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CERN : une mesure ultra-précise du boson W douche les espoirs des physiciens

Après une campagne expérimentale de dix ans, les physiciens du LHC ont montré que la masse de cette particule fondamentale était finalement cohérente avec les prédictions du modèle standard. Une douche froide pour ceux qui y voyaient la port d’entrée d’une “nouvelle physique”… mais ce n’est que partie remise.

Les équipes du CERN ont récemment accompli un véritable tour de force scientifique avec une mesure à la précision diabolique : grâce au fameux Grand Collisionneur de Hadrons (LHC), ils ont recalculé la masse du boson W, une des particules fondamentales qui régissent le comportement de la matière. Ce succès enterre définitivement une anomalie qui menaçait de faire s’écrouler tout un pan de la physique des particules — pour le meilleur et pour le pire.

Aujourd’hui, pour décrire le monde qui nous entoure à la plus petite des échelles, les physiciens s’appuient en grande partie sur ce qu’on appelle le modèle standard de la physique des particules. C’est grâce à ce cadre théorique extrêmement solide que nous pouvons classifier toutes les particules élémentaires connues dans différents groupes, et expliquer le fonctionnement de trois des quatre forces fondamentales de la nature, l’exception étant la gravité — un détail qui aura son importance plus tard.

Bosons Fermions
© Hugo Spinelli – Wikimedia Commons

Il en existe deux grandes familles. D’un côté, nous avons les fermions, qui sont les briques élémentaires de la matière. Ils sont eux-mêmes divisés en baryons (protons, neutrons…) et en leptons (électrons, neutrinos…) qui partagent tous une caractéristique commune : conformément au principe d’exclusion de Pauli, deux fermions ne peuvent pas occuper le même espace en même temps, et c’est cette propriété qui rend la matière “solide”.

De l’autre, il y a les bosons, que l’on peut considérer comme des vecteurs de force. Deux d’entre eux sont particulièrement célèbres. Le premier, c’est l’incontournable photon, le vecteur de la force électromagnétique. Le deuxième, c’est le boson de Higgs, la fameuse « particule de Dieu » qui a fait l’objet d’une fascinante quête scientifique.

La masse des particules, clé de la « nouvelle physique »

Mais ce ne sont pas les seuls ; il y a également d’autres bosons moins connus, mais tout aussi importants pour la physique fondamentale. On peut citer les gluons, qui régissent ce qu’on appelle l’interaction forte — la force fondamentale qui donne leur cohérence aux atomes. Il y a également des bosons Z et W, dont la dynamique est à l’origine de l’interaction faible. Il s’agit d’une autre force fondamentale qui est responsable de phénomènes très importants, comme la désintégration radioactive.

Depuis l’introduction du modèle standard, les physiciens cherchent à mesurer la masse de chaque membre de cette ménagerie nanométrique. Et ce n’est pas simplement pour le plaisir de construire un catalogue. La masse étant une propriété fondamentale de la nature, connaître celle des briques fondamentales de l’Univers pourrait mener à d’immenses progrès dans la compréhension de tous les phénomènes qui s’y déroulent.

En outre, ces mesures sont aussi une manière de tester les limites du modèle standard. Car même s’il s’est avéré exceptionnellement solide jusqu’à présent, les physiciens savent pertinemment qu’il est au mieux incomplet. En effet, ce cadre théorique ne comporte aucun moyen d’expliquer la force gravitationnelle, la quatrième force fondamentale de la nature qui est pourtant si bien expliquée par la célèbre relativité d’Einstein.

Pour réconcilier les deux en une seule théorie unifiée et ouvrir la porte d’une « nouvelle physique » révolutionnaire, décrivant l’ensemble de la réalité observable, il faut donc commencer par identifier ces lacunes. Ces mesures de masse sont un élément central de cette démarche, car le moindre écart entre la réalité et la théorie serait un indice extrêmement prometteur.

Le boson W, aussi prometteur que récalcitrant

Pour le moment, ces efforts gigantesques n’ont jamais produit de résultats concluants. Cela fait des décennies que la relativité encaisse les coups de boutoir des physiciens sans broncher, et le modèle standard continue lui aussi de se montrer inébranlable.

Mais de nombreux chercheurs estiment que la clé du problème réside peut-être dans ce fameux boson W. En effet, c’est l’une des très rares particules du modèle standard dont la masse peut être calculée, mais aussi vérifiée expérimentalement. Cela le rend particulièrement prometteur lorsqu’il s’agit de tester les limites du modèle.

Le souci, c’est que la mesure de la masse du boson W est un exercice notoirement difficile qui comporte une part significative d’incertitude.

Pour mesurer la masse d’une particule, les physiciens doivent employer une méthode brutale : les pulvériser dans un accélérateur de particules, puis mesurer l’énergie cumulée des différentes sous-particules produites par la collision. C’est un peu comme si vous lanciez une construction en LEGO contre un mur, puis que vous mesuriez les différentes pièces qui jonchent le sol.

