Il reste beaucoup de choses à découvrir sur Sagittarius A*, l’immense trou noir supermassif de la Voie lactée. Personne n’a réussi à déterminer rigoureusement son âge, ou le phénomène qui a permis à ce titan d’émerger. Mais cela vient peut-être de changer. Dans une étude repérée par Universe Today, des chercheurs qui se sont penchés sur ses origines estiment désormais avoir trouvé son âge et déterminé les circonstances de sa naissance.
Les grandes galaxies sont structurées par l’influence gravitationnelle de trous noirs supermassifs, de véritables mastodontes cosmiques tellement massifs qu’ils malmènent parfois les lois de la physique traditionnelle. Il s’agit donc d’objets d’étude très précieux pour les astrophysiciens qui cherchent à comprendre le fonctionnement de notre univers.
Un mastodonte encore mal connu
Ces derniers s’intéressent tout particulièrement à Sagittarius A*, le trou noir supermassif qui trône au centre de notre galaxie. Il est extrêmement éloigné dans l’absolu, avec plus de 25 000 années-lumière de distance par rapport à la Terre. Mais il est tout de même nettement plus proche de nous que n’importe quel autre objet de cette catégorie. Par exemple, M31, le trou noir supermassif de la galaxie d’Andromède, est situé à environ 2,5 millions d’années-lumière. Ces distances faramineuses compliquent encore l’étude de ces mastodontes déjà excessivement difficiles à observer, puisqu’ils ont la fâcheuse habitude de capturer toute la lumière qui franchit l’horizon des événements.
Grâce à sa proximité, Sagittarius A* est donc un objet d’étude privilégié. Depuis qu’il a été découvert en 1974, il a fait l’objet de nombreuses campagnes d’observation soutenues qui ont fait progresser l’astrophysique de manière spectaculaire. Mais en dépit de ces contributions, le trou noir reste particulièrement discret vis-à-vis de son histoire personnelle. Contrairement aux autres objets comme les étoiles, dont la composition chimique et l’activité sont de très bons indicateurs de l’âge, les trous noirs souffrent d’un manque criant d’indicateurs évolutifs sur lesquels les chercheurs pourraient se baser. Par conséquent, son âge et ses origines restent sujets à débat dans la communauté scientifique.
Récemment, une équipe affiliée au prestigieux Event Horizon Telescope a pris l’initiative de combler cette lacune. Pour ceux qui n’en sont pas familiers, il s’agit d’une institution qui rassemble les plus grands spécialistes mondiaux des trous noirs. On leur doit par exemple le tout premier portrait d’un trou noir, avec la photo de M87 capturée en 2019. Trois ans plus tard, en 2022, ces chercheurs ont réitéré cet exploit avec la première observation directe de Sagittarius A*. Plus largement, l’EHT est aussi à l’origine d’une montagne d’autres études moins grand public, mais exceptionnellement importantes pour la compréhension de la dynamique des trous noirs et de leur influence sur l’Univers.
Un disque étonamment tordu
Dans leurs derniers travaux, deux chercheurs affiliés à l’ETH se sont repenchés sur Sagittarius A*, et plus précisément son disque d’accrétion. Ce terme désigne un immense disque de poussière et de gaz qui s’accumule autour de l’ombre du trou noir — la partie centrale sombre où s’installe la fameuse singularité. C’est ce disque parfois surchauffé et extrêmement brillant qui nous permet d’observer indirectement les trous noirs ; même s’il n’appartient techniquement pas au trou noir en lui-même, il peut révéler des tas d’informations sur son comportement.
Or, celui de Sgr A* est assez particulier. Des observations réalisées au du début du millénaire, puis précisées par la campagne de 2022 ont révélé qu’il tournait à une vitesse très importante… et surtout qu’il n’était pas aligné sur le même plan que le reste de la Voie lactée. En fait, il est même désaxé d’environ 90° par rapport au plan galactique ! Il s’agit d’une incohérence troublante, car si le trou noir avait pu vivre sa vie paisiblement, les lois de la physique (plus spécifiquement, la conservation du moment d’inertie) auraient forcé le disque à s’aligner.
