Passer au contenu

Une expérience de physique quantique révèle l’existence d’un « temps négatif »

Certains photons semblent apparemment quitter des atomes avant même d’y être entrés – un paradoxe qui pourrait ouvrir la voie à de grands progrès dans plusieurs branches de la science.

La physique quantique est un domaine où l’intuition est souvent mise à rude épreuve par des concepts qui semblent défier la logique la plus basique. On peut citer la dualité onde-corpuscule, selon laquelle des objets comme les électrons et les photons peuvent se comporter tantôt comme des particules, tantôt comme des ondes en fonction de la manière dont on les observe. Des particules peuvent exister dans plusieurs états simultanément grâce au principe de superposition quantique, pendant que d’autres peuvent se retrouver corrélées, quelle que soit la distance qui les sépare, en vertu de l’intrication quantique — la fameuse « action effrayante à distance » mentionnée par Einstein.

Récemment, des physiciens de l’Université de Toronto ont ajouté un nouveau phénomène stupéfiant à ce catalogue de curiosités déjà bien garni. Dans une étude repérée par Scientific American, ils ont observé que des photons traversant un nuage d’atomes à très basse température pouvaient en sortir avant même d’y être entrés — en d’autres termes, ils peuvent y passer une quantité de temps négative !

Une question d’excitation

Les fondations de ces travaux ont été posées en 2017, quand le physicien Aephraim Steinberg travaillait sur les interactions entre la lumière et la matière. Plus spécifiquement, il s’intéressait à l’excitation des atomes. Il s’agit d’un phénomène où un électron en périphérie du noyau d’un atome passe temporairement à un niveau d’énergie supérieur en absorbant l’énergie d’un photon. Il dissipe ensuite ce surplus d’énergie, généralement en émettant un nouveau photon, pour rétablir l’équilibre et repasser dans ce qu’on appelle son état fondamental.

Pour l’illustrer, vous pouvez visualiser une classe de collégiens relativement calme, c’est-à-dire dans son état fondamental. Imaginez ensuite que le professeur de sciences entre dans la salle les bras chargés de matériel inconnu, laissant entrevoir une leçon particulièrement ludique. On peut assimiler cela à l’arrivée du photon ; cela fait passer la classe dans un état excité, avec une énergie supérieure à l’ambiance calme et studieuse qui régnait auparavant. Devant cette situation intenable, le professeur est forcé de rétablir l’équilibre. Il coupe court à cette agitation en rangeant le matériel en question, puis en expliquant qu’il est prévu pour la classe suivante ; ces élèves vont en fait passer une heure à faire des exercices. L’excitation retombe immédiatement, et la classe manifeste sa déception avec une protestation collective que l’on peut assimiler à l’émission d’un nouveau photon.

Ce phénomène ne se déroule pas instantanément : il existe un court délai entre l’excitation et le retour à l’état fondamental qui conduit à l’émission du nouveau photon. Cela introduit un léger délai dans la propagation de la lumière, et c’est ce délai que l’équipe de Steinberg cherchait à mesurer. L’objectif de cette démarche était de déterminer ce que devient le photon original dans ce scénario : est-il irrémédiablement absorbé par la matière, ou est-il transmis sans vraiment interagir avec les atomes ?

Steinberg et son équipe pensaient initialement qu’il serait relativement simple de répondre à cette question qu’il décrit comme « basique » — mais cela s’est avéré bien plus complexe que prévu. « Plus nous avons interrogé de gens, plus nous avons réalisé que chacun avait sa propre intuition ou supposition, et qu’il n’y avait pas vraiment de consensus parmi les experts », explique-t-il au Scientific American.

Un paradoxe qui a mis le feu aux poudres

Le laboratoire canadien s’est donc lancé dans une quête de trois ans pour concevoir un test méthodologiquement solide, afin de pouvoir enfin obtenir une réponse solide. L’expérience en question consiste à accélérer des photons à travers un nuage d’atomes de rubidium à très basse température, puis à mesurer le temps d’excitation de ces atomes après le passage de la particule. L’équipe espérait ainsi obtenir une réponse tranchée… mais à la place, elle a eu droit à deux surprises de taille.

Premièrement, ils ont observé que le photon passait parfois à travers le nuage sans subir le moindre changement apparent, mais en laissant derrière lui des atomes excités, comme s’il avait été absorbé. Mais surtout, quand des photons étaient bel et bien absorbés, ils semblaient être ré-émis presque immédiatement, bien avant que l’atome de rubidium ne retourne dans son état fondamental.