Or, le boson W s’y prête assez mal. C’est une particule notoirement instable qui a tendance à se désintégrer spontanément en produisant un muon, mais aussi un neutrino, la fameuse « particule fantôme ». Ces objets n’interagissent quasiment jamais avec la matière ordinaire, et ils ont donc tendance à s’échapper du détecteur sans laisser la moindre trace. Pour reprendre l’exemple ci-dessus, c’est comme si la moitié des pièces de LEGO filait par la fenêtre à l’impact ; il manque une partie cruciale des informations relatives à l’objet original. Il est donc très difficile d’obtenir des données précises sur le boson W.

Une anomalie potentiellement révolutionnaire…

Mais la dernière fois qu’un laboratoire y est parvenu, le boson W est passé à deux doigts de faire voler le statu quo en éclats. À l’époque, des chercheurs du Fermi National Accelerator Laboratory (FNAL) ont publié une étude remarquable, qui a conclu que la masse du boson W était plus importante que prévu.

Ce résultat a fait l’effet d’une bombe dans la sphère scientifique, et pour cause : cela ressemblait fort à une vraie brèche dans laquelle les physiciens pourraient enfin s’engouffrer pour réconcilier la relativité et le modèle standard, afin d’ouvrir la porte de la « nouvelle physique » tant attendue.

Jusqu’à présent, les efforts gigantesques des physiciens n’avaient jamais produit de résultats concluants. Cela fait des décennies que la relativité encaisse les coups de boutoir des spécialistes sans broncher, et le modèle standard continue lui-aussi de se montrer inébranlable; mais cette fois, il y avait de vraies raisons d’espérer un vrai progrès.

…qui retombe comme un soufflé

Mais c’était sans compter les physiciens du CERN, qui sont venus jouer les trouble-fête. Ce nouveau rebondissement est le fruit de l’expérience CMS, un programme qui repose sur le LHC — l’accélérateur de particules le plus puissant de la planète.

© Samuel Joseph Hertzog – CERN

Depuis une dizaine d’années, ses opérateurs ont analysé des centaines de millions de muons produits par la désintégration de bosons W. Récemment, ils ont enfin obtenu assez de données expérimentales pour les comparer à différentes simulations où ils ont attribué des masses différentes au boson, afin de vérifier quel modèle était le plus cohérent. Grâce à cette méthodologie, ils ont pu calculer la masse du boson W avec une précision inédite.

Et le résultat est aussi remarquable que décevant : tout indique que la masse du boson W correspond parfaitement à la théorie formalisée dans le modèle standard. D’après les auteurs, les nombreux physiciens indépendants qui se sont penchés sur ces résultats n’ont pas décelé le moindre problème méthodologique ou mathématique. En d’autres termes, la mesure du FNAL était sans doute une anomalie, et le CERN vient d’infliger une douche froide à ceux qui y voyaient le début de la « nouvelle physique ».

« Il aurait probablement été préférable pour la communauté de trouver quelque chose de totalement différent du modèle standard, car cela aurait été passionnant pour l’avenir de notre discipline », regrette Elisabetta Manca, physicienne des particules à l’Université de Californie citée par Nature.

La quête de la Théorie du Tout continue

Mais il ne s’agit pas d’une fin en soi, bien au contraire. Même si la communauté scientifique semble convaincue par les résultats du CERN, personne ne peut encore expliquer la source de l’anomalie détectée par le FNAL, dont la méthodologie était pourtant très solide. Et pour tirer cette affaire au clair, il faudra impérativement trouver ce qui cloche. La bonne nouvelle, c’est que la longue expérience du CERN a aussi fait émerger de nouveaux outils logiciels et mathématiques qui permettront de pousser l’investigation encore plus loin.

Quoi qu’il en soit, les spécialistes sont coutumiers de ce genre de déconvenue. Les cas de ce genre sont légion en physique des particules; pas plus tard que cet été, de nouvelles mesures du célèbre boson de Higgs ont également douché les espoirs d’une réconciliation imminente entre le modèle standard et la relativité.

Ils savent pertinemment que la route sera longue et difficile, mais ces déceptions n’ont jamais amoindri la ténacité legendaire des physiciens – et ce nouvel épisode ne va pas non plus les arrêter. Ils vont continuer de malmener le modèle standard pendant de longues années, pendant que leurs collègues feront de même avec la relativité. Et avec beaucoup de temps et un peu de chance, ces efforts finiront peut-être par nous mener aux pièces manquantes du puzzle de la fameuse « Théorie du Tout » poursuivie par Einstein et ses successeurs.

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Source : Nature

1 commentaire
  1. J’adore ce site ou on parle de la dernière enceinte bt, de la dernière version d’une console de jeux mais aussi d’une expérimentation de physique fondamentale.
    Merci pour cette explication claire pour un néophyte comme moi. Cela ne transformera pas ma journée (pas facile a caser dans un dîner :-)) et cela ne me rend pas plus intelligent, mais cela démontre qu’une explication simple peut être apportée aux sujets les plus complexes.
    Cela démontre aussi que certains ont de “beaux” métiers : chercher pendant 10 ans à mesurer le poids d’un constituant fondamental dont la caractéristique fondamentale est de disparaitre dès qu’il existe, le tout avec un joujou de 27km de circonférence ayant couté 5 milliards d’euros. Bravo à eux.
    J’ai passé un bon moment et je vais me faire un café pour fêter ça.

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