Des chercheurs ont récemment dévoilé une toute nouvelle structure de la lumière, susceptible de bouleverser la façon dont les chercheurs voient le monde à la plus petite des échelles. Cette structure très particulière, appelée le vortex chiral, ne servira jamais à éclairer votre salon ; en revanche, elle pourrait conduire à des innovations majeures dans de nombreux domaines, de l’industrie pharmaceutique à la bio-ingénierie en passant par l’agronomie.
Pour comprendre les tenants et aboutissants de ces travaux, il faut s’intéresser à une notion très importante dans plusieurs branches de la science, et notamment en chimie : la chiralité.
Une asymétrie naturelle à la plus petite des échelles
Par convention, les scientifiques baptisent les molécules en fonction des atomes qui les composent, et de la structure à travers laquelle ils sont reliés entre eux. Mais deux molécules qui suivent exactement la même recette peuvent tout de même présenter une différence importante au niveau géométrique.
Pour l’illustrer, on peut prendre l’exemple de la main humaine. Vos deux appendices comportent exactement les mêmes os, tendons, muscles, cartilages et nerfs, et ils sont (idéalement) arrangés selon la même structure : peu importe quelle main vous avez choisie, l’index est toujours relié à la paume et se situe entre le majeur et le pouce. Mais il suffit d’un coup d’œil pour observer une différence majeure : vous avez une main gauche et une main droite qui sont symétriques. Si vous placez votre main gauche sur votre main droite, ou vice-versa, elles ne se superposent pas.
Ce phénomène existe également à l’échelle des atomes. Comme nos mains, il existe des molécules dont la structure peut s’organiser de deux manières, avec une variante gauche (lévogyre) et droite (dextrogyre). On dit qu’il s’agit de deux énantiomères, et les objets qui présentent cette particularité sont dits chiraux.
Une différence subtile, mais très importante
À première vue, ces différences peuvent sembler anecdotiques. Puisque la formule chimique des énantiomères est strictement identique à l’atome près, on peut intuitivement se dire qu’ils devraient se comporter exactement de la même façon. En réalité, ce n’est pas le cas : les deux variantes d’une même molécule peuvent réagir de manière radicalement différente. Et c’est un point absolument crucial dans certaines branches de la science, à commencer par la pharmacologie.
On peut notamment citer l’exemple célèbre du thalidomide, un médicament sédatif et anti-nauséeux. C’était un traitement très courant durant les années 1950 et 1960, notamment chez les femmes enceintes. Mais son utilisation a malheureusement conduit à une véritable crise sanitaire : les autorités de santé publique ont réalisé que les fœtus des patientes étaient souvent sujets à de terribles malformations. Après investigation, il est apparu que ces problèmes étaient intimement liés à la chiralité du thalidomide. Le premier énantiomère présentait effectivement des propriétés bénéfiques, mais son jumeau était directement responsable de ces malformations !
Cette affaire a au moins eu une retombée bénéfique : depuis ce désastre, l’industrie pharmaceutique a pris conscience qu’il était absolument vital de faire le tri entre les différents énantiomères avant d’intégrer une molécule à un médicament.
Plus largement, on sait aujourd’hui que les concentrations relatives de différents énantiomères peuvent servir de biomarqueurs pour des cancers, ainsi que d’autres maladies graves du cerveau ou des reins.
Le souci, c’est qu’il est très difficile de détecter de ces variations subtiles avec une précision suffisante. Même avec l’arrivée de nouvelles techniques analytiques très sophistiquées, cela reste un problème majeur dont la résolution aurait des implications très profondes.
Un vortex lumineux à la rescousse
C’est là qu’interviennent les auteurs de cette étude, basés aux prestigieux King’s College de Londres et Institut Max Born de Berlin ; ils ont réussi à modifier les propriétés topologiques d’un faisceau lumineux pour lui conférer une chiralité locale.
Le processus démarre avec ce qu’on appelle deux faisceaux de type vortex, des rayons lumineux avec une structure particulière. La différence avec les faisceaux classiques se situe au niveau du front d’onde, l’ensemble des points de l’espace qui sont atteints au même moment par l’onde. Imaginez un mur éclairé par une lampe-torche qui fonctionnerait au ralenti, de façon à ce que l’on puisse observer la propagation de la lumière en temps réel ; lorsqu’un point du mur commence à être illuminé, c’est qu’il a été atteint par le front d’onde.
En règle générale, avec un faisceau lumineux standard, ce front d’onde est plat est régulier. Mais ce n’est pas le cas dans un vortex. Ici, le front d’onde est en forme d’hélice, un peu comme le corps d’une vis ou un escalier en colimaçon qui “tourne” dans un sens ou dans l’autre. Les photons interagissent donc différemment avec les objets qu’ils rencontrent.
En combinant deux vortex opposés grâce à différents procédés de traitement optique sophistiqués, les chercheurs ont réussi à rendre leur faisceau particulièrement sensible aux différences de chiralité. En d’autres termes, les photons se comportent différemment lorsqu’ils rencontrent un énantiomère gauche ou droit. C’est la première fois qu’un faisceau lumineux a été structuré de cette manière.
Une nouvelle technique analytique à fort potentiel
On peut donc utiliser ce vortex chiral pour identifier les variantes d’une même molécule. Selon les chercheurs, ces travaux pourraient ouvrir la voie à de nouveaux appareils de spectroscopie énantiomérique à la sensibilité remarquable, bien au-delà de ce que toutes les techniques actuelles sont capables de proposer.
Ces engins seraient susceptibles de faire une vraie différence dans l’industrie pharmaceutique, ainsi que dans toutes les autres disciplines où la chiralité est importante. Cela permettrait notamment d’éviter des désastres comme celui du thalidomide, mais aussi de mieux comprendre le rôle des énantiomères dans la structure de la matière, avec des retombées profondes dans des domaines comme la physique fondamentale ou la science des matériaux.
“Grâce à notre nouvelle méthode, un léger excès de concentration de l’un ou l’autre des jumeaux peut être détecté, peut-être suffisamment pour faire une différence qui changera la vie de certaines personnes“, résume Nicola Mayer, auteure principale de l’étude.
Le texte de l’étude est disponible ici.
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Article de vulgarisation très bien écrit. Bravo à l auteur de l article.