Si les particules qui constituent notre monde à la plus petite des échelles sont si difficiles à observer, ce n’est pas seulement parce qu’elles sont extrêmement petites. Certaines d’entre elles ont aussi tendance à se déplacer très, très vite à leur échelle. Mais une équipe de chercheurs vient de présenter une nouvelle technologie potentiellement révolutionnaire qui pourrait aider les physiciens à surmonter cet obstacle majeur : un microscope si performant qu’il est capable de capturer des images d’électrons en mouvement avec une précision encore jamais vue.
Pour observer les objets les plus petits, comme les atomes, les chercheurs ont souvent recours à des microscopes électroniques à transmission (MET). Ces instruments sont nettement plus performants que n’importe quel microscope optique. Comme leur nom l’indique, au lieu d’utiliser les photons qui composent la lumière visible, un MET bombarde un échantillon très fin d’un flux d’électrons qui vient frapper un capteur situé juste derrière pour produire des images à la résolution spatiale phénoménale (moins de 0,1 nanomètre pour les plus sophistiqués). Cet outil mis au point en 1931 a complètement transformé la science moderne, à tel point qu’il a valu un prix Nobel à son créateur Ernst Ruska en 1986.
Des microscopes ultrarapides…
Et depuis, les MET n’ont cessé de se perfectionner. Dans les années 2000, les premiers microscopes électroniques ultrarapides sont apparus ; ils utilisent un laser pour générer des faisceaux d’électrons pulsés.
Ces instruments ne font pas beaucoup mieux que les MET classiques en termes de résolution spatiale, mais ils les dépassent largement en termes de résolution temporelle — leur capacité à observer des changements dans des intervalles de temps très courts. Là où les premiers MET pouvaient opérer à l’échelle de la seconde, voire de la milliseconde, ces MET ultrarapides peuvent atteindre quelques dizaines d’attosecondes (un milliardième de milliardième de seconde) !
Ces instruments sont si rapides qu’ils permettent notamment de commencer à observer le mouvement des électrons en temps réel, ce qui est crucial pour comprendre des processus fondamentaux tels que les réactions chimiques ou les transferts d’énergie. Cela a débouché sur des progrès très importants dans des disciplines comme la science des matériaux ou encore la physique quantique.
…mais encore trop lents
Mais ces particules sont si vives que même ces MET ultrarapides ne parviennent pas à les suivre avec une précision suffisante pour observer tous les détails de leur comportement. Même les plus performants d’entre eux, dont les pulsations peuvent atteindre les 40 attosecondes, risquent encore de rater les phénomènes les plus intéressants qui peuvent se dérouler entre ces images pourtant capturées dans un intervalle de temps exceptionnellement court.
Pour illustrer le problème, on peut imaginer une balle tirée par un pistolet. Si on la filme avec une caméra classique, on peut voir le tireur presser la détente et la marque laissée par la balle, mais il est impossible d’observer précisément comment se comporte le projectile se déforme à l’impact, par exemple. Pour y parvenir, il faut impérativement utiliser une caméra à très grande vitesse.
C’est un peu la même chose à l’échelle microscopique avec les électrons; si on ne peut pas capturer des images à un rythme suffisamment élevé, on doit se contenter de quelques clichés qui ne reflètent qu’une partie de la réalité, et ne permettent pas d’étudier rigoureusement toute la dynamique de l’objet.
Un attomicroscope qui change la donne
Tout l’enjeu, c’est donc de repousser encore davantage les limites de la résolution temporelle des microscopes électroniques. Et c’est précisément ce qu’une équipe de l’Université de l’Arizona a réussi à faire. Le laboratoire de Mohammed Hassan, professeur de physique et de sciences optiques, a conçu un MET capable de générer des pulsations… d’une seule attoseconde.
Pour y parvenir, les chercheurs se sont appuyé sur les travaux de Ferenc Krausz et des Français Pierre Agostini et Anne L’Huilliere. Leurs expériences ont permis de produire les premières pulsations lumineuses de l’ordre de l’attoseconde — une révolution technique qui leur a permis de remporter le Prix Nobel de Physique 2023.
L’équipe d’Hassan s’est basée sur les techniques mises au point par le trio pour développer un nouveau système, sobrement baptisé « attomicroscope ». L’observation commence avec un rayonnement ultraviolet qui frappe un composant appelé photocathode pour produire des électrons ultrarapides. Ensuite, un rayon laser est décomposé en deux faisceaux qui arrivent à destination avec un très léger décalage. Cela permet de créer une « fenêtre » temporelle extrêmement étroite, en l’occurrence une attoseconde, pour limiter au maximum la durée des pulsations d’électrons et augmenter la résolution temporelle.
Un potentiel immense pour la recherche
Et cette approche a produit des résultats assez spectaculaires. Grâce à leur attomicroscope, l’équipe a été capable d’observer des mouvements d’électrons qui auraient normalement été beaucoup trop rapides pour n’importe quel autre microscope, même les MET ultrarapides de dernière génération.
Hassan estime que ces travaux vont déboucher sur des avancées majeures dans des tas de domaines, de la physique fondamentale à la chimie en passant par la bioingénierie, la science des matériaux, et ainsi de suite.
Il sera donc très intéressant de se pencher sur les premiers travaux qui utiliseront cet attomicroscope, car ce nouvel outil pourrait conduire à des avancées majeures dans des tas de domaines, de la physique fondamentale à la chimie en passant par la bioingénierie, la science des matériaux, et ainsi de suite.
Le texte de l’étude est disponible ici.
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