Ce bon vieux Hubble est peut-être plus proche de sa retraite que de son lancement, mais il n’en demeure pas moins un outil précieux. La preuve avec une nouvelle étude d’astronomes américains, qui se sont servis du vieux coucou pour identifier un jet de trou noir qui semble faire entrer les étoiles en éruption tout au long de sa trajectoire.
Au centre de chaque grande galaxie, on trouve généralement un trou noir supermassif, un véritable ogre cosmique dont l’influence gravitationnelle démentielle peut structurer des centaines de milliards d’étoiles. Certains de ces titans peuvent émettre d’immenses jets à l’énergie monstrueuse, pourfendant l’espace interstellaire à une vitesse proche de celle de la lumière sur des distances qui dépassent parfois l’entendement. Récemment, des chercheurs ont d’ailleurs révélé l’existence de Porphyrion ; il s’agit d’un jet de trou noir aux proportions si énormes qu’il pourrait influencer la structure de la toile cosmique, et par extension, forcer les astronomes à reconsidérer certains points de l’histoire de l’Univers.
Mais malgré des décennies de recherche acharnée, il s’agit de phénomènes qui restent relativement mal compris. L’origine des jets, par exemple, est encore extrêmement nébuleuse. Les physiciens considèrent qu’ils sont alimentés par le champ gravitationnel gargantuesque des trous noirs supermassifs, mais personne n’a jamais réussi à démontrer rigoureusement le mécanisme qui les génère.
De la même façon, on ne sait pas exactement de quelle façon ils interagissent avec la matière — et ce mystère en particulier vient encore de s’épaissir avec la publication de cette nouvelle étude.
Un feu d’artifice spatial repéré par Hubble
Tout est parti d’une campagne d’observation de Hubble, qui porterait sur la région à proximité du trou noir M87 — le tout premier à avoir été observé directement en 2019.
Plus spécifiquement, le télescope s’intéressait à des systèmes binaires. Ce terme désigne des couples d’objets gravitationnellement liés qui orbitent l’un autour de l’autre (ou plus précisément autour d’un centre de gravité commun).
Les deux corps, qui peuvent être très différents, se livrent alors à un tango meurtrier. C’est notamment le cas dans les systèmes binaires constitués d’une vieille étoile en train de gonfler et d’une naine blanche — le cadavre extrêmement dense d’une étoile pas suffisamment massive pour donner lieu à une supernova. Dans ce cas de figure, la naine blanche a tendance à cannibaliser son partenaire, lui arrachant de grandes quantités de matière.
Au fur et à mesure que ce matériel s’accumule, la naine blanche peut atteindre un seuil critique qui correspond à un point de basculement ; elle se transforme en une immense bombe à hydrogène, et on obtient alors une puissante explosion appelée nova.
Or, ces observations du doyen des télescopes spatiaux ont fait émerger une tendance étonnante. Sur les images, l’équipe a observé un nombre de novas étonnamment élevé. Intrigués, les chercheurs ont sorti leurs outils d’analyse statistique pour le vérifier rigoureusement. Ils ont alors pu déterminer que ces novas sont environ deux fois plus fréquentes à proximité du jet de M87.
Cela suggère fortement que ces immenses chalumeaux cosmiques, qui peuvent atteindre des températures de plusieurs millions de degrés, contribuent à mettre le feu aux poudres — littéralement… mais la manière dont ils y parviennent n’est pas aussi évidente qu’on pourrait le penser.
Une grosse lacune dans les modèles cosmologiques
En effet, cette statistique concerne surtout des étoiles qui ne sont pas positionnées directement sur la trajectoire du jet. La plupart des novas de systèmes binaires observées par Hubble étaient relativement proches de ce déluge d’énergie, mais pas suffisamment pour s’embraser seulement à cause de la température, selon les calculs des chercheurs. Du point de vue des astronomes, cela pointe vers l’existence d’une grosse lacune dans la théorie actuelle.
« Il y a quelque chose que le jet fait aux systèmes stellaires qui errent dans les environs […]. Il manque quelque chose dans notre compréhension de la manière dont les jets de trous noirs interagissent avec la matière », explique Alec Lessing, astrophysicien à l’Université de Stanford et auteur principal de l’étude.
Avec son équipe, il a commencé à émettre quelques hypothèses qui pourraient permettre d’expliquer cet écart statistique flagrant. Certaines reposent sur un apport d’hydrogène, tandis que d’autres sont centrées sur la quantité d’énergie monstrueuse qui émane du jet.
« Peut-être que le jet envoie d’une manière ou d’une autre de l’hydrogène sur les naines blanches, les faisant entrer en éruption plus fréquemment », suppose Lessing. « Mais il n’est pas clair qu’il s’agisse d’un facteur physique », nuance-t-il. « Cela pourrait aussi être une conséquence de la pression de la lumière émanant du jet. Lorsque vous délivrez de l’hydrogène plus rapidement, vous obtenez des éruptions plus rapidement. Il pourrait donc y avoir quelque chose qui double le taux de transfert de masse sur les naines blanches près du jet », avance-t-il.
Les trous noirs, moteurs de l’évolution de l’Univers
Malheureusement, en l’état, son équipe n’est pas en mesure de valider ces propositions. La seule solution sera donc de continuer à sonder assidûment le voisinage des jets en espérant tomber sur un autre phénomène qui pourrait expliquer cette dynamique. Il s’agira sans doute d’un long processus qui demandera des années d’observation rigoureuse — mais le jeu en vaut la chandelle.
En effet, les astrophysiciens considèrent depuis longtemps que les trous noirs et les phénomènes associés jouent un rôle déterminant dans l’évolution de l’Univers depuis la nuit des temps. Et ces travaux sur les novas renforcent encore cette piste.
On sait que ces vastes explosions contribuent à enrichir le milieu interstellaire en disséminant des éléments qui, à leur tour, vont jouer un rôle important dans le cycle de vie des étoiles et l’évolution des galaxies. Le fait que les jets alimentent les novas est donc tout sauf anodin : c’est une nouvelle démonstration de l’impact potentiel des trous noirs sur le devenir du cosmos.
Il sera fascinant de suivre les travaux qui tenteront d’intégrer ces informations dans les modèles qui décrivent la dynamique de l’Univers, à l’échelle locale comme le jet de M87, mais aussi à une échelle encore plus importante, comme Porphyrion (voir notre article cité plus haut).
Le texte de l’étude est disponible ici.
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