Des chercheurs ont découvert une protéine très prometteuse qui, selon une étude récente, dispose d’une capacité formidable à protéger l’ADN. Ces travaux pourraient servir de base au développement de nouvelles technologies très prometteuses dans de nombreux domaines, à commencer par la médecine et la bio-ingénierie.
La protéine en question, DdrC (DNA Damage Repair protein C), a été découverte dans l’organisme d’une bactérie courante appelée Deinococcus radiodurans. Cette espèce se caractérise par la résilience exceptionnelle de son patrimoine génétique ; son ADN est capable d’encaisser 5000 à 10 000 fois la dose de radiations qui tuerait une cellule humaine.
Cette capacité, elle la doit en grande partie grâce à un processus qui permet de réparer l’ADN endommagé. Dans l’absolu, cela n’a rien d’inhabituel ; presque toutes les cellules vivantes ont accès à des systèmes de ce genre, y compris celles des humains. Sans ce mécanisme, même le très faible rayonnement ambiant auquel nous sommes tous exposés en permanence ferait d’énormes dégâts.
Ce qui rend D. radiodurans unique, c’est l’efficacité stupéfiante avec laquelle elle est capable de réparer son propre matériel génétique. Chez les humains, il suffit de deux ruptures dans un milliard de paires de bases (les briques fondamentales à partir desquelles l’ADN est construit) pour qu’une cellule dépérisse ; la bactérie, en revanche, est capable de régénérer des centaines de fragments d’ADN endommagés pour reconstruire un génome cohérent.
Pour illustrer la dimension quasi miraculeuse de ce superpouvoir, les chercheurs ont trouvé une analogie basée sur le football américain. « C’est comme si un joueur de la NFL jouait tous ses matchs sans casque ni protection, collectionnant les commotions et les fractures, mais qu’il se rétablissait miraculeusement chaque nuit avant l’entraînement du lendemain », explique l’un des auteurs. L’équipe a donc tenté de déterminer l’origine de ce mécanisme, et cette enquête les a rapidement menés à la protéine DdrC.
Une balise génétique au service de la cellule
Mais ce n’était qu’un début. En effet, tout l’enjeu était de comprendre comment ce petit polymère pouvait effectuer un travail aussi spectaculaire. Et c’est nettement plus facile à dire qu’à faire, car déterminer la fonction précise d’une protéine rien qu’en l’observant est un exercice notoirement très difficile.
Pour les aider, les auteurs ont toutefois pu compter sur un outil très précieux : le Canadian Light Source, ou CLS. Il s’agit d’un synchrotron, un accélérateur de particules qui utilise des champs magnétiques pour propulser des particules chargées, comme des électrons, à une vitesse proche de celle de la lumière. Dans ces conditions, ces particules émettent un puissant rayonnement électromagnétique à large spectre — le rayonnement synchrotron.
Il est utilisé dans des tas de disciplines, de la science des matériaux à la biologie structurale en passant par la chimie et la médecine, pour obtenir des images très détaillées d’objets minuscules ou des réactions auxquelles ils prennent part. Et c’est précisément ce que les auteurs ont fait avec leur DdrC ; grâce au CLS, ils ont pu étudier son comportement et ses interactions sous toutes les coutures.
Grâce au synchrotron, les auteurs ont pu observer que la protéine se déplace le long d’un brin d’ADN jusqu’à détecter une rupture, après quoi elle se referme sur elle-même à la manière d’un piège à souris. À partir de là, la protéine fait office de pansement génétique temporaire, empêchant le brin d’ADN de se désagréger à cause de la fracture. Mais surtout, elle se comporte comme un petit signal d’alarme qui indique à la machinerie de réparation de la cellule d’intervenir dans les plus brefs délais. Ce système de signalisation améliore drastiquement l’entretien de l’ADN de la bactérie par rapport aux cellules humaines.
Un exemple rare de protéine autonome
Mais il y a un dernier élément qui rend assez unique. Les protéines ont tendance à être inutiles lorsqu’elles sont isolées ; en règle générale, différents types de protéines forment des réseaux très complexes qui leur permettent de travailler ensemble. Cette complémentarité est indispensable pour mettre en place les chaînes de réactions nécessaires à l’exécution des fonctions spécifiques au sein de la cellule. Mais DdrC semble faire exception à la règle ; les observations des chercheurs ont montré qu’elle pouvait remplir sa fonction toute seule, sans avoir besoin d’autres protéines.
Pour les chercheurs, c’était une perspective très excitante dans ce contexte. En effet, l’ADN est un pratiquement universel dans la vie telle qu’on la connaît ; sur le papier, il suffirait donc de transférer DdrC dans une autre cellule pour améliorer massivement sa capacité à réparer son propre matériel génétique, sans avoir besoin d’identifier des dizaines d’autres protéines impliquées pour reconstituer un ballet parfaitement coordonné.
Pour tester leur théorie, les auteurs ont transféré DdrC à une autre bactérie, E. coli, un organisme modèle très courant en biologie. Et les résultats ont été tout bonnement spectaculaires. « À notre grande surprise, la procédure a rendu la bactérie 40 fois plus résistante aux radiations UV », expliquent les auteurs. « Cela semble être un exemple rare d’une protéine qui fonctionne vraiment comme une machine autonome. »
Un fort potentiel en médecine
En théorie, cela signifie que l’on pourrait rendre l’ADN de n’importe quel organisme beaucoup plus résistant en lui transférant le gène responsable de la production de DdrC. Ce genre de manipulation génétique pourrait permettre de créer de nouvelles variantes extrêmement résistantes de plantes cultivées en abondance. Selon les auteurs, la protéine pourrait même ouvrir la voie à un vaccin contre le cancer, une maladie qui émerge lorsqu’une cellule génétiquement endommagée échappe à tout contrôle.
« La capacité à réorganiser, modifier et manipuler l’ADN de manière spécifique est le Saint Graal des biotechnologies », expliquent les auteurs. « Et si vous disposiez d’un système de balayage tel que DdrC qui patrouillerait vos cellules et neutraliserait les dommages lorsqu’ils se produiraient ? Cela pourrait constituer la base d’un éventuel vaccin contre le cancer. »
Évidemment, nous sommes encore très loin d’en arriver là ; il faudra déjà commencer par vérifier que DdrC est capable de faire son office dans des conditions diverses et variées pour déterminer si les conclusions de l’équipe peuvent être généralisées. Mais il s’agit néanmoins d’une découverte très prometteuse qui pourrait déboucher sur de superbes applications concrètes à moyen et long terme. Il conviendra donc de suivre les prochaines études qui s’intéresseront à ce petit objet au potentiel énorme.
Le texte de l’étude est disponible ici.
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