Cela implique que le voyage de certains photons se termine avant la fin de l’excitation qui est censée donner naissance au photon en question. En d’autres termes, ils arrivent à destination avant le moment où ils sont censé partir, et on obtient une valeur de temps négative ! Pour reprendre l’exemple de la classe, c’est comme si les élèves se mettaient à râler avant même de savoir que le professeur est sur le point de leur assigner des exercices.

La superposition quantique à la rescousse

Forcément, ce résultat a laissé les chercheurs perplexes. Ils ont donc fait appel à Howard Wiseman, un spécialiste australien de la physique quantique, pour tenter de trouver une faille dans ce modèle qui semblait totalement aberrant. Ensemble, ont conclu que statistiquement parlant, le délai dans la propagation des photons était parfaitement cohérent avec la théorie — même dans les cas où le photon était ré-émis plus tôt que prévu. Cela a rassuré Steinberg et ses collègues ; tout indiquait qu’ils n’avaient pas commis d’erreur dans leurs calculs et leurs prédictions. Mais il fallait encore déterminer l’origine de ces prédictions théoriques terriblement contre-intuitives.

L’équipe a donc monté une nouvelle expérience pour revenir au problème de base : déterminer si les photons traversent effectivement le nuage sans interagir ou s’ils sont absorbés, excitant ainsi les atomes en question avant d’être réémis.

Pour y parvenir, l’équipe a monté une nouvelle expérience basée sur un autre grand classique de la physique quantique. En tant qu’objets quantiques, les photons peuvent être sujets au phénomène de superposition, où les deux scénarios se déroulent simultanément — et c’est dans cette superposition que réside la clé du problème.

« Quand vous observez un photon transmis, vous ne pouvez pas déterminer quel scénario est correct. L’instrument finit par mesurer à la fois un zéro et une petite valeur positive », explique Steinberg dans le Scientific American. Mais dans certains cas, l’instrument de mesure fait des siennes. « Il se retrouve dans un état où on n’obtient pas “zéro plus quelque chose de positif”, mais “zéro moins quelque chose de positif”, et on obtient alors une valeur négative pour le temps d’excitation », résume-t-il.

En d’autres termes, tout indique que la durée pendant laquelle les photons ont été absorbés par les atomes peut effectivement être négative dans certains cas.

Pas de voyage dans le temps… mais de belles promesses pour la physique quantique

Par extension, cela suggère que les photons se déplacent plus rapidement dans le nuage quand ils s’arrêtent pour exciter des atomes que quand ils filent tout droit sans passer de temps à interagir.

C’est une notion extrêmement contre-intuitive, paradoxale. Ses implications sont difficiles à appréhender. Les auteurs ont donc jugé nécessaire d’apporter une clarification importante : ce phénomène n’impacte en rien notre compréhension du temps en lui-même. Ces résultats ne signifient pas que les photons se mettent à dépasser la vitesse de la lumière définie par la relativité spéciale d’Einstein, et ils n’ouvrent pas la voie à une méthode qui permettrait de remonter le temps.

En revanche, tout cela soulève de nouvelles questions très excitantes sur le comportement des photons. Ces mesures pourraient forcer les physiciens à reconsidérer les implications du délai de la lumière lié à l’absorption, à l’excitation, et à la réémission de photons — avec des retombées potentiellement très importantes dans plusieurs disciplines, de l’optique traditionnelle à la physique quantique fondamentale. Il sera donc très intéressant de suivre les prochains travaux qui se pencheront sur cette notion.

L’article de Scientific American est disponible ici.

Le texte de l’étude est disponible ici.

🟣 Pour ne manquer aucune news sur le Journal du Geek, abonnez-vous sur Google Actualités. Et si vous nous adorez, on a une newsletter tous les matins.

8 commentaires
  1. Comme c’est en physique quantique et que l’on a des états de superposition. Ne peut on pas penser qu’un photon arrivant peut se retrouver en intrication quantique avec un photon du nuage qui va sortir en donnant l’impression que le photon est sorti avant d’entrer ??

  2. Oui, il faut le dire : c’est un réel plaisir de lire les articles d’Antoine Gautherie ! Et ce dans tous domaines ; une faculté d’imager et de narrer très prenante, interessante et enrichissante !

  3. Jai adoré la vulgarisation, globalement ‘article est bien écrit, joue avec les espoirs du lecteur mais brise les phantasmes e revenant aux bases scientifiques ; Bravo !

    Par contre, la “relativité SPECIALE d’Einstein” ?
    On est dans le “petit”, c’est donc la restreinte… Eventuellement “spatiale” (relativité de l’espace-temps)
    Mais vu le reste de l’article, je pense que ‘est une coquille de fatigue, ou une correction auto 😉

Les commentaires sont fermés.

Mode