Des chercheurs de la NASA ont annoncé avoir confirmé l’existence d’un troisième champ d’énergie global autour de la Terre : il s’agit du champ ambipolaire, un champ électrique dont l’existence a été théorisée pour la première fois il y a plus de 60 ans.
Jusqu’à ce jour, seuls deux phénomènes de ce genre avaient été observés. Le premier est le champ gravitationnel, généré par la masse de la planète (ou plus précisément par la distorsion de l’espace-temps résultant de cette masse, selon la relativité d’Einstein). Le second, c’est le champ magnétique généré par les mouvements rapides d’alliages de fer et de nickel en fusion dans le noyau externe de la Terre — un phénomène souvent appelé géodynamo dans la littérature scientifique.
À partir de la fin des années 1960, avec le début de la conquête spatiale, de nombreux chercheurs ont toutefois commencé à suggérer qu’un troisième champ global, potentiellement très important, pourrait envelopper la Terre.
A la poursuite d’un insaisissable champ électrique
Les physiciens et des planétologues de l’époque avaient théorisé que de nombreuses particules devraient s’échapper de l’atmosphère vers l’espace, mises en mouvement par la lumière solaire intense et non filtrée qui frappe l’atmosphère à environ 250 km d’altitude. Les premières générations de véhicules orbitaux ont permis de confirmer cette hypothèse, mais ces analyses ont aussi fait émerger des détails surprenants. En effet, les scientifiques ont constaté qu’une grande partie des particules de ce « vent polaire » sont froides, alors que les spécialistes s’attendaient à un flux à haute température. Pour couronner le tout, ces objets se déplacent à une vitesse supersonique, ce qui semble totalement incohérent à première vue.
Ils ont donc formulé une théorie qui repose sur la différence de masse et de charge entre deux types d’objets. D’un côté, on a les électrons libres, qui sont chargés négativement et incroyablement légers ; de l’autre, les atomes de la haute atmosphère ionisés par le rayonnement solaire, qui sont chargés positivement et extrêmement massifs en comparaison. Si elle n’était soumise qu’à la gravité, cette population de particules aurait tendance à se décanter ; les électrons seraient catapultés dans l’espace par l’énergie du rayonnement solaire, tandis que les ions retomberaient vers la surface.
Les chercheurs ont donc proposé l’existence d’un champ électrique qui pourrait leur permettre de rester ensemble. Ils ont qualifié ce champ théorique d’« ambipolaire », car il fonctionne dans les deux directions à la fois. Les ions positifs attirent les électrons négatifs lorsqu’ils chutent sous l’effet de la gravité, et pendant ce temps, ces derniers tirent les premiers vers l’espace, ce qui pourrait expliquer la fuite de particules vers l’espace..
Malheureusement, aucun des instruments de l’époque n’était assez sophistiqué pour mesurer ce fameux champ à cause de sa très faible intensité présumée. Ces travaux ont donc fait du sur-place pendant plusieurs décennies, et personne n’a été capable de démontrer rigoureusement l’existence de ce phénomène.
La confirmation expérimentale tant attendue
Pour obtenir une confirmation, il a fallu attendre que Glyn Collinson, physicien émérite au prestigieux centre Goddard de la NASA, se penche sur la question en 2016. Avec son équipe, il a inventé un nouvel instrument qui, sur le papier, était capable de percevoir ce champ électrique ô combien discret.
L’engin a été déployé en 2022 sur une petite fusée qui a suivi une trajectoire suborbitale avant de retomber dans la mer du Groenland 19 minutes plus tard. Il s’agissait donc d’une mission très courte, mais elle a tout de même rapporté des données cruciales : le véhicule, baptisé Endurance, a réussi à mesurer une variation de potentiel électrique de 0,55 volt dans la zone supposément couverte par le champ ambipolaire. Un delta certes faible, mais compatible avec la théorie formulée plusieurs dizaines d’années auparavant.
« Un demi-volt, ce n’est presque rien ; c’est à peine l’équivalent d’une pile de montre. Mais c’est tout juste suffisant pour expliquer le vent polaire », explique Collinson dans le communiqué de la NASA.
Sur la base de cette mesure, l’équipe a passé deux ans à peaufiner le modèle théorique du champ ambipolaire. Les chercheurs ont notamment réussi à démontrer que son intensité, bien que faible, serait largement suffisante pour éjecter les atomes d’hydrogène — les particules les plus représentées dans ce vent polaire — en dehors de l’atmosphère. La démonstration, qui vient d’être publiée dans la prestigieuse revue Nature, est très convaincante, et suffit à lever les derniers doutes sur l’existence de ce champ électrique traqué par les physiciens depuis plus d’un demi-siècle.
Un nouveau champ de recherche pour les sciences de la Terre
Il s’agit d’une preuve marquante, mais pas non plus surprenante ; ce sont les implications de cette confirmation qui sont vraiment intéressantes.
En effet, on sait que les champs magnétiques et gravitationnels ont joué un rôle déterminant dans l’histoire de la Terre; ils jouent chacun un rôle absolument central dans la dynamique de notre planète. Sans le premier, la Terre n’aurait jamais pu se former à travers l’agglomération d’innombrables particules il y a 4,5 milliards d’années. La gravité a aussi conditionné la mise en place d’une grande partie des processus géologiques et biologiques connus. Sans le second, la Terre serait extrêmement vulnérable au déluge de particules de haute énergie qui déferle constamment par l’intermédiaire du vent solaire ; la vie telle qu’on la connaît aujourd’hui n’aurait donc pas pu se développer de la même façon — surtout lorsqu’on tient compte du fait que ce champ magnétique contribue aussi à retenir l’atmosphère.
Il y a donc fort à parier que ce champ ambipolaire a aussi joué un rôle important. Toute la question, c’est de savoir comment il a affecté l’évolution de l’atmosphère, et par extension, des processus géologiques et biologiques qui en dépendent. Grâce à ces nouvelles fondations, des chercheurs de tous horizons vont pouvoir se pencher sur la question à travers de nouvelles études qui s’annoncent toutes aussi fascinantes les unes que les autres.
« Ce champ est fondamental pour comprendre comment marche notre planète. Il est présent depuis le tout début, aux côtés de la gravité et du magnétisme. Cela a probablement eu un impact sur l’évolution de l’atmosphère, et même laissé une marque sur les océans. C’est vraiment un élément fondamental du fonctionnement de la Terre, et maintenant, nous pouvons réellement commencer à poser certaines de ces questions à la fois importantes et passionnantes », conclut Collinson.
Le texte de l’étude est disponible ici.
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