Un symptome d’une collision cataclysmique
Les auteurs de cette nouvelle étude en ont conclu que le trou noir avait forcément subi un événement traumatique qui permettrait d’expliquer cette observation. Ils ont donc conduit des simulations informatiques extrêmement poussées pour en déterminer la nature, et sont arrivés à une conclusion qu’ils estiment solide : selon eux, le décalage indique que le trou noir est probablement né d’une violente fusion entre deux corps célestes.
« Nous avons découvert qu’une fusion majeure de trous noirs supermassifs, l’un quatre fois plus massif que l’autre arrivé avec un angle de 145 à 180°, peut expliquer la rotation et l’angle du disque de Sgr A* », expliquent les chercheurs dans leur papier.
En partant de cette hypothèse, les auteurs ont pu pousser leur simulation encore plus loin. Ils ont comparé l’état initial du système au disque que l’on observe aujourd’hui pour déterminer combien de temps il aurait fallu pour arriver au Sagittarius A* que l’on connaît. À la fin de ce processus, ils ont conclu que la fusion avait probablement eu lieu il y a environ 9 milliards d’années. Cette date est intéressante, car elle correspond précisément à un événement majeur qui a largement conditionné l’évolution de notre voisinage cosmique : la fusion de la Voie lactée avec une autre galaxie naine appelée Gaia-Encelade. Cette collision aurait conduit à la fusion de leurs trous noirs respectifs, altérant au passage l’orientation et la rotation de notre bon vieux Sgr A*.
« Cet événement nous offre une preuve convaincante de la théorie des fusions hiérarchiques des trous noirs, mais nous donnent aussi de nombreuses informations sur l’histoire dynamique de notre galaxie. Cette découverte ouvre la voie à une meilleure compréhension de la croissance et de l’évolution des trous noirs », écrivent les auteurs dans un communiqué.
Cette théorie est particulièrement convaincante, car elle permet aussi aux chercheurs d’extrapoler sur la base des simulations de Sgr A* pour déterminer la fréquence des fusions de trous noirs supermassifs à l’échelle du cosmos. Les auteurs ont calculé que plusieurs centaines, voire milliers d’événements de ce genre auraient lieu chaque année dans l’Univers observable — un chiffre parfaitement cohérent avec précédentes études sur ce sujet.
LISA à la rescousse
C’est une information précieuse, car cela suggère que nous avons de bonnes chances d’assister un jour à une fusion de trous noirs supermassifs en direct. Une perspective ô combien enthousiasmante, car c’est le genre d’événement dont l’observation pourrait mener à des progrès énormes en astrophysique… à condition d’avoir le matériel nécessaire.
Malheureusement, ce n’est pas encore le cas pour le moment. La fréquence des ondes gravitationnelles produites par ce genre de fusion est si basse que les interféromètres terrestres de pointe, comme le LIGO et le Virgo, ne sont pas capables de les détecter. À cette échelle énorme, leurs détecteurs sont trop proches l’un de l’autre pour capter la moindre différence dans le front d’onde.
Mais cela pourrait bientôt changer. En effet, l’ESA est en train de concevoir une mission appelée LISA, pour Laser Interferometer Space Antenna. L’idée, c’est de déployer trois sondes spatiales séparées d’environ 2,5 millions en kilomètres pour les faire fonctionner comme une gigantesque antenne orbitale, suffisamment grande pour capter les ondes gravitationnelles de très basse fréquence. Une fois que LISA sera déployée, nous aurons donc une chance de réaliser ces observations révolutionnaires, susceptibles de bouleverser complètement notre compréhension de l’Univers.
Nous vous donnons donc rendez-vous en 2032, date prévue du lancement, pour commencer à suivre cette nouvelle aventure scientifique fascinante ; avec un peu de chance, elle permettra de confirmer la théorie avancée par l’EHT.
Le texte de l’étude est disponible ici.
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