Unity a entamé une grande remise à plat de son activité, pour tourner la page de la controverse qui a mis l’entreprise en grande difficulté l’année dernière. Le nouveau PDG vient d’annoncer la mort pure et simple du Runtime Fee qui avait fait pousser des cris d’orfraie aux développeurs, et en profite même pour rendre son offre gratuite plus généreuse. Est-ce suffisant pour remonter la pente ?
Aujourd’hui, le monde du jeu vidéo repose en grande partie sur deux moteurs différents : Unreal Engine et Unity. Le premier s’est imposé comme un outil incontournable pour de nombreux studios AAA, notamment depuis le déploiement d’UE5 qui regorge d’outils extrêmement puissants. Le second occupe une niche assez différente : grâce à sa simplicité et à sa structure tarifaire très intéressante, il est particulièrement populaire dans la sphère indépendante, et a permis à de nombreux développeurs amateurs de nous offrir d’innombrables pépites comme Cuphead, Subnautica, ou encore Hollow Knight pour ne citer qu’eux.
Tourner la page de l’ère Riccitiello
Mais cette idylle a failli tourner court l’année dernière à cause de la stratégie plus que discutable de l’ex-PDG, John Riccitiello. Ce personnage controversé s’était déjà illustré de la pire des façons lors de son passage à la tête d’EA Games. Connu pour son amour de l’agent, il a été le grand architecte du scandale des loot boxes de FIFA 09. En 2011, il a à nouveau ulcéré le monde du gaming après la publication d’un clip enregistré lors d’une réunion d’actionnaires. Il avait lâché un exemple de très mauvais goût pour illustrer sa philosophie de monétisation.
« Quand vous êtes dans une session de six heures de Battlefield et que vous arrivez à court de munitions, si on demande un dollar pour recharger, vous n’allez pas réfléchir longtemps au prix à ce stade », avait-il expliqué. Un raisonnement qui en dit long sur sa vision de l’industrie du jeu vidéo.
Pas découragé par les critiques, il a continué ses manœuvres après son arrivée chez Unity en modifiant considérablement le modèle économique avantageux qui a fait le succès du moteur. Après avoir fait étalage de son tact et de son élégance en traitant les développeurs de « p*tain d’idiots », il a tenté d’imposer une licence très coûteuse aux jeux les plus populaires : une formule Industrie à 5000 $ par an et par siège, contre 1500 $ pour la licence Pro en vigueur jusque-là.
Mais surtout, il a lancé le désormais tristement célèbre Runtime Fee. Pour rappel, il s’agissait d’une nouvelle clause forçant les développeurs à mettre la main au portefeuille à chaque fois qu’un joueur installe l’un de leurs produits. L’annonce a été vécue comme une exaction, voire une véritable mise à mort du côté des studios et des développeurs, notamment chez les indépendants.
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Sans surprise, cette affaire a déclenché un véritable tollé ; de nombreux développeurs ont annoncé leur intention d’abandonner Unity Engine et de se diriger vers d’autres moteurs, conduisant à une chute dramatique de l’action de l’entreprise. Mais pendant que la maison brûlait, “Ricci” continuait ses manigances ; il a notamment vendu des tas d’actions en amont du crash qu’il avait lui-même orchestré.
La controverse a pris des proportions telles que le comité d’administration a décidé d’éjecter ce parasite une fois pour toutes.
Un nouveau PDG avec les pieds sur Terre
Après un court intérim de James M. Whitehurst, un ancien taulier d’IBM, l’entreprise s’est trouvée un nouveau PDG en la personne de Matt Bromberg. Depuis un an, ce dernier ne lésine pas sur les efforts pour éteindre l’incendie allumé par son prédécesseur et remettre Unity dans le droit chemin. Ce 12 septembre, il a adressé une lettre ouverte à tous les développeurs pour leur communiquer la nouvelle feuille de route qu’il concocte depuis son arrivée aux commandes.
« Au cours des 20 dernières années, nous avons collaboré avec de brillants concepteurs et développeurs, artistes et ingénieurs, éditeurs et plateformes, pour construire un monde dans lequel de grands jeux pourraient être créés par n’importe qui, pour tout le monde. Nous l’avons appelé “démocratiser le développement de jeux” et cela reste aujourd’hui notre mission principale. »
« Cependant, nous ne pouvons pas poursuivre cette mission en conflit avec nos clients ; au fond, il doit s’agir d’un partenariat fondé sur la confiance. J’ai pu entrer en contact avec beaucoup d’entre vous au cours des trois derniers mois, et j’ai entendu à maintes reprises que vous compreniez que les augmentations de prix sont une composante nécessaire de ce qui nous permet d’investir dans notre produit. Mais ces augmentations ne doivent pas nécessairement prendre une forme nouvelle et controversée. Nous souhaitons offrir de la valeur à un prix équitable, de la bonne manière, afin que vous puissiez continuer à vous sentir à l’aise pour développer votre entreprise sur le long terme avec Unity comme partenaire », explique Bromberg dans sa lettre.
Un nouvelle tarification plus raisonnable
Pour atteindre cet objectif et redorer le blason d’Unity, sa première décision a été d’annuler le Runtime Fee pour les développeurs de jeux vidéo. À compter d’aujourd’hui, le forfait de la discorde est définitivement mort et enterré, pour le plus grand plaisir des clients qui peuvent enfin recommencer à se projeter.
Dans un second temps, il a aussi garanti que la formule de base, Unity Personal, resterait gratuite… et il en a aussi profité pour tendre la main aux plus petits studios. Jusqu’à présent, les développeurs pouvaient bénéficier de cette gratuité jusqu’à ce que les revenus annuels générés par leur activité dépassent les 100 000 $. Désormais, ce seuil va être élevé à 200 000 $ — une excellente nouvelle pour les petits studios qui ont souvent besoin de temps pour rentrer dans leurs frais.
En revanche, pour compenser ce manque à gagner, il a aussi annoncé une hausse substantielle du prix au-delà de ce seuil de gratuité. À partir du 1er janvier 2025, la formule Unity Pro qui devient obligatoire à partir de 200 000 $ de revenus annuels verra son prix augmenter de 8 % pour atteindre les 2000 $ par siège et par an. Ce sont les professionnels chevronnés qui seront les plus impactés par cette décision. La formule Enterprise, qui devient obligatoire au-delà des 25 millions de revenus annuels, verra son prix augmenter de 25 %.
Pour compenser cette hausse, l’entreprise promet toutefois de renforcer son offre — notamment avec la sortie de la nouvelle version du moteur Unity 6, attendue d’ici quelques semaines. Bromberg assure qu’il s’agira de la version « la plus stable et performante d’Unity à ce jour ».
Dans l’ensemble, ces nouvelles mesures sont très encourageantes. Cette nouvelle grille tarifaire suggère que Bromberg est nettement plus en phase avec sa clientèle que son affreux prédécesseur, et sa volonté de laisser de la marge de manœuvre aux petits studios est indiscutablement louable. Il est encore trop tôt pour affirmer qu’Unity est déjà de retour sur la bonne voie ; mais cette stratégie est déjà nettement plus saine et plus proche de la philosophie originale de l’entreprise, ce qui est de bon augure. Reste à voir si elle portera ses fruits.
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