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Une startup veut vendre du Soleil en pleine nuit, et c’est très mal parti

Reflect Orbital veut alimenter des centrales solaires pendant la nuit avec un immense miroir orbital, et le projet semble particulièrement absurde pour un tas de raisons différentes.

Imaginez : vous êtes confortablement installé dans votre salon un soir d’hiver, en train de lire un livre au coin du feu, quand le ciel se met soudainement à briller de mille feux. Intrigué, vous vous levez de votre canapé pour jeter un œil à l’extérieur et constatez qu’il est possible d’y voir comme en plein jour malgré l’heure tardive. Est-ce un météore qui s’apprête à sceller le sort de l’humanité, un peu comme les dinosaures il y a 65 millions d’années ? L’apocalypse nucléaire de la série Fallout vient-elle de commencer ?

Raté : il s’agit simplement d’un voisin qui vient de commander une livraison de soleil depuis l’espace avec son smartphone ! Si ce scénario vous semble complètement ridicule, ce n’est pas le cas de Reflect Orbital.

Comme un air de Znamya

Cette startup californienne sortie de l’ombre en avril dernier semble avoir récupéré un concept imaginé par les ingénieurs russes du projet Znamya, dans les années 1990. Ce nom fait référence à un satellite avait initialement pour but de prouver la viabilité du concept de voile solaire, comme la NASA essaie de le faire en ce moment même avec l’ACSSS.

Mais devant le scepticisme des décideurs politiques, les ingénieurs ont pivoté vers un autre objectif : convertir cette voile en un immense réflecteur de 20 mètres pour rediriger la lumière du Soleil vers la Terre, afin de bénéficier d’une source d’énergie solaire même pendant la nuit.

À première vue, ce concept ô combien audacieux n’était pas totalement dénué de sens. Même avant le passage au nouveau millénaire, la nature intermittente de l’énergie photovoltaïques représentait déjà un obstacle significatif à l’adoption massive de cette source d’énergie pratiquement infinie. Mais le retour à la réalité a été assez brutal.

Satellite Znamya 2
© Energia via Wikimedia Commons

Le satellite Znamya 2 a certes réussi à produire une zone claire de 5 km de diamètre qui a traversé l’Europe de part en part — mais sa luminosité, à peine supérieure à celle dont on bénéficie en période de pleine lune, était beaucoup trop faible pour alimenter une centrale solaire.

Pas découragés, les ingénieurs ont retenté l’expérience quelques années plus tard avec Znyama 2.5, censé apporter une luminosité nettement plus importante. Mais ce successeur n’a jamais atteint son objectif. Son vaste miroir a arraché l’antenne du véhicule pendant le déploiement, renvoyant le véhicule brûler dans l’atmosphère. Le projet a été abandonné suite à cet échec, et plus personne ne s’est lancé à la poursuite de cette idée saugrenue.

Reflect Orbital reprend le flambeau

Ou du moins, c’était le cas jusqu’à ce que Reflect Orbital reprenne le flambeau. Lors de l’International Conference on Energy from Space, en avril dernier, l’entreprise a révélé son plan pour proposer de l’énergie solaire à la demande au beau milieu de la nuit, également grâce à un satellite équipé d’un énorme miroir. « Nous voulons rendre ce processus aussi facile que possible — vous vous connectez sur un site, renseignez vos coordonnées GPS, et on vous envoie de la lumière », expliquait le fondateur et PDG Ben Nowack cité par Mashable.

Tout récemment, le fondateur et PDG Ben Nowack a posté une vidéo montrant à quoi cela pourrait ressembler en pratique. On y voit une personne indiquer sa position sur une application smartphone, avant de voir sa position illuminée comme en plein jour par un point brillant soudainement apparu dans le ciel nocturne.

L’intéressé a bien précisé qu’il ne s’agissait que d’une « simple démonstration » et que le concept était encore loin d’être mature. Mais cette vidéo a tout de même fait son petit effet auprès des internautes. Sur le site de la firme, qui propose déjà de « précommander » un spot lumineux, les réservations ont été multipliées par 10 en l’espace d’une journée, avec plus de 30 000 clients potentiels au compteur.

Mais contrairement à ce que laisse entendre cette campagne de communication virale, l’objectif ultime de Reflect Orbital n’est pas seulement d’offrir un coup de projecteur spatial à des individus en manque de distraction. Comme le projet Znyama, la startup ambitionne de « vendre du Soleil » à des fermes solaires pendant la nuit pour maximiser leur rendement. Et c’est là que le projet devient assez hallucinant. Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il y a de très nombreuses raisons d’être sceptique.

