Boeing, un des colosses historiques qui font la pluie et le beau temps dans l’aérospatiale depuis plusieurs décennies, envisage de prendre une décision radicale. D’après un article exclusif du Wall Street Journal, la firme cherche en ce moment à revendre l’intégralité de ses activités dans ce domaine pour limiter l’hémorragie financière générée par une série de revers préoccupants.
Cette stratégie serait le fruit des réflexions du nouveau PDG Kelly Ortberg, fraîchement débarqué en août dernier pour sortir l’entreprise d’une crise sans précédent. Toutes ses activités sont en ce moment sous pression, à commencer par son bastion historique : l’aéronautique.
La cote de la firme a plongé ces dernières années, notamment à cause des soucis récurrents de ses avions 737 Max ; deux de ces appareils se sont écrasés en l’espace de 7 ans, coûtant la vie à environ 350 personnes. Plus récemment, des rapports accablants ont également fustigé les conditions de sécurité et de travail de l’entreprise. Le Wall Street Journal explique aussi que son plus grand syndicat rejeté les deux dernières propositions du siège, et prolongé une grève massive qui paralyse une grande partie de la production d’aéronefs. Et malheureusement, la situation n’est pas beaucoup plus réjouissante du côté de la branche espace et défense.
La chute d’un titan
Pour resituer le contexte, Boeing est un partenaire privilégié de la NASA depuis des décennies ; l’origine de cette relation remonte aux années 60, bien avant que l’agence américaine ne commence sa démarche actuelle d’ouverture au privé. Il a joué un rôle déterminant dans certains des programmes les plus prestigieux de l’histoire spatiale.
Boeing a par exemple été un acteur central de la construction de Saturn V, la fusée qui a envoyé les premiers astronautes sur la Lune dans le cadre du programme Apollo. Elle a aussi largement contribué au développement des célèbres navettes spatiales ainsi que de l’ISS, la station spatiale qui sert de plaque tournante de la coopération internationale dans l’espace depuis un quart de siècle.
Vous l’aurez compris, Boeing a joué un rôle central dans la conquête de l’espace. Mais plus récemment, elle a eu toutes les peines du mal à faire honneur à sa réputation. Non seulement elle traîne la patte au niveau technologique, mais elle semble désormais incapable de fournir un engin fonctionnel dans les délais et sans faire exploser le budget.
Le SLS et le Starliner en première ligne
Deux appareils illustrent particulièrement bien cette dynamique. En premier lieu, il y a le Space Launch System (SLS). Cette immense fusée est censée être l’une des pierres angulaires du fameux programme Artemis, dont l’objectif est de ramener des astronautes sur la Lune pour la première fois depuis la fin de l’ère Apollo en 1972.
C’est donc le successeur spirituel de l’illustre Saturn V… ou du moins, il le serait si Boeing n’avait pas rencontré une foule de soucis techniques et logistiques qui ont pesé excessivement lourd sur le calendrier et les finances du programme. À ce jour, le SLS a accumulé plusieurs années de retard et coûté plus de 20 milliards de dollars ! Cela en fait la fusée la plus chère de tous les temps — totalement aberrant, alors que l’engin est loin d’être aussi sophistiqué que le Starship de SpaceX, par exemple.
Il y a quelques années, la NASA a donc lancé un appel d’offres pour trouver un partenaire moins dépensier que Boeing, afin de relancer le programme sur de bonnes bases. Mais le reste du programme ayant déjà avancé, elle n’a pas trouvé de repreneur susceptible de fournir un engin viable dans les délais pour se débarrasser de ce boulet. Et le terme n’est pas exagéré. En août dernier, un audit de l’inspection générale de la NASA a mis en évidence plusieurs problèmes critiques, résumés dans un rapport cinglant selon lequel le produit actuel ne répond ni aux normes internationales de l’aérospatiale ni aux attentes de l’agence.
Le second exemple flagrant des galères de Boeing, c’est le Starliner, cette capsule censée servir de navette entre l’ISS et la Terre. Après un lancement précipité en juin dernier, plusieurs années après la deadline originale, il s’est avéré que l’engin souffrait lui aussi d’une montagne de problèmes techniques; il a fini par revenir sur Terre sans son équipage. Ce dernier sera rapatrié l’année prochaine par SpaceX, dont les capsules Dragon sont déjà parfaitement opérationnelles depuis des années. Un revers cinglant en termes d’image.
Vers une fin en eau de boudin
Aujourd’hui, Boeing a perdu son statut de partenaire privilégié au profit de SpaceX. Et l’entreprise semble incapable de remonter la pente, à tel point qu’on peut légitimement se demander si elle est encore capable d’honorer ne serait-ce qu’un seul de ses contrats. Apparemment, le nouveau PDG partage ces doutes. Il envisage désormais de revendre ce programme spatial pour sortir de ce bourbier une fois pour toutes et repartir sur des bases saines.
« À quoi voulons-nous que cette entreprise ressemble dans cinq ou dix ans ? Et ces choses ajoutent-elles de la valeur à l’entreprise ou nous détournent-elles ? », s’interroge Kelly Ortberg cité par le WSJ. « Nous ferions mieux d’en faire moins et de le faire mieux que de faire plus et de ne pas le faire bien ».
Si Ortberg passe à l’acte, cela va modifier considérablement les rapports de force dans le domaine de l’aérospatiale. En plus de consolider la position de SpaceX, cela va sans doute créer un vaste appel d’air, et d’autres entreprises privées pourront alors s’engouffrer dans la brèche. Il conviendra donc de suivre ce dossier de près.
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« son plus grand syndicat rejeté les deux dernières propositions du siège »
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