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JUICE : la sonde de l’ESA file vers Vénus après une manoeuvre historique

Cet engin qui va partir à la rencontre des lunes glacées de Jupiter a commencé son voyage sur les chapeaux de roue avec un double survol d’assistance gravitationnel du système Terre-Lune – une première dans l’histoire de l’aérospatiale.

La sonde européenne JUICE vient de marquer l’histoire de l’astronautique en réalisant une manoeuvre unique en son genre : l’engin est devenu le premier véhicule spatial à réaliser un double survol d’assistance gravitationnelle de la Lune et de la Terre, afin de préparer une escale près de Vénus qui va l’envoyer droit vers Jupiter.

Cette sonde de l’ESA a décollé en avril 2023, à l’occasion de l’avant-dernier lancement de l’illustre Ariane 5. Son objectif, c’est de partir à la rencontre de trois objets parmi les plus fascinants du système solaire : Ganymède, Callisto et Europe, les trois lunes gelées de Jupiter. Toutes les trois sont suspectées d’héberger de grandes quantités d’eau liquide, et sont donc des destinations particulièrement intéressantes dans le cadre des travaux sur la recherche de vie extraterrestre – entre autres.

L’effet de fronde, un allié précieux

Pour permettre à ce petit engin de franchir les 790 millions de kilomètres qui nous séparent en moyenne de la géante gazeuse, les ingénieurs lui ont planifié un immense tour de manège interplanétaire qui va durer près de dix ans. En effet, pas question de pointer JUICE vers la matriarche du système solaire, d’allumer ses propulseurs et de la laisser filer ; un transfert direct nécessiterait beaucoup trop de carburant. À la place, son périple a donc commencé avec une manœuvre ultra-précise qui lui a permis de bénéficier d’un coup de pouce de notre planète et de son satellite.

Ce genre de manoeuvre exploite ce qu’on appelle l’effet de fronde. Lorsqu’un véhicule approche d’un corps céleste massif (généralement une planète) et pénètre dans sa zone d’influence gravitationnelle, il commence à gagner de la vitesse, de la même façon qu’un objet en chute libre sur notre planète. Cette accélération continue jusqu’à ce que l’engin arrive au périapse, le point de la trajectoire où il est le plus proche du corps céleste en question, après quoi il commence à perdre de la vitesse.

Dans certaines conditions, un vaisseau peut toutefois conserver une partie de la vitesse accumulée lors de la phase d’approche à la sortie de ce puits gravitationnel. Au bout du compte, on se retrouve donc avec un gain de vélocité net, comme un galet à la sortie d’une fronde.

En d’autres termes, l’engin peut accélérer (ou ralentir, en fonction de la trajectoire d’approche) sans utiliser le moindre gramme de carburant. On peut aussi utiliser cet effet de fronde pour changer complètement la trajectoire du véhicule afin de le rediriger vers un autre corps céleste, là encore sans solliciter les moteurs.

Un tour de manège délicat…

Il s’agit donc d’une manœuvre très intéressante pour les opérateurs qui cherchent à expédier un engin vers des régions très éloignées de l’espace.

Mais c’est plus facile à dire qu’à faire, car cela implique de calculer la trajectoire d’approche avec une précision énorme. En effet, le résultat final est très sensible à un tas de paramètres. Tout écart, même minuscule, dans la vitesse initiale, l’angle d’interception, la distance entre les deux objets ou encore le timing de la rencontre affecte grandement la trajectoire de sortie. C’est d’autant plus vrai lorsque l’on cherche à enchaîner plusieurs manœuvres de ce genre comme JUICE ; la moindre approximation va fatalement se répercuter sur les prochaines étapes de la mission, produisant ainsi un effet boule de neige aux conséquences potentiellement catastrophiques. Dans le pire des cas, le véhicule pourrait aisément être catapulté vers les tréfonds du cosmos sans la moindre possibilité de rebrousser chemin.

L’ESA a donc dû planifier le parcours de JUICE avec une précision exceptionnelle et faire de gros efforts pour coller à ce calendrier. Un mois avant le lancement, l’agence expliquait par exemple qu’elle disposait d’une marge d’erreur inférieure à une seconde pour le lancement de la fusée qui a emporté la sonde en orbite !

…mais parfaitement négocié

Heureusement, Ariane 5 et ses opérateurs se sont exécutés avec brio, ce qui était déjà un sacré exploit technique connaissant la longueur et la complexité de la procédure de lancement. Depuis le printemps 2023, JUICE était donc positionnée sur une orbite solaire quasiment parfaite, et cela lui a permis d’effectuer son double survol avec une précision remarquable. Elle a abordé son approche de la Lune avec une trajectoire idéale, permettant à notre satellite d’expédier JUICE vers la Terre dans d’excellentes conditions avec une accélération de 0,9 km/s. 45 minutes plus tard, le deuxième virage au-dessus de la Planète bleue a aussi été parfaitement négocié, expédiant la sonde sur une nouvelle trajectoire avec une décélération de 4,8 km/s.

Juice Survol Terre
JUICE lors de son survol de la Terre. © ESA/Juice/JMC

Au bout du compte, la trajectoire a été déviée de 100° et la vitesse réduite de 3,9 km/s par rapport au Soleil, exactement comme prévu. « Le survol d’assistance gravitationnelle a été parfait, tout s’est déroulé sans accroc », résume Ignacio Tanco, un des responsables de l’opération à l’ESA.

Grâce à cette précision remarquable, JUICE est désormais parfaitement positionnée pour intercepter l’orbite de Vénus en août 2025. Elle bénéficiera alors d’une nouvelle assistance gravitationnelle. La deuxième planète du Système solaire va permettre à la sonde de modifier sa trajectoire une nouvelle fois afin qu’elle puisse réaliser deux nouveaux survols de la Terre, en septembre 2026 et janvier 2029. Lors de ces passages, elle exploitera encore l’effet de fronde pour se catapulter directement vers Jupiter, où elle arrivera en juillet 2031. Et c’est là que ces efforts prendront tout leur sens.

Juice Le Voyage Vers Jupiter
© ESA

En effet, ce tour de manège extrêmement complexe et délicat va déboucher sur des économies de carburant substantielles. Ce premier double survol a déjà permis d’économiser entre 100 et 150 kg de carburant, et ce chiffre ne va faire qu’augmenter à chaque manœuvre. Ces réserves offriront une marge de sécurité précieuse à l’ESA, et dans l’idéal, elles pourront aussi être utilisées pour collecter des données supplémentaires une fois à destination.

Trois destinations fascinantes

Et c’est une excellente nouvelle, car les trois cibles de JUICE — les lunes gelées Ganymède, Europe et Callisto — font sans conteste partie des objets les plus fascinants du système solaire.

La première, qui est aussi l’objectif principal de la mission, est la seule lune du système solaire qui possède son propre champ magnétique, et cette particularité en fait déjà un objet d’étude de premier plan. Sur Terre, ce sont les mouvements de convection dans le cœur ferreux de la planète qui génèrent ce champ magnétique. Cela suggère que Ganymède pourrait être géologiquement active, ce qui implique la production de chaleur — l’un des éléments hypothétiquement nécessaires à la vie telle qu’on la connaît.

Ganymède sera la dernière étape de la mission JUICE. © NASA/JPL-Caltech/SwRI/MSSS

La seconde présente une activité interne très particulière, avec un cryovolcanisme soutenu et des mouvements de grands blocs de glace qui rappellent la tectonique des plaques terrestre (voir notre article). Callisto, de son côté, pourrait héberger un immense océan d’eau salée.

Même s’il faudra encore patienter encore quelques années pour redécouvrir ce trio fait déjà saliver les planétologues, le jeu en vaut donc la chandelle, et il ne reste plus qu’à croiser les doigts pour que les prochaines manœuvres se déroulent aussi bien que ce double survol. Bon voyage, et rendez-vous dans 7 ans !

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Source : ESA

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