Une montagne de problèmes techniques et économiques…

Pour commencer, refléter suffisamment de lumière pour alimenter des panneaux solaires impliquerait de déployer un miroir absolument énorme, probablement de plusieurs dizaines de mètres de diamètre. Or, cela risque fort d’être impossible en pratique. Le réflecteur du Znyama 2 mesurait certes une vingtaine de mètres, mais il était très peu performant, à tel point qu’on ne pouvait même pas le considérer comme un vrai miroir à proprement parler. Et on voit mal comment Reflect pourrait faire beaucoup mieux.

Pour s’en convaincre, il suffit de regarder du côté du JWST, le formidable télescope spatial de la NASA. Il est équipé du plus grand miroir orbital de l’histoire de l’astronomie, avec 6,5 mètres de diamètre. L’agence américaine aurait volontiers visé plus grand, mais c’était tout simplement impossible, la facture était déjà diablement salée ; l’engin a coûté la bagatelle de 10 milliards de dollars à la NASA !

© NASA

C’est en grande partie parce que ce miroir est un véritable bijou d’ingénierie. C’est une surface en béryllium enduite d’or pur, fabriquée et ajustées avec une précision absolument extraordinaire pour supprimer la moindre imperfection susceptible de détériorer les images. Autant dire que le moindre centimètre supplémentaire aurait encore fait exploser l’addition. Difficile d’imaginer comment une startup comme Reflect pourrait atteindre un diamètre suffisant dans ce contexte.

Certes, l’entreprise n’aurait pas besoin du même niveau de perfection optique que la NASA. Mais même avec des panneaux de moindre qualité, le prix d’un engin de cette taille serait tout de même faramineux. Pour déployer le JWST, la NASA a dû diviser son miroir en 18 segments afin qu’il puisse tenir dans la capsule d’Ariane 5. Appliquer ce concept à un miroir encore bien plus grand semble déjà très difficile, voire impossible avec notre technologie actuelle. En outre, il faudrait un lanceur absolument énorme pour le mettre en orbite. À l’exception du Starship de SpaceX qui n’est pas encore opérationnel, il n’existe aucun véhicule capable de déployer un engin aussi énorme.

Pour couronner le tout, Reflect n’aura aucune chance de proposer un service convaincant avec un seul appareil. Il en faudrait probablement toute une constellation, avec tout ce que cela implique en termes de coût et d’encombrement de l’orbite. En effet, un seul engin placé sur une orbite fixe sera non seulement incapable de servir plusieurs clients à la fois, mais il souffrirait aussi d’un gros problème de rendement.

Les panneaux solaires sont notoirement sensibles à l’angle du rayonnement ; dès que l’on s’écarte de l’angle incident idéal de 90 %, l’efficacité des cellules photovoltaïques chute rapidement. Reflect devrait donc disposer de nombreux engins sur des orbites variées. Et même dans ces conditions idéales, le rendement serait sans doute assez pathétique.

Vous l’aurez compris : à l’heure actuelle, il semble hautement improbable que le projet de Reflect Orbital arrive à maturité, en tout cas à court ou moyen terme.

…et une pertinence au mieux discutable

Et même si c’était le cas, on peut aussi imaginer une myriade d’autres facteurs potentiellement problématiques. Par exemple, il est de notoriété publique que la pollution lumineuse est déjà un problème significatif aujourd’hui, aussi bien à la surface que dans l’espace.

On sait qu’elle perturbe la biosphère et le rythme circadien des humains. C’est aussi une perspective très ennuyeuse pour les observations astronomiques. De plus en plus de scientifiques se plaignent du fait que les clichés de leurs télescopes sont régulièrement photobombés par les reflets d’objets pourtant assez discrets dans l’absolu, comme les satellites Starlink. Cette tendance a déjà retardé, voire ruiné d’innombrables études scientifiques ; on vous laisse imaginer le résultat avec toute une armada de miroirs solaires pointés directement vers la Terre…

Il sera donc intéressant de suivre l’évolution de cette startup, ne serait-ce que par curiosité. Le feuilleton risque d’être assez divertissant, à défaut d’être prometteur !

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2 commentaires
  1. Et donc on va envoyer des centaines de fusées pour construire un miroir géant pour produire de l’énergie « de carbonée » ? Avant même d’avoir produit le moindre kw ce projet aura brûlé du combustible fossile pour 20 000 ans

  2. Pour ceux qui veulent vraiment plonger dans les détails techniques de cette arnaque, EEVBlog a fait les calculs pour vous, allez voir la vidéo, une belle tranche de rigolade Australienne.

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