Observer l’intérieur d’un organisme vivant pour comprendre comment il fonctionne n’a jamais été facile. Nous disposons aujourd’hui de nombreuses techniques d’imagerie très performantes (tomodensitométrie, radiographie aux rayons X, IRM…), mais elles présentent toutes des limites significatives.
Des chercheurs américains ont donc exploré une autre approche : rendre la peau transparente pour pouvoir sonder l’intérieur du corps sans utiliser le moindre rayon néfaste ou pratiquer d’incision.
Des bases théoriques solides
Cette innovation est le fruit du travail des chercheurs de la prestigieuse université de Stanford, aux États-Unis. Pour en comprendre les bases, il faut s’intéresser aux mécanismes de base de l’optique. Chaque matériau, quel qu’il soit, dispose d’un indice de réfraction qui permet de déterminer comment la lumière (ou n’importe quelle onde) se comporte lorsqu’elle le traverse. Plus il est élevé, plus la lumière ralentit et change de trajectoire lorsqu’elle pénètre dans ce milieu. À l’inverse, un matériau parfaitement transparent avec un indice de réfraction nul (ce qui est impossible en pratique) laisse passer la lumière sans la moindre altération.
Lorsqu’un rayon traverse successivement deux matériaux avec des indices de réfraction différents, cela génère ce qu’on appelle une diffusion : lors de la transition, l’onde est déviée dans de multiples directions à la fois, ce qui donne une apparence plus ou moins opaque à l’objet. Chez les organismes vivants, ce phénomène survient notamment lorsque la lumière traverse des tissus qui contiennent de l’eau et des lipides, dont les indices de réfraction (respectivement 1,33 et ~1,45 à température ambiante) sont différents.
En théorie, on peut donc rendre n’importe quel matériau transparent en uniformisant les indices de réfraction de ses différents constituants. Et c’est précisément ce que les chercheurs de Stanford ont taché de faire avec la peau de leurs cobayes.
Des résultats déjà spectaculaires
Pour cela, ils se sont appuyés sur un vieil ensemble d’équations, les relations de Kramers-Kronig, qui décrivent le lien entre deux phénomènes optiques très importants dans ce contexte : l’absorption et l’indice de réfraction. Grâce à cet outil mathématique, ils ont pu identifier le composé chimique parfait pour uniformiser l’indice de réfraction de la peau : la tartrazine rouge, une poudre orange souvent utilisée comme colorant alimentaire.
L’équipe a concocté une solution à base de tartrazine avant d’appliquer ce baume sur l’abdomen, le scalp et les pattes arrière de rongeurs anesthésiés pour l’occasion. Et les résultats ont été assez spectaculaires. La peau des cobayes a d’abord viré au rouge, indiquant que la majorité de la lumière bleue était absorbée par la molécule. Cette forte hausse de l’absorption a altéré l’indice de réfraction de l’eau pour les longueurs d’onde correspondantes, le rapprochant ainsi de celui des lipides.
Par conséquent, la diffusion qui rend les tissus opaques a quasiment disparu, permettant à la peau de laisser passer la lumière rouge sans résistance. Une fois le traitement terminé, les auteurs ont pu visualiser les organes internes, le système circulatoire et la structure musculaire des souris à l’œil nu et en temps réel, sans le moindre système d’imagerie spécialisé.
La cerise sur le gâteau, c’est que l’animal n’est pas condamné à conserver cette apparence fantomatique jusqu’à la fin de sa vie. La procédure est entièrement réversible, et la transparence a immédiatement disparu après un simple rinçage à l’eau.
Un vrai potentiel en recherche et en médecine
Il s’agit d’un résultat très prometteur pour les spécialistes de la biologie animale. En effet, les rongeurs sont des organismes modèles de référence qui sont utilisés pour étudier des tas de mécanismes physiologiques, et bon nombre de ces travaux pourraient bénéficier de ce progrès. On pense notamment aux études qui portent sur le développement de l’animal, la prolifération des cellules cancéreuses, la régénération des tissus, et ainsi de suite.
Au-delà de la recherche fondamentale, cette innovation pourrait aussi bénéficier au corps médical de manière très concrète si elle était appliquée aux humains. Les chercheurs donnent notamment l’exemple du mélanome, une forme grave de cancer de la peau. Avec une peau transparente, un spécialiste pourrait poser un prédiagnostic déjà très informatif sans devoir nécessairement passer par une biopsie — une procédure particulièrement invasive qui consiste à prélever un échantillon de tissu.
L’équipe indique aussi que cette technique pourrait remplacer certains examens comme des radiographies aux rayons X, afin de limiter l’exposition à des doses non négligeables de rayonnements cancérigènes.
« Cela pourrait avoir un impact sur les soins et éviter aux gens de se soumettre à des tests invasifs », a déclaré Guosong Hong, co-auteur de l’étude. « Si nous pouvions simplement observer ce qui se passe sous la peau au lieu de l’inciser, ou d’utiliser des radiations pour obtenir une vision moins claire, nous pourrions changer la façon dont nous voyons le corps humain », conclut-il avec enthousiasme.
Le texte de l’étude est disponible ici.
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