big Bang. Pour référence, une autre étude récemment publiée suggère fortement que les trous noirs jouent un rôle central dans l’accélération de l’expansion de l’Univers – un autre champ de recherche qui regorge encore de mystères. Il sera donc fascinant de suivre la suite de ce grand feuilleton scientifique. Décidément, le Webb n’en finit plus de repousser les limites de l’astrophysique